Décembre 1968 — La magie d’Angkor opère dans toute sa puissance sur une jeune femme de 22 ans qui parcourt inlassablement les temples khmers avec son appareil photo Pentax. Pourtant, elle n’est pas une touriste ou une photographe comme les autres : Solange Brand (1946, Paris) sort de trois années étonnantes passées en Chine, où elle a capturé en toute candeur des photographies en couleurs d’un moment de l’histoire qui aurait pu être en noir et blanc : la révolution culturelle.
Après trois années passées sur "la face cachée de la Terre" - la Chine était alors une terra incognita pour les Occidentaux -, témoin de convulsions politiques et sociales majeures, la jeune femme réalise un rêve d'enfant : Angkor, la cité antique qu'elle avait vue dépeinte dans le magazine de bandes dessinées Spirou, serait la première étape de son voyage de retour. L'impression qu'elle en a retirée est aussi forte que son témoignage photographique l'est aujourd'hui.
Dans une lettre à ses proches, envoyée sur papier à en-tête de l’Auberge des Temples, l’hôtel situé à quelques pas de la chaussée d’Angkor Vat, Solange écrit :
« Je ne peux décrire de telles merveilles, ces réalisations parfaites d’architecture, de sculpture, de bas-relief, ces temples dont certains sont enlacés par des lianes, pris sous les racines des arbres, cette jungle vibrante de cris d’oiseaux, une odeur étonnante s’en dégageant, ces cocotiers, ces bananiers, ces moines, ces femmes en sarongs, ces enfants nus, ces buffles, ces pêcheurs, ces villages flottants, cette vie à l’état pur, épargnée par le progrès, verdoyante, vraie.... Ce pays dégage un calme souriant, une atmosphère extraordinaire, et toujours ces temples en ruine, ces pierres puissantes, vestiges d’un passé admirable. Je prends beaucoup de photos bien sûr, mais je me demande si elles traduiront vraiment ce que je ressens, ce que je vois ».
Une lettre d’Angkor
Les photos transmettent cet émerveillement de la jeunesse, mais aussi un sentiment de fragilité, d’une harmonie qui peut trop facilement se défaire. Revenons à l’époque où ces photos ont été prises : la guerre du Vietnam fait rage ; le roi Sihanouk, inquiet de l’agitation en Chine, a rétabli les relations diplomatiques avec les États-Unis quelques mois plus tôt, mais, malgré la visite de Jackie Kennedy à Angkor en novembre 1967, il se méfie de l’administration américaine ; et le 18 mars 1969, quelques semaines après que Solange eut quitté le Cambodge pour se rendre en Inde, les bombardiers américains B-52 commencent à pilonner furtivement des « cibles » à l’intérieur du pays qui ressemblait à un « paradis sur terre » ; l’Auberge des Temples fermera ses portes en 1971, une victime de plus dans une guerre civile qui mènera à l’horreur.
Sur une centaine de diapositives numérisées (Agfacolor), nous avons sélectionné et imprimé 16 photographies reflétant la vision de Solange sur le Cambodge, ses temples et son peuple. Les temples représentés sont Angkor Wat, Bayon, Bakong, Phnom Bakheng, Banteay Kdei, Banteay Srei, Pre Rup, Roluos Group, Neak Poan, Ta Prohm, Preah Khan, avec les villages flottants au sud de Siem Reap. Outre leur valeur artistique, elles apportent une documentation importante aux chercheurs désireux de se faire une idée plus précise du site d’Angkor juste avant la guerre civile.
La série complète peut être visionnée sur la plateforme Angkor Database.
En savoir plus sur la photographe
En juin 1965, Solange termine ses études dans une école de secrétariat lorsqu’on lui propose un poste à l’ambassade de France qui vient d’ouvrir à Pékin. « Je me suis sentie libre, peut-être grâce à mes racines, fille d’immigrés qui voulait voir le monde », se souvient-elle, « mon frère aîné a dû m’aider à convaincre mes parents de me laisser partir en Chine, car je n’avais pas encore atteint l’âge de la majorité légale. Je n’avais jamais pris de photos auparavant, mais j’ai acheté un appareil photo Pentax à Hong Kong avec mes premières économies. Les pellicules couleur venaient également de Hong Kong, car il n’était pas possible d’en trouver en Chine ».
Se sentant en empathie avec les jeunes attirés à Pékin par la révolution culturelle, elle a commencé à prendre des photos, voyageant dans les provinces chinoises lorsque les autorités le permettaient. Lorsque ses photos - qu’elle avait archivées pendant les décennies où elle était directrice artistique du Monde Diplomatique - ont été montrées en Chine en 2002, elles ont eu un impact énorme, car ce moment douloureux de l’histoire chinoise avait été enveloppé dans le silence.
Son livre Pékin 1966, petites histoires de la révolution culturelle (Paris, 2005) a été édité au Japon (Pékin 1966, avec un texte additionnel de Kazuyoshi Shimozawa et Masaaki Tsuchiya, Benseï Publishing, Tokyo, 2012 [bensey. co.jp]) et en Chine (中国记忆,1966:一位法国摄影师镜头下的彩色中国, China Memory 1966, Shanxi People’s Publishing House, Beijing, 2015). La publication est commentée sur l’encyclopédie en ligne Baidu (en chinois).
Ce sera également la première fois que Solange se rendra au Cambodge depuis qu’elle a été invitée à participer au festival photo d’Angkor en 2011 et 2012.
L'exposition est visible à Templation Angkor Resort depuis le 20 novembre 2023. Vernissage à Penh House 30 Nov. 2023, à partir de 17h30.
Siem Reap : 20-29 Nov. Phnom Penh : 30 Nov- 30 Dec.
L'exposition de Phnom Penh est associée au festival photo de Phnom Penh 2023.
Les tirages seront disponibles à l'achat lors des deux expositions. Pendant les expositions, plusieurs tirages des photos de Solange Brand prises en Chine seront exposés.
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