Économie & Cambodge : Entre Répit et Blessure — L’Alerte des 19%
- Brèves Éco
- 1 août
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Le Cambodge a évité de justesse une catastrophe économique, mais le pays continue de souffrir d’une blessure profonde. Derrière les portes closes, ce sont 800 000 emplois, majoritairement dans le secteur du textile et de la chaussure, qui ont tremblé à l'annonce de nouveaux droits de douane américains. Le couperet est tombé : les exportations cambodgiennes vers les États-Unis seront désormais taxées à 19%, selon le décret présidentiel signé par Donald Trump le 31 juillet 2025, confirmé par l’Executive Office et relayé par les principaux médias économiques américains.

D'après une analyse d'Arnaud Darc
Ce taux, bien inférieur aux 36% ou 49% redoutés lors des négociations, constitue certes un soulagement immédiat, mais il ne doit pas tromper sur la gravité de la situation. Un choc tarifaire de cette ampleur représente un séisme pour un secteur habitué à des marges minuscules, notamment dans la confection de vêtements basiques, de sacs de voyage ou de chaussures à faible valeur ajoutée.
Pour les grandes enseignes américaines, qui opèrent par cycles saisonniers, l’impact de cette mesure sera tangible dès le quatrième trimestre 2025 — une réalité à laquelle se préparent déjà industriels et ouvriers du Royaume.
Un Répit Inespéré, Mais Une Urgence Persistante
Si le taux de 36% à 49% avait été maintenu, l’économie cambodgienne aurait vacillé : annulations de commandes, fermetures en chaîne, défaillances bancaires, chômage de masse. Selon l'Organisation Internationale du Travail, plus de 800 000 emplois formels dépendent du secteur textile, sans compter les liens indirects sur l’économie nationale. À 19%, le Cambodge reste compétitif, à égalité avec le Vietnam ou le Bangladesh (dont les exportations vers les États-Unis sont respectivement taxées à 20% selon les données du département américain du commerce). Mais la moindre erreur sera fatale : si le coût de l’électricité ne baisse pas d’au moins 15% ou si les frais portuaires restent supérieurs à la moyenne régionale, le pays perdra son modeste avantage sur ses voisins.
La Guerre des Marges Commence, Sur Un Terrain Défavorisé
La réorganisation du sourcing mondial, sous contrainte géopolitique, est déjà en cours. Un taux de 19% entraînera le transfert de la production des articles à fort volume et faible marge — t-shirts, baskets synthétiques — vers le Bangladesh ou le Kenya (bénéficiant de l’AGOA). Les segments nécessitant un contrôle qualité et conformité (sacs à dos, vêtements techniques) pourraient rester au Cambodge, à condition de préserver la traçabilité sociale et la rapidité logistique.
Pour les productions de niche, la souplesse et la proximité des hubs textiles vietnamiens seront la clé de la survie. Selon les estimations partagées lors du dernier forum du secteur, les conséquences seront visibles en quatre vagues : dès octobre 2025, les commandes printemps-été 2026 s’ajusteront au nouveau coût; en début 2026, le tri sera fait entre les usines conservant leurs clients américains, et celles contraintes de fermer.
La Diplomatie a Limité Les Dégâts, Mais La Leçon Est Amère
L’obtention du taux de 19% est le fruit d'une diplomatie discrète menée par le gouvernement cambodgien auprès de l’USTR (United States Trade Representative), confirment des sources proches du ministère du Commerce. Mais cette victoire d’étape ne masque pas le signal envoyé par Washington : la redéfinition des chaînes d’approvisionnement américaines ne s’arrêtera pas aux semi-conducteurs.
La tendance globale est à la réduction de la dépendance vis-à-vis des pays considérés comme géopolitiquement ambigus. L’alignement — réel ou supposé — du Cambodge avec la Chine, a suffi à placer le Royaume dans la zone à risque. Ce tarif n’est donc pas simplement une mesure économique : il marque un rééquilibrage stratégique et un avertissement à l’ensemble de l’ASEAN. L’alignement, ou à tout le moins la clarification des positions, devient indispensable.
Quatre Priorités Pour Éviter le Pire
L’heure n’est plus à la réaction, mais à l’action. Le défi immédiat se décline en quatre axes :
Baisser le coût industriel de l’électricité de 15% via la réforme tarifaire du MEF et de l’EDC, la suppression des taxes solaires et les achats groupés.
Initier une offensive de rétention des principaux acheteurs, en réunissant les vingt plus grands donneurs d’ordres américains dans les 60 jours, pilotée par la CCC et le ministère du Commerce.
Diversifier les marchés d’exportation : accélérer l’analyse d’adhésion au CPTPP pour le premier trimestre 2026, relancer le dialogue technique avec l’UE, et positionner le Japon ainsi que les pays du Golfe comme partenaires stratégiques.
Protéger et renforcer les compétences des travailleurs : créer un fonds de transition socioprofessionnelle d’ici novembre, axé sur le reclassement et la formation dans l’agro-industrie, l’électronique et l’hôtellerie.
Un projet d’ampleur, à l’image d’un « Cambodia Resilience Compact » piloté par un comité interministériel, doit faciliter l’adaptation industrielle, logistique et sociale. Les solutions individuelles ne suffiront pas face à un choc systémique.
L’Ultimatum Est Lancé, Mais L’Opportunité Reste À Saisir
Le Cambodge a évité l’abîme, mais l’épreuve ne fait que commencer. Un droit de douane à 19% n’est pas une sanction neutre, c’est un réveil brutal. Le Royaume se situe désormais dans une zone de tempête, à la croisée des enjeux commerciaux, diplomatiques et stratégiques de la région.
Les douze prochains mois seront décisifs : le Cambodge saura-t-il se réinventer en économie résiliente, ou restera-t-il l’illustration d’une réforme manquée ?Ce défi ne se résume pas aux chiffres : il engage notre capacité collective à anticiper, à mobiliser, et à transformer l’adversité en atout.L’heure n’est plus à l’attente. C’est maintenant que tout se joue.
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