Opinion : L’Impérialisme Siamois/Thaï, l’envers du décor du « Pays du Sourire »
- Chroniqueur

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L’impérialisme siamois/thai, souvent occulté par le récit touristique du « pays du sourire », s’inscrit dans une longue histoire de rapports de force, de conquêtes et de réécritures du passé au détriment de ses voisins, en particulier le Cambodge. Le texte suivant, signé Dr TITH Pilot, propose une lecture engagée de cette trajectoire historique, depuis la naissance du Siam aux confins de l’empire d’Angkor jusqu’aux conflits frontaliers contemporains, en mettant en lumière les continuités idéologiques, les stratégies diplomatiques et les fantasmes territoriaux qui nourrissent encore aujourd’hui les tensions entre Bangkok et Phnom Penh.

Origines du Siam aux Confins d’Angkor
Pour comprendre cette récente invasion thaïe envers son petit voisin cambodgien actuel, il faut comprendre l’histoire de la naissance du Siam (future Thaïlande) depuis son origine. En effet, la fondation du Siam (un peuple barbare venant du sud de la Chine, au Yunnan, poussé par une pression chinoise, voire mongole) ne s’est faite qu’à la fin du 13e siècle, aux confins de l’empire khmer d’Angkor, après lui avoir demandé assistance et refuge.
Puis, sentant l’empire d’Angkor décliner, il a acquis son indépendance (donc trahison de son serment(?)) sous un mythe (déjà) fondateur avec leur roi Ramkhamhaeng qui aurait fondé Sukhothaï, avec une stèle en pierre sur laquelle est inscrit ce mythe avec une écriture thaïe ancienne mais copiée sur le khmer ancien (les mêmes alphabets ! en modifiant un peu les caractères curvilignes des consonnes et des voyelles) et en adoptant la culture khmère en vigueur, plus civilisée et moins barbare (costume, danse, boxe, apsara, ballet royal, etc.).
L’Ascension d’Ayutthaya et la Chute d’Angkor
Ensuite, un autre royaume siamois monte en puissance au 14e siècle : c’est Ayutthaya qui ne tarde pas à dominer la région en absorbant Sukhothaï et en détruisant Angkor pour la piller de sa richesse et voler sa population par un transfert de celle-ci au Siam, et ainsi dépeupler Angkor, surtout pour qu’elle ne puisse ni survivre ni renaître de ses cendres.
Heureusement que le Cambodge en déliquescence possède Phnom Penh (Adhémard Leclère) : un point stratégique appelé Chatomukh, que les puissances siamoise (à l’ouest) et vietnamienne (à l’est) (coucou le Vietnam qui fait son apparition dans la région après avoir détruit le Champa en le réduisant à néant !!!) convoitent et pour lequel elles se font la guerre (voir : Sayam Annam Prayuth), sans pouvoir le départager réellement, car chacune voulait Chatomukh en entier (fait rare : le Cambodge avait reconnu deux suzerains pour survivre : le Siam et l’Annam) au 19e siècle, avant l’avènement du roi Ang Duong et avant l’arrivée des Français (protectorat sur le Cambodge en 1863) !
Ruses Diplomatiques et Traité de 1907
Par une ruse, le Siam (pris en tenaille) n’a pas été colonisé par les deux puissances étrangères de l’époque : l’Angleterre (qui était en conflit/rivalité directe avec la France) et ladite France, par une diplomatie siamoise vile, en dupant la France pour conserver Battambang, Sisophon et Siem Reap dans son giron dans un premier temps. Mais en découvrant cette supercherie politique siamoise de l’époque, la France a finalement obtenu la rétrocession de ces trois provinces perdues via un traité franco-siamois de 1907 (donc pour aussi lui éviter sa colonisation) avec reconduction régulière des deux parties.
Mais il ne faut pas oublier que c’était aussi en échange de Trat et de Korat qui ont été cédées au Siam (pour apaiser les tensions avec ce dernier, qui sort finalement gagnant quand même de ces régions !). Pourtant, le Cambodge a célébré ce traité comme une mini-victoire, qui est gravée sur pierre (?) au Vat Phnom (à l’instar des anciens Khmers qui avaient cette tradition : les inscriptions lapidaires sur les murs des temples khmers sont un des points forts des Khmers de l’époque, comme pour laisser une empreinte pour les générations futures au cas où elles pourraient disparaître !!).
Réécriture de l’Histoire et Mythe des « Khom »
En effet, le Siam, par moult tentatives de réécriture de l’histoire siamoise (des Thaïs), présente le Cambodge moderne comme un peuple sauvage, non civilisé, qui serait venu usurper ce magnifique empire khmer, en se prétendant, à qui voudrait bien le croire, les héritiers directs de ce peuple d’Angkor ! Mais hélas, ce dernier peuple aurait disparu depuis longtemps !
Les Thaïs ont même inventé le terme de « khom » (une population autochtone d’origine angkorienne qui serait différente des Khmers), qui serait à l’origine de cet empire d’Angkor, mais ces Thaïs inversent le rôle en disant que c’était plutôt eux-mêmes qui seraient finalement les légitimes et heureux descendants d’Angkor (distorsion de l’histoire) !!! Ces mêmes Khmers (actuels) ne seraient qu’une minorité ethnique usurpant cette population khom.
Malheureusement pour eux, il y a eu des historiens passionnés de cet empire dont les analyses lapidaires inscrites dans les murs des temples khmers montrent à l’évidence que les siamois étaient des réfugiés au sein de cet empire de l’époque, ayant demandé assistance face au danger chinois du nord et jouant le rôle d’éclaireurs pour l’armée khmère… : les Syam Kuk (?) entre autres.
Ère Moderne : Expansionnisme Pan-Thaï et Seconde Guerre Mondiale
Cette histoire continue à l’époque moderne avec l’invasion des territoires de Battambang, Sisophon et Siem Reap pendant la 2e Guerre mondiale sous une idéologie nouvelle inspirée du fascisme/nazisme : l’expansionnisme pan-thaï sous la direction du petit dictateur Phibun Songkhram, qui rêvait d’envahir ses voisins (y compris Malais, Birmans et Laotiens) par une politique expansionniste (Dr Mahathir Mohamad).
C’est avec cette fourberie que la Thaïlande évite que l’empire du Japon l’envahisse, en lui faisant finalement alliance, et par conséquent, elle a, à nouveau, annexé les territoires khmers de Battambang, Siem Reap et Sisophon ! Cette idéologie fasciste continue à être enseignée aux jeunes Thaïs de nos jours, qui apprennent que leur territoire a été perdu au profit du Cambodge ! Ces territoires annexés (Battambang, Sisophon et Siem Reap) ne seront restitués au Cambodge qu’à la fin de cette 2e GM, sous la pression de la France.
Khmer Issarak, Preah Vihear et la CIJ
Ensuite, il ne faut pas oublier que le mouvement Khmer Issarak a été fondé à Bangkok en 1940 pour aider à accélérer l’indépendance du Cambodge vis-à-vis de la France, indépendance qui sera obtenue en 1953, et n’ayant pour seul but : de pouvoir récupérer à nouveau ce petit Cambodge (du moins les trois provinces) sans sa puissante protection française.
C’est pour cela que la Thaïlande a envahi et occupé le temple de Preah Vihear à partir de 1954 (juste après son indépendance), mais que la CIJ de La Haye l’a finalement et définitivement attribué au Cambodge en 1962 ! Ce qui obligea la Thaïlande à se retirer de ce temple, non sans, au passage, le dégrader lors de son retrait.
Soutien aux Khmers Rouges et Guerre Froide
Plus proche de nous, l’extension de la guerre du Vietnam à toute l’ancienne Indochine française (1955, après Dien Bien Phu) a fait que la Thaïlande se range du côté de la puissance américaine pour contenir cette guerre. Et, avec l’arrivée au pouvoir des Khmers rouges en 1975, qui étaient en train de commettre un génocide envers leur propre peuple, elle ne dit rien, pire : elle a reconnu ce régime tortionnaire !
Elle a aussi soutenu ces mêmes Khmers rouges après leur défaite contre le Vietnam socialiste en 1979 pour s’en servir de zone tampon face à l’invasion vietnamienne qui a occupé le Cambodge pendant 10 ans ! Ensuite, elle a commercé librement avec ces mêmes et encore Khmers rouges en toute impunité (trafic en tout genre, exploitation de pierres précieuses, de forêts… posant des mines tout autour des frontières…), tant que le Cambodge restait faible et instable : cela faisait son affaire.
Renaissance Cambodgienne et Jalousie Thaïlandaise
Mais avec la paix revenue au Cambodge en 1993 grâce à l’instauration des élections libres sous l’égide de l’ONU, et surtout depuis la fin du mouvement Khmer rouge en 1999 (mort de Pol Pot en 1998, reddition de Ta Mok en 1999) !!, le Cambodge a connu une croissance économique vertigineuse de 7,5% par an pendant deux décennies : ce Cambodge moribond semble renaître tel un phénix avec l’ouverture économique, certes à outrance, mais se positionnant comme un nouvel eldorado pour les investisseurs dans l’idée de Singapour !!!
Ce Cambodge a pour ambition de devenir un pays à haut revenu en 2050 (si tout se passe bien). Mais, hélas, suscitant la jalousie décomplexée de sa voisine de l’ouest, la Thaïlande tente, par cet ultime sursaut nationaliste (pour oublier aussi ses problèmes de division interne), d’envahir à nouveau ce Cambodge qui est vu comme plus faible, théoriquement (comme dans le passé !!!), en attaquant de nouveau Preah Vihear en 2008, mais se voyant contrainte de se retirer après que la CIJ reconnaît encore la paternité cambodgienne de ce temple khmer !
Crise de 2025 : Opportunité pour un Rêve Expansionniste ?
Cette nième invasion serait-elle la dernière ? Rien n’est moins sûr, vu son histoire jalonnée de sournoiserie, de calcul politique, de manipulation… pour avaler totalement le Cambodge !!!
Elle a récidivé cet été 2025 en attaquant le Cambodge de plus grande ampleur (du jamais vu depuis la 2e GM), car elle pense que c’est peut-être le moment ou jamais de croire à ce rêve fou, caressé depuis plusieurs siècles (à notre époque encore) par une faction militaire fasciste : reprendre au moins ces trois dernières provinces dont Angkor !
C’est une opportunité rare pour manipuler (si bien) :– la communauté internationale (en invitant des journalistes sur le terrain…) ;– son propre peuple (en lui présentant un petit peuple faible voulant faire la guerre à la puissance thaïe).
Elle fait ainsi monter un nationalisme exacerbé qui n’entraîne que haine et racisme des deux côtés…
Vers une Frontière de Paix ?
Au final, la Thaïlande ne pourra jamais éradiquer le Cambodge (ni récupérer Battambang, Sisophon et Siem Reap), qui sera toujours son voisin grâce notamment à sa tradition de résilience ! Donc, pourquoi ne pas bâtir une frontière de paix entre ces deux pays, puisque nous vivrons tout le temps ensemble ?
On peut se poser la question du rôle élargi de l’ASEAN (à l’instar de l’UE) : pour aller au-delà des nationalismes, comme dans la construction de l’Europe après la 2e GM avec l’apaisement des relations franco-allemandes !!! Et donc pour éviter cette haine, ce racisme destructeurs pour les deux pays.
Pourquoi ne pas enterrer la hache de guerre ? En respectant purement et simplement ce traité franco-siamois de 1907 ? Car la Thaïlande ne pourra plus rêver ces territoires : Battambang, Sisophon et Siem Reap (qui comprend Angkor Vat), notre Alsace-Lorraine.
Par Dr TITH Pilot - Médecin à Lorient (France)







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