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Ancre 1

Environnement : Rencontre avec les grands-pères protecteurs des forêts du Cambodge

À la lisière d’une forêt, dans les plaines du nord du Cambodge, une communauté autochtone met en place son propre système de surveillance. Il s’agit d’un petit avant-poste construit avec du bois confisqué à des bûcherons opérant illégalement.

Lim, le chef d'un groupe de gardes forestiers « d’autodéfense », fume du tabac en attendant que les membres de l'équipe localisent un gang de bûcherons à proximité / Crédit: Matt Blomberg
Lim, le chef d’un groupe de gardes forestiers « d’autodéfense », fume du tabac en attendant que les membres de l’équipe localisent un gang de bûcherons à proximité / Crédit: Matt Blomberg

Pour cette toute nouvelle patrouille forestière, il s’agit d’une stratégie nécessaire. La plupart des communautés autochtones sont trop souvent réduites à l’état de spectateurs devant la destruction de leurs forêts ancestrales.

« Nous pouvons difficilement compter sur la loi, elle est trop lente », déclare Ruos Lim, le chef de patrouille, âgé de 67 ans. Son groupe est principalement composé des aînés des communautés. Ils se considèrent comme un groupe chargé de protéger les forêts qui leur fournissent nourriture et revenus. « Jour et nuit, nous apprendrons à nos enfants et à nos petits-enfants à protéger nos moyens de subsistance », explique Lim, qui estime que si les forêts sont détruites, la communauté, ses traditions, son langage et potentiellement tout leur mode de vie ne survivront pas.

Investir dans les forêts

La forêt a des fruits sauvages, du bois et du miel. « Cet endroit est un type de banque assez particulier », explique Lim. « Nous investissons en entretenant la forêt et il y a toujours plein de choses à en retirer ». Lim a passé toute sa vie dans le petit village de Bang Khanphal, derrière la forêt de Chom Penh, qui fait partie de la réserve naturelle de Beng Per (242 500 hectares). La forêt de Chom Penh fournit au village des matériaux de construction, de la nourriture et des produits de plus grande valeur tels que le miel et la résine, deux produits qu’ils peuvent commercialiser.

Déforestation de la réserve naturelle de Beng Per de 2000 à 2017, à partir de données de Hansen, UMD, Google, USGS et de la NASA / Crédit: Licadho
Déforestation de la réserve naturelle de Beng Per de 2000 à 2017, à partir de données de Hansen, UMD, Google, USGS et de la NASA / Crédit: Licadho

« Les arbres, les ruisseaux et les montagnes sont le cadeau que nous offrons à nos enfants », déclare Lim, tard dans la nuit, alors qu’il se balance dans un vieux hamac en fumant du tabac sauvage enroulé dans une feuille. « La forêt est leur héritage et nous devons la protéger des voleurs ». Selon ses grands-parents, membres de la minorité indigène Koi, présente dans le nord du Cambodge et à la frontière avec la Thaïlande, la forêt était la seule source de richesses de la communauté.

Mais, à mesure que la déforestation s’accentue, les peuples autochtones sont obligés de s’aventurer davantage dans la réserve naturelle de Beng Per pour trouver des produits de la forêt, faisant de Chom Penh, au cœur de la réserve, une zone de plus en plus menacée. En 2013 seulement, Beng Per a perdu 12,4 % de sa surface boisée, selon les données satellites de la Licadho, un groupe de défense des droits cambodgien. Et elle en a perdu au moins 33 % depuis 2000.

« Nous sommes les seuls patrouilleurs actifs, ici »

Depuis plus de deux décennies, les communautés autochtones luttent contre une vague d’investissements étrangers et locaux, qui ont obtenu l’autorisation de défricher des surfaces cultivables du Cambodge.  Les parcs nationaux et les réserves naturelles, où l’exploitation forestière est interdite, sont devenus des zones convoitées par les bûcherons. Et comme les arbres les plus anciens et les plus précieux ont été abattus, ces zones ont été reclassées en « forêts dégradées », et transformées en plantations.

Lim montre une zone qui aurait été pillée par des bûcherons / Crédit: Matt Blomberg
Lim montre une zone qui aurait été pillée par des bûcherons / Crédit: Matt Blomberg

Le ministère de l’Environnement déclare que le gouvernement soutient les patrouilles dans les communautés et donnera suite à tout signalement d’exploitation forestière illégale. Il ajoute que la coupe des forêts protégées est nécessaire pour « développer le pays et créer des emplois » et qu’une évaluation de l’impact environnemental est réalisée avant la remise de chaque concession. « Nous avons constaté qu’il n’y aurait aucun impact sur la réserve », dit-il.

Défendre les richesses

Lim et ses hommes ont transformé leurs escapades régulières en patrouilles effectuant des roulements. Leur mission est d’empêcher le pillage de Chom Penh, et ils combinent éducation, réprimandes et menaces.

Par un beau jour d’août, deux équipes de patrouilles quittent le village de Bang Khanphal avant l’aube, à pied, à la recherche de bûcherons.  L’expédition commence réellement quelques heures plus tard, sur un ko yun, une longue remorque plate attachée à un moteur diesel sur roues.

L'équipe de patrouille traverse une clairière près de Chom Penh / Crédit: Matt Blomberg
L’équipe de patrouille traverse une clairière près de Chom Penh / Crédit: Matt Blomberg

Ils transportent du carburant, des hamacs et quatre semaines de rations : 30 kg de riz, 10 litres d’alcool de riz, des boissons énergisantes et du sel. Tout le reste viendra de la forêt. La planification et le départ sont effectués avec une précision militaire. Plus tard dans la journée, la patrouille atteint l’extrême sud de Chom Penh, Lim bouillonne.

« C’est la zone de guerre », déclare-t-il.

À l’âge de 21 ans, Lim a rejoint les Khmers rouges, passant de petit espion de village à chef d’une unité de sécurité locale dont la zone couverte englobait des parties de Chom Penh. À 67 ans, il affirme n’avoir jamais tué personne au combat ni avoir perdu le contrôle de sa forêt.

Aujourd’hui, sa ligne de front est marquée par des arbres marqués à la tronçonneuse et des piles de bois fraîchement coupé — les restes de batailles gagnées et perdues.

« Si nous trouvons des voleurs ici aujourd’hui, déclare Lim, cela me rendra très heureux ».

Toutefois, les pillards que la patrouille rencontre sont principalement des opportunistes. 90 %  des « voleurs » découverts sont de la communauté Koi, dont les forêts se sont raréfiées, les forçant à se rapprocher de Chom Penh pour essayer de se faire un petit peu d’argent.

« Certains jours, ils ne trouvent qu’un seul morceau de bois, d’autres jours, ils ne trouvent rien », explique Lim plus tard, alors qu’il se repose dans son hamac. « Ils ne savent pas comment trouver un emploi. Ils ont perdu leurs forêts, leurs fermes — tout a été balayé. C’est pourquoi ils viennent quêter ici ».

Les patrouilleurs se préparent à changer de direction après avoir entendu le son d'une tronçonneuse au loin / Crédit: Matt Blomberg
Les patrouilleurs se préparent à changer de direction après avoir entendu le son d’une tronçonneuse au loin / Crédit: Matt Blomberg

Un après-midi, après avoir suivi le bruit des tronçonneuses vers un camp de bûcherons improvisé situé juste à l’extérieur de Chom Penh, Lim appelle : « Les rangers sont là… venez nous faire face ». Trois jeunes hommes en sueur et pleins de sciure de bois émergent et font alors face à un groupe de grands-pères portant des pioches et des couteaux. Ils s’assoient dans la boue pendant que Lim se tient au-dessus d’eux et les réprimande : 

« Comprenez-vous à quel point la forêt est importante pour votre peuple ? », déclare-t-il. « Avez-vous oublié qui vous êtes ? ».
Un groupe d'indigènes Koi suit une leçon de morale sur la conservation des forêts, après la décou-verte d'abattages d'arbres aux abords de Chom Penh / Crédit: Matt Blomberg
Un groupe d’indigènes Koi suit une leçon de morale sur la conservation des forêts, après la découverte d’abattages d’arbres aux abords de Chom Penh / Crédit: Matt Blomberg

Les bûcherons déclarent avoir entendu des rumeurs selon lesquelles la forêt serait bientôt défrichée et replantée avec du caoutchouc, et avoir décidé qu’ils pourraient eux aussi récupérer une part du butin. « C’est une astuce pour vous faire abattre votre propre forêt », déclare Lim. « Vous écoutez des étrangers et ils vous rendent avides d’argent ».

Parmi une douzaine de rencontres avec des bûcherons, durant les quatre jours de patrouille, un seul groupe a tenté de s’échapper. Les patrouilleurs les ont retrouvés plus tard dans leur village et les ont remis à la police. Les autres ont accepté leur punition, une forte réprimande d’un ancien, qu’ils connaissent, craignent et respectent. L’un d’eux a compris la leçon puis a rejoint la patrouille.

Texte et photographies par  Matt Blomberg  – Mekong Eye (cc) – Pour des raisons de clarté, le texte original a été réduit

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