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Renaissance ou mutation ? L’après-crise du tourisme cambodgien à l’épreuve des statistiques

De janvier à septembre 2025, le Cambodge a accueilli 4 029 388 visiteurs internationaux issus de 20 marchés majeurs, soit plus de 92% du flux total enregistré pour la période, selon le ministère du Tourisme. Mais au-delà du chiffre global, le tableau révèle des dynamiques contrastées, des écarts de motivation et des leviers de croissance à activer pour réussir la mutation de l’industrie touristique cambodgienne.​

L’après-crise du tourisme cambodgien à l’épreuve des statistiques

Tensions régionales et géographies du rebond

La reprise post-Covid, bien qu’engageante, dessine des trajectoires inégales selon les groupes de marchés.

  • La sous-région ASEAN (Thaïlande, Vietnam principalement) fournit 46,8% du volume mais à peine 3,6% du total des visiteurs d’Angkor. Exemple saisissant : seuls 0,9% des Thaïlandais et 1,4% des Vietnamiens ayant franchi la frontière en 2025 ont acheté un billet pour Angkor. Chez les Lao, le taux chute à 0,7%. L’engagement patrimonial est marginal, le séjour s’axant autour du loisir urbain, des breaks à petit budget, du shopping ou encore du balnéaire à Sihanoukville.

  • À l’opposé, les marchés occidentaux et long-courriers incarnent la résilience patrimoniale : l’Espagne affiche un taux record de conversion à Angkor (93,5%), suivie de l’Italie (78,7%), l’Allemagne (72,2%) ou le Royaume-Uni (69,5%). Les États-Unis, premier marché mondial en volume de billets, illustrent cette prime à la motivation culturelle : 52,7% des Américains visitant le Cambodge passent par Angkor, soit 78 351 entrées sur 148 632 arrivées.​

Désamour chinois et montée en puissance indienne

La Chine reste le troisième marché émetteur en volume (889 089 arrivées), mais seuls 7% de ses visiteurs achètent un billet pour Angkor, signalant une fracture entre les offres proposées et les nouveaux désirs du client chinois, aujourd’hui avide d’expériences urbaines, de bien-être et de contenus partageables sur WeChat plutôt que de visites guidées de masse.

L’Inde, avec près de 52% de taux de conversion (25 603 billets pour un peu plus de 49 000 arrivées), s’impose comme marché d’avenir, animé par des motivations spirituelles et culturelles prononcées.​

Répartition hommes/femmes : un défi structurel

Le Cambodge n’attire que 40,7% de femmes sur le total des arrivées internationales — soit un déséquilibre persistant, creusé par la forte prépondérance masculine sur les marchés asiatiques (Chine : 26%, Malaisie : 25%, Inde : 27% de femmes).

Les Philippines et le Laos constituent des exceptions, avec respectivement 60% et 58% de femmes parmi les voyageurs. Ce différentiel de genre implique une adaptation des offres et des communications.​

Saisonnalité : l’amplitude du cycle annuel

La fréquentation varie fortement selon les saisons et les marchés. Janvier-mars correspond au pic occidental (ex. : France, Royaume-Uni), tandis que les flux régionaux (Thaïlande, Vietnam) sont plus stables, centrés sur des séjours courts et répétés.

L’été voit l’émergence de marchés espagnols et japonais. Cette volatilité expose le secteur à des risques, mais aussi à des opportunités de programmation ciblée pour lisser la saisonnalité.​

Enjeux linguistiques et accueil multicanal

L’analyse des volumes et des taux de conversion identifie une priorisation claire des langues de service :

  • Priorité 1 : Thaï (24,3% des arrivées), vietnamien (22,5%), mandarin (22,1%), anglais (standard international, 15% combiné)

  • Haut potentiel : coréen, japonais, français, allemand

  • Stratégique : espagnol, italien, hindi, russe. La reconnaissance du français, portée par la francophonie, s’impose avec 98 844 arrivées françaises (63% de taux de conversion).​

Recommandations stratégiques pour un décollage durable

Pleins feux sur les recommandations à fort impact, issues de l’analyse des comportements et du contexte macroéconomique.

1. Diversifier l’offre pour les marchés ASEAN

Face à l’écrasante domination quantitative, mais à la faible rentabilité patrimoniale des marchés thaïlandais et vietnamien, il est urgent d’adopter un positionnement différencié : créer des city-breaks à thème (shopping, gastronomie, bien-être, techno/vie nocturne à Phnom Penh ou Siem Reap), miser sur des séjours balnéaires à Sihanoukville et Koh Rong, proposer des offres « weekend » accessibles à partir des vols low-cost ou des frontières terrestres. Les packages 2-3 jours abordables doivent répondre à la logique du short break.​

2. Réengager la Chine, au-delà des tours de groupe

Le rebond chinois impose une redéfinition des produits, loin des circuits standardisés. Il s’agit ici de concevoir des itinéraires pour voyageurs indépendants, autour de la photographie, du bien-être premium, des immersions culturelles, valorisés par des campagnes sur les plateformes chinoises (WeChat, Xiaohongshu, Douyin). L’expérience doit être authentique, numérique et personnalisée.​

3. Capitaliser sur le tourisme patrimonial occidental

Les marchés européens et nord-américains manifestent une fidélité patrimoniale exceptionnelle. Développer des pass patrimoniaux multi-sites (Angkor, Preah Vihear, Sambor Prei Kuk), encourager le slow tourism et les séjours prolongés, coupler découverte culturelle et tourisme communautaire/soutenable sont des priorités. Il s’agit aussi de séduire un tourisme à valeur ajoutée (photographie, art, spiritualité), sensible aux enjeux environnementaux et à l’inscription locale.​

4. Amplifier l’engagement féminin, enjeu d’inclusivité

Attirer davantage de voyageuses implique des chantiers concrets : protocoles de sécurité (hotlines 24h/24, guides certifiées femmes, réseaux de transport labellisés), partenariats avec les entreprises gérées par des femmes (hébergements, restauration, artisanat), communication adaptée aux préoccupations des globe-trotteuses (prix transparents, accompagnement, certifications de sécurité). L’inclusion passe aussi par le développement d’infrastructures et d’expériences dédiées.​

5. Penser multilingue et multiculturel

Déployer une signalétique multilingue et des plateformes numériques adaptées aux marchés prioritaires, former les professionnels du secteur à l’interculturalité (ex. : exigences alimentaires indiennes, préférences photographiques chinoises, argumentaires verts pour l’Europe), construire une communication centrée sur l’influence et les témoignages natifs, et non sur la seule traduction d’offres anglophones.​

6. Anticiper le choc saisonnier

Pour amortir la dépendance aux pics hivernaux européens, orchestrer des promotions de basse saison à destination des marchés régionaux flexibles (Thaïlande, Vietnam, Malaisie) : tarifs spéciaux, expériences inédites en saison creuse (récolte des lotus, immersion au festival des eaux, packages MICE pour segment business). L’innovation porte aussi sur la diversification hors du balisage Angkor : city breaks à Phnom Penh, écotourisme dans les provinces, tourisme balnéaire, art contemporain, retraites bien-être valorisant l’héritage bouddhique.​

L’analyse des flux 2025 confirme que le futur du tourisme cambodgien ne repose plus sur le seul héritage d’Angkor, mais sur une stratégie de diversification, d’inclusion et d’innovation. Penser hors du cadre, séduire la Chine nouvelle génération, capitaliser sur le retour patrimonial occidental et investir dans l’expérience voyageuse, voilà les clés d’un rebond durable. À ce prix, le Cambodge pourra transformer sa renaissance touristique en véritable mutation structurelle, au service d’une économie inclusive, résiliente et compétitive.​

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