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Cambodge & Histoire : Étienne Aymonier, découvreur et passeur des mondes khmer et cham

À la croisée du XIXe et du XXe siècle, dans le tumulte des conquêtes coloniales et l’exploration des terres lointaines, s’est imposée une figure singulière, tour à tour militaire, linguistique, explorateur et érudit : Étienne François Aymonier (1844-1929). Homme aux multiples talents, il fut le premier scientifique à arpenter méthodiquement les ruines et à déchiffrer les inscriptions du royaume khmer d’autrefois — aujourd’hui le Cambodge, la Thaïlande, le Laos et le sud du Vietnam — mais aussi à étudier la civilisation cham méconnue de ces contrées.

Son œuvre, fondatrice et toujours incontournable, a profondément marqué l’archéologie, l’épigraphie, la linguistique et l’histoire de l’Asie du Sud-Est
Son œuvre, fondatrice et toujours incontournable, a profondément marqué l’archéologie, l’épigraphie, la linguistique et l’histoire de l’Asie du Sud-Est

Son œuvre, fondatrice et toujours incontournable, a profondément marqué l’archéologie, l’épigraphie, la linguistique et l’histoire de l’Asie du Sud-Est.

Des origines modestes à la découverte de l’Indochine

Né le 26 février 1844 au Chatelard en Savoie, région rurale de France alors intégrée au Royaume de Sardaigne, Étienne Aymonier grandit dans une famille d’agriculteurs et de bergers. Brillant jeune homme, il accéda à l’armée, entrant en 1866 à l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, d’où il sortit officier dans l’infanterie de marine. En 1869, sa carrière le mena à Cochinchine (Sud Vietnam actuel), première étape de sa longue immersion dans la péninsule indochinoise.

Dès son arrivée, Aymonier sut s’immerger dans la culture locale, apprenant la langue khmère et se passionnant pour les traditions de la région. Son poste d’inspecteur des affaires indigènes à Saigon (1870) fut l’occasion de développer ses compétences linguistiques tout en forgeant des liens étroits avec les communautés cambodgiennes disséminées en Cochinchine.

L’ascension dans l’administration coloniale et le début de l’œuvre savante

À partir de 1873, Aymonier devint adjoint de Jean Moura, représentant de la France au Cambodge, et bientôt lui succéda officiellement de 1879 à 1881. En parallèle, il enseigna le khmer à l’école des administrateurs coloniaux de Saigon, pour laquelle il rédigea d’importants ouvrages linguistiques tels qu’un vocabulaire et un dictionnaire khmérien-français, ainsi qu’une collection de textes khmers. Cette double casquette de fonctionnaire et de chercheur fut déterminante pour son travail d’enquête minutieuse sur le terrain.

Ses tournées incessantes à travers les provinces cambodgiennes lui permirent de copier et traduire de nombreuses inscriptions anciennes, principalement en vieux khmer et en sanskrit, bases essentielles pour la reconstitution historique. Ses publications de cette époque ébauchèrent les premiers travaux d’épigraphie khmère, alors à la croisée de multiples disciplines, avec la collaboration d’éminents sinologues et indianistes.

L’exploration systématique du patrimoine Khmer et Cham

Libéré de certaines contraintes administratives, Aymonier entama entre 1882 et 1885 plusieurs campagnes archéologiques à travers le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et le sud du Vietnam. Avec une méthode inédite de moulages et estampages, il recueillit de précieux documents épigraphiques, offrant au monde occidental une connaissance scientifique solide des civilisations anciennes de la région.

Un fait remarquable fut son voyage chez les Chams à Phanrang où il s’immergea dans leur langue, leur culture et leurs manuscrits, peu explorés jusqu’alors. Convaincu qu’une meilleure compréhension épigraphique passait par la maîtrise linguistique, il s’entoura de collaborateurs cham, insufflant une démarche pionnière de recherche collaborative sur le terrain.

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Cette passion se traduisit notamment par la publication d’un dictionnaire cam-français avec Antoine Cabaton en 1906, et par de nombreux articles dédiés aux inscriptions et coutumes chames, qui complétaient l’étude khmère.

Le monument de "Le Cambodge" et la reconnaissance académique

L’œuvre maîtresse d’Aymonier demeure Le Cambodge, un ambitieux traité en trois volumes parus entre 1900 et 1904, véritable synthèse de ses découvertes archéologiques, épigraphiques et historiques. Ce travail, encore aujourd’hui une référence incontournable, fut parmi les premiers à offrir une analyse rigoureuse de l’histoire ancienne du Cambodge ainsi que des provinces siamoises sous influence khmère.

Malgré une production scientifique fertile, son caractère indépendant et parfois peu diplomatique lui valut frictions et controverses, notamment avec Paul Pelliot et d’autres sinologues, l’écartant de certains cénacles prestigieux de la recherche française. Néanmoins, il fut le premier directeur de l’École coloniale à Paris où il continua à transmettre ses savoirs, notamment la langue khmère, jusqu’à sa retraite en 1905.

Un héritage patrimonial et scientifique vivant

Outre ses travaux, Aymonier a constitué une collection exceptionnelle de sculptures khmères, exposée notamment au Musée Guimet à Paris. Son apport dépasse la simple érudition, ayant permis d’établir les fondations de l’épigraphie khmère, discipline alors embryonnaire, et de révéler la richesse méconnue de la civilisation cham.

Aujourd’hui, son nom est immortalisé à travers diverses institutions, publications et même un poisson d’eau douce d’Asie du Sud-Est, le Gyrinocheilus aymonieri. Il reste une figure clé du « field Orientalism » — un orientaliste de terrain, engagé sur le terrain et non enfermé dans la tour d’ivoire académique.

Une vie au service de la mémoire d’Indochine

Étienne Aymonier, en explorateur infatigable et érudit exigeant, a su percer les mystères des inscriptions des temples d’Angkor et au-delà, véritable passeur entre l’Orient ancien et l’Occident émergent.

Son œuvre demeure un jalon incontournable pour comprendre les racines historiques du Cambodge et des peuples voisins. Plus de cent ans après sa disparition, son legs éclaire encore les chercheurs et passionnés, qui marchent dans ses pas à travers les vestiges millénaires de l’Asie du Sud-Est.

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