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Économie & Opinion : Le Cambodge confronté à une tempête tarifaire américaine, le secteur textile à la croisée des chemins

Dans un contexte qui fait des vagues dans les bastions industriels de l'Asie du Sud-Est, les États-Unis vont imposer des droits de douane de 36 % sur toutes les exportations cambodgiennes, en particulier les produits textiles et les chaussures, à compter du 1er août 2025. Arnaud Darc réagit en direct sur TV5 Monde.

S'exprimant en direct depuis Phnom Penh sur TV5MONDE, Arnaud Darc, un représentant clé du secteur privé cambodgien, n'a pas mâché ses mots
S'exprimant en direct depuis Phnom Penh sur TV5MONDE, Arnaud Darc, un représentant clé du secteur privé cambodgien, n'a pas mâché ses mots

Annoncée dans le cadre d'un nouveau virage protectionniste radical à Washington, cette hausse unilatérale plonge les dirigeants industriels cambodgiens, les investisseurs étrangers et des milliers de travailleurs dans une grande incertitude quant à l'avenir du modèle de croissance du royaume, fortement dépendant des exportations.

Six mois après son retour à la Maison Blanche, le président Donald Trump a donné le ton avec un mélange puissant d'assertivité exécutive et de position commerciale très agressive.

Ces nouveaux droits de douane, qui s'étendent bien au-delà du Cambodge pour toucher l'Europe, le Canada, l'Amérique latine et l'Asie, constituent le dernier acte en date d'une quête incessante d'avantages commerciaux pour les États-Unis. Cependant, parmi les petites économies, rares sont celles qui subissent un choc plus violent que le Cambodge, dont la prospérité est étroitement liée aux exportations de vêtements et de chaussures destinés aux géants de la distribution outre-Pacifique.

« Ce n'est pas un droit de douane protecteur, mais un droit de rupture »

S'exprimant en direct depuis Phnom Penh sur TV5MONDE, Arnaud Darc, un représentant clé du secteur privé cambodgien, n'a pas mâché ses mots : « Trente-six pour cent, ce n'est pas un droit de douane protecteur, c'est un droit de douane de rupture ». Il a établi une distinction claire, soulignant que le Cambodge, contrairement à de nombreux concurrents, n'a jamais bénéficié de subventions importantes et que ses usines fonctionnent de manière transparente, dans le respect des réglementations et des codes de conduite internationaux.

Les négociations avec Washington se poursuivent, a confirmé M. Darc. Les autorités cambodgiennes travaillent sans relâche pour obtenir une réduction à 25 %, ce qui permettrait au moins à leurs industries de rester compétitives par rapport à leurs voisins régionaux, le Vietnam, l'Indonésie et le Bangladesh.

Cependant, à l'heure actuelle, le taux de 36 % reste en vigueur, et M. Darc prévient que son ampleur menace de « déconnecter » le Cambodge des principales chaînes de valeur mondiales.

Une artère économique vitale menacée

L'ampleur du risque est considérable. En 2024, les exportations vers les États-Unis représentaient 42 % du commerce extérieur total du Cambodge, soit plus de 9 milliards de dollars. Dans les secteurs du textile, des articles de voyage et de la chaussure, cette dépendance est encore plus forte, atteignant jusqu'à 70 % des expéditions. Ces chiffres ne sont pas abstraits : derrière eux se cachent près de 850 000 travailleurs directs dans les usines, dont la plupart sont des femmes, ainsi que d'innombrables personnes à leur charge.

Le Cambodge s'est forgé une réputation de fournisseur fiable et éthique, produisant chaque année plus de 200 millions de t-shirts, 60 millions de paires de chaussures et 50 millions de sacs de voyage destinés aux rayons américains. Aujourd'hui, cette artère vitale risque de se resserrer, avec des répercussions plus larges sur les moyens de subsistance et la stabilité intérieure.

Conséquences immédiates pour les consommateurs et les travailleurs

L'effet concret de ces droits de douane est brutal, explique Darc :

  • Un t-shirt à 5 dollars passe désormais à 6,80 dollars

  • Un sac à 15 dollars passe à 20 dollars

  • Les baskets passent de 22 dollars à 30 dollars

Ces produits de première nécessité sont essentiels pour les consommateurs américains au quotidien, transformant une politique visant les producteurs étrangers en ce que M. Darc qualifie de « taxe invisible » sur le budget des ménages américains. Dans le même temps, jusqu'à 100 000 emplois cambodgiens sont immédiatement menacés, et 250 000 autres sont vulnérables si la production est délocalisée. Les premiers signes avant-coureurs sont déjà visibles : suspension de commandes, fermetures temporaires d'usines et familles sombrant dans la précarité.

M. Darc a critiqué la logique qui sous-tend ces droits de douane, affirmant qu'ils infligent un « double coup » : ils pénalisent à la fois les importateurs américains et les travailleurs cambodgiens sans pour autant reconstruire une capacité de production équivalente aux États-Unis. « Il s'agit d'une taxe déguisée, et non d'une stratégie industrielle », a-t-il affirmé.

Les prix des textiles américains ont chuté de 50 à 70 % au cours des 30 dernières années, contribuant à financer les progrès réalisés dans les domaines de la santé, de l'éducation et de la technologie aux États-Unis. Les nouveaux droits de douane menacent de mettre fin à cette dynamique, mais, comme le souligne M. Darc, l'économie de la production textile américaine, freinée par des coûts de main-d'œuvre dix fois plus élevés qu'au Cambodge, rend la « relocalisation » peu plus qu'une chimère.

Un message aux investisseurs étrangers

Ce changement de politique a naturellement inquiété les entreprises françaises et européennes implantées au Cambodge. La réponse de M. Darc est à la fois franche et mesurée.

Selon lui, les investisseurs méritent d'être informés en toute honnêteté : la crise est grave, mais le Cambodge reste une base industrielle fiable, flexible, stable et réactive.

Le gouvernement s'efforce activement de réduire les coûts logistiques et énergétiques, de diversifier ses marchés et de maintenir ses relations commerciales avec l'Union européenne, le Japon et le Moyen-Orient.

Le Cambodge accélère également la modernisation de son industrie : amélioration de la traçabilité, obtention de certifications internationales et sophistication accrue des produits. Un forum spécial assure une consultation permanente entre le secteur privé et l'État, contribuant à l'élaboration de stratégies pour traverser la tempête.

Au-delà de la crise : s'adapter, ne pas reculer

En résumé, M. Darc a présenté le Cambodge non pas comme une victime, mais comme une nation prête à relever les défis.

« C'est un pays qui ne fuit pas les crises, il les traverse », a-t-il déclaré, signalant sa détermination à sortir non seulement indemne, mais transformé par l'adversité.

Alors que le compte à rebours avant le 1er août a commencé, le sort du secteur textile cambodgien, et donc des moyens de subsistance de centaines de milliers de personnes, est en jeu.

Sous le regard du monde entier, l'impact final de la nouvelle position commerciale des États-Unis ne se fera pas seulement sentir dans les chiffres trimestriels ou les salles de réunion, mais aussi dans la réalité quotidienne des travailleurs, de Phnom Penh à l'Arkansas. La question de savoir si le dialogue avec Washington apportera un soulagement ou s'il marquera un tournant décisif dans la restructuration de l'industrie manufacturière mondiale reste ouverte, au cœur de cette tempête commerciale.

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