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Cambodge & Interview : Patrice Leconte en toute sincérité à propos de ses rêves et du Royaume

Entre un atelier cinéma pour PSE et la projection de son film « Ridicule » à l’IFC la semaine dernière, le célèbre réalisateur français a pris le temps et la gentillesse de se confier à Cambodge Mag. Une interview en toute franchise, à propos de sa rencontre avec PSE, de ses rêves, de ses filles, de son impression à propos du Cambodge d’aujourd’hui.

 

Entretien réalisé par Julia Pasquier-Desvignes (Thalias Group) pour Cambodge Mag

 

Pourquoi êtes-vous au Cambodge et pourquoi, en fait, êtes-vous intéressé par l’association Pour un Sourire d’Enfant (PSE) ?

Concernant PSE, j’avais un frère cadet qui travaillait dans le secteur de l’hévéa, l’arbre à caoutchouc. Il effectuait des séjours assez longs au Cambodge, en Haute-Volta, en Côte d’Ivoire et en Thaïlande, et quand il était au Cambodge, il était là déjà depuis trois ans, je crois, il me dit un jour ;

« C’est dommage parce que je vais bientôt quitter le Cambodge, c’est un pays absolument formidable, venez me rejoindre pour qu’on passe une semaine ou quinze jours ensemble. »

Ça, c’était il y a 22 ans. Son épouse et lui-même, connaissaient bien PSE, et donc Christian et Marie-France des Pallières. Son épouse me dit qu’elle voulait vraiment me présenter des gens absolument formidables, les des Pallières.

Nous avons donc bu un verre dans un bar avec Christian des Pallières et j’avais l’impression de le connaître depuis 25 ans tellement son contact était « immédiat ».

Moi, d’habitude, je suis de « plein pied » avec les gens, enfin j’essaye le plus possible. Donc on s’est tout de suite bien entendus.

Et puis, un an plus tard, j’ai eu un projet de film que je suis venu tourner ici au Cambodge. Christian m’a alors fait visiter des choses telles que cette fameuse décharge qui, Dieu merci, n’existe plus. Puis, je suis venu assez régulièrement dans le pays. Christian m’ayant proposé de faire un film, j’ai fait un film. Ensuite, il m’a proposé de devenir parrain de PSE.

« OK, lui ai-je rétorqué, cela veut dire que quand il y a des journalistes qui viennent ici, moi je deviens tour opérateur, je le comprends, mais c’est vrai que, sans être prétentieux, les journalistes viennent d’autant plus volontiers quand un cinéaste connu va les accompagner. »

Voilà. Oui. Donc c’est prétentieux, mais je sais que ça marche comme ça et j’en suis conscient, c’est très bien.

Et Christian ?

Christian était passionné de cinéma, très cinéphile, il avait envie de filmer lui-même, de réaliser des petits courts-métrages, des trucs sur PSE, mais pas que…

Il m’a confié souhaiter ouvrir une école de cinéma parce que dans les formations professionnelles de PSE il y a déjà la mécanique, l’hôtellerie, la restauration, tout ce qu’il faut. Il voulait aussi une école de cinéma parce qu’il n’y en avait pas.

Puis, le projet a commencé tout petit avec cette école de cinéma, il m’a demandé de m’en occuper, de venir le plus souvent possible, de rencontrer les étudiants. Donc c’est un peu sur cette lancée-là, et pas uniquement pour faire tour opérateur avec des journalistes, que je suis venu plusieurs fois pour travailler avec les étudiants de ce projet.

J’ai aussi envoyé ici des techniciens que je connaissais bien et qui étaient d’accord pour venir passer 10 jours, soit un perchman, un assistant-opérateur, pour communiquer, et expliquer comment fonctionne ce métier-là.

Depuis vous venez régulièrement, tous les ans ?

Ah non, non, pas tous les ans, seulement quand je peux et qu’ils me préviennent suffisamment à temps. Si je suis en tournage, évidemment, je ne peux pas accepter. Par contre, si je suis libre, je saute dans un avion.

Que pensez-vous de PSE aujourd’hui ?

Je pense que PSE est unique au monde. J’en suis presque sûr. Il ne s’agit pas de mettre en concurrence toutes les ONG ni de clamer qu’ils sont les meilleurs, mais l’aventure de PSE, l’itinéraire de ce couple, c’est quelque chose que même dans les rêves les plus fous, on a peine à imaginer.

En clair, tu vas dans un pays, tu constates la détresse et la misère extrême des familles, des enfants surtout, et tu dis, vraiment malheureux, c’est trop triste, et puis tu rentres chez toi. Donc tu compatis, tu es sensibilisé, tu es bouleversé, tu restes chez toi. Mais, tu te sens forcément un peu impuissant.

Et eux, ils sont rentrés en France, ils se sont dit que c’était intolérable. Christian s’est dit :

« Je ne peux pas continuer à travailler chez IBM, ce n’est pas possible, ma vie est à Phnom Penh pour sauver les enfants de la décharge et les nourrir. ».

Le projet a démarré avec une petite cabane en bordure de la décharge - qui est une vision, mais d’enfer, c’est à peine pensable. Enfin, mon Dieu !

Et il a nourri les enfants. Ça a commencé par une petite cabane, puis… le film « Les Pépites », que je trouve formidable, montre bien l'évolution de cette aventure humanitaire et a vraiment permis de faire connaître cette association au plus grand nombre. Christian était physiquement la représentation métaphorique et humaine de cette formule à laquelle je crois profondément qui est « aucun rêve n’est impossible ».

Revenons sur vos voyages dans le pays

Je suis donc venu la première fois il y a 22 ans pour rendre visite à mon frère Antoine. Un an plus tard, je suis revenu pendant cinq semaines avec une équipe de tournage, nous étions seulement trois pour réaliser un long métrage que j’ai tourné un peu partout dans le pays.

J’effectue depuis des voyages réguliers dans le Royaume, mais j’aimerais revenir plus souvent. En fait, ce que j’adorerais, c’est pouvoir avoir un mois complet afin de travailler avec l’école de cinéma de PSE.

« Je pourrais ainsi être plus disponible et tourner un court métrage qui serait écrit par les étudiants, parce que moi, je n’ai aucune légitimité pour écrire un court métrage qui se déroule au Cambodge. »

Ce serait l’aventure, je connais le Cambodge, mais je ne connais pas suffisamment les Cambodgiens. Idéalement, ce serait une histoire qui serait écrite par les étudiants, à propos de ce qui les concerne, sur je ne sais pas quel sujet, peu importe, mais pourvu que ce soit intéressant. Le principe serait de superviser le scénario, d’amener des suggestions, de les aider un peu sur l’écriture et ensuite de venir tourner le court métrage uniquement avec une équipe de PSE.

C’est cela qui leur manque, c’est d’avoir un « patron ». Un réalisateur intervient constamment en disant : « attends, on met la caméra là, on fait le plan, ce n’est pas bien, maintenant… »

Donc, il ne manque que vous ?

Oui, peut-être, mais cela nécessiterait pas mal de temps, car il faut effectuer des repérages avec les comédiens, faire un peu de casting, tourner, etc. Et après, il faut rester pour le montage, la post-production. Donc, en venant un mois, je pense que ce serait possible et je suis sûr que ce serait plutôt formateur pour de jeunes gens de travailler avec un réalisateur qui connaît son métier.

Même avant la fin des trois ans d’études, certains travaillent déjà pour la télévision…

Ce n’est pas tout fait pareil, car ils n’ont jamais travaillé sur un film de fiction. Il est vrai qu’au Cambodge, il n’y a pas beaucoup de films de fiction tournés par des Cambodgiens. Ce ne serait pas pour tourner un long métrage, car cela demanderait un investissement de temps plus considérable. Mais de tourner un court métrage, un film en langue khmère avec une histoire bien ficelée qu’on fignolerait, oui, je pense que c’est possible.

Et, la langue ne serait pas forcément un obstacle, car tu sens à l’oreille et à l’œil si les acteurs sont dans l'ambiance de la scène. Par exemple, sur un film que j’ai fait, il y avait un tas d’acteurs russes et je savais ce qu’ils disaient, mais je sentais si c’était juste ou pas, vraiment. Tu n’as pas forcément besoin de comprendre les mots.

Ce serait donc un beau projet, quelles chances de le réaliser ?

J’aimerais bien, car, en plus, parmi mes deux filles, il y en a une qui est devenue réalisatrice après avoir été scripte pendant très longtemps et la deuxième, Alice, qui a 39 ans, a été assistante déco de nombreuses années, maintenant elle est chef décoratrice et connaît bien le Cambodge et PSE.

Je lui ai dit il y a peu de temps que j’avais ce rêve de venir travailler avec les étudiants et que nous soyons tous les deux à les encadrer et depuis, elle ne rêve que de ça.

Donc j’en ai parlé à Nicolas, le directeur de l’école et ce serait un truc inouï. Ce serait un projet père-fille.

Le cinéma, une affaire de famille chez les Leconte ?

Ma famille, mes parents sont des provinciaux et n’ont rien à voir avec le cinéma, aucun rapport, mais moi c’était mon rêve depuis toujours. Mon père était très cinéphile, c’était son passe-temps favori, donc il m’a peut-être communiqué cette passion, je ne sais pas, sans doute.

Quant à mes filles, c’est spontanément qu’elles ont eu envie de faire ça, parce qu’elles m’accompagnaient, venaient traîner sur les plateaux et observaient. Marie, l’aînée a 49 ans, elle a été assistante scripte pendant longtemps, puis est passée scripte. Et je lui ai mis de pied à l’étrier. Après elle s’est débrouillée, elle n’était plus jamais libre tellement elle travaillait… Alice, la « numéro 2 », est assistante déco depuis très longtemps, puis elle a sauté le pas, elle est passée cheffe et va faire mon prochain film.

Nous nous entendons très bien, mes filles sont vraiment extra, elles ont des personnalités très différentes. C’est un peu subjectif, d’accord, mais je les adore. Je souhaitais, un jour ou l’autre, pouvoir faire un film sur lequel elles soient libres toutes les deux, qu’il y en ait une qui soit la déco, l’autre la scripte, mais cela n’a jamais pu se faire, car elles n’ont jamais été libres ensemble. Pourtant, je les prévenais longtemps, à l’avance.

Que pensez-vous de l’évolution du pays 22 ans après ?

Curieusement, il y a quand même énormément de choses qui n’ont pas changé du tout.

Toutes ces petits commerces à la sauvette et tout ça, ça a toujours été et ce sera toujours.

Curieusement, ce qui est le plus frappant, c’est que maintenant, tous les deux roues ont des casques (rires). J’avais tourné une séquence importante du film que j’ai tourné ici, à propos des motos. C’était un petit ballet avec six personnes sur le deux-roues. Personne n’avait de casque. Aujourd’hui, je ne pourrais plus tourner cette séquence parce que c’est affreux, tous ces casques. C’est obligatoire, alors…

Aussi, ce qui me navre un peu, ce sont ces galeries marchandes de luxe et autres signes extérieurs qui font penser à ceux qui visitent Phnom Penh que tout va bien et que le pays s’en sort merveilleusement bien.

Pourtant, si tu vas dans la petite ruelle qui est derrière le concessionnaire x, tu vois des gens qui vivent dans un état de dénuement et de pauvreté qui n’est pas acceptable. Je pense qu’il y a une classe moyenne qui existe malgré tout et qui ne s’en sort pas trop mal. Mais, les gens très riches sont peut-être de plus en plus riches et les gens très pauvres sont… encore plus pauvres. Et du coup, cela fait encore plus de contraste, justement, entre la pauvreté qui est toujours là et les gens de plus en plus riches qui construisent et construisent encore.

La réalité profonde se trouve à mon sens beaucoup plus préoccupante, parce que si tous les Cambodgiens, les habitants de Phnom Penh pouvaient fréquenter les galeries de luxe et s’acheter des sacs x, PSE ne servirait plus à rien, mais je crois que le Cambodge reste encore un des pays où il y a le plus d’ONG, d’ailleurs.

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