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L’ambivalence de la Thaïlande dans la paix régionale, ses liens « exemplaires » avec la junte birmane

Le double jeu thaïlandais s’inscrit dans une stratégie régionale où l’image de médiateur n’occulte jamais la volonté de préserver, voire d’accroître, son influence sur ses voisins et sur les processus de paix eux-mêmes. Cette posture n’est pas exclusive au conflit avec le Cambodge : elle réapparaît avec force dans la crise birmane.

L’ambivalence de la Thaïlande dans la paix régionale, ses liens « exemplaires » avec la junte birmane

Paix sur-mesure ou guerre à avantage ?

Lors des épisodes de tensions avec le Cambodge, notamment autour des conflits frontaliers entre 2008 et 2011, la Thaïlande s’est positionnée en partisan du dialogue tout en poursuivant, sur le terrain, une politique offensive ou attentiste, selon ses intérêts stratégiques.

Derrière l’appel aux cessez-le-feu se cache non pas un engagement sincère pour la paix universelle mais une volonté d’imposer un « statu quo » favorable à ses propres revendications, qu’il s’agisse d’intérêts territoriaux ou d’image régionale. Tout accord de paix envisagé se trouve de facto conditionné au maintien d’un rapport de forces favorable à l’armée thaïlandaise et à son gouvernement. Cette posture n’est pas isolée : elle réapparaît avec force dans la crise birmane.

L’exemple birman : entre fraternité militaire et complicité économique

Le double discours thaïlandais résonne particulièrement dans ses rapports avec la Birmanie. Le coup d’État militaire de 2021 à Naypyidaw, loin de provoquer une rupture avec la junte, a mis en lumière la solidarité de fait entre les deux appareils militaires. Il existe une vraie « fraternité » entre l’armée thaïlandaise et la Tatmadaw (armée birmane), forgée par l’histoire des coups d’État, le partage de près de 2,400km de frontières et d’intérêts sécuritaires et commerciaux communs. Les liens sont aussi économiques :

le secteur énergétique et les ressources naturelles birmanes offrent des débouchés considérables à certaines sociétés publiques thaïlandaises, accusées de soutenir financièrement la junte birmane.

La réaction officielle de la Thaïlande au putsch de février 2021 a été révélatrice de cette proximité : « c’est une affaire interne », déclare le vice-Premier ministre, reprenant un argument classique de non-ingérence tout en laissant les mains libres à la junte voisine. Cette solidarité est multiforme : soutien politique, coopération sécuritaire, et même mimétisme discursif sur la promesse d’élections de façade pour normaliser les régimes militaires.

La Thaïlande a, elle-même, renoué avec le pouvoir issu d’un coup d’État militaire en 2014, suivie d’élections controversées qui ont maintenu la junte au pouvoir sur fond de contestation populaire.

L’impasse diplomatique de l’ASEAN et l’indulgence internationale

Le cas birman illustre l’incapacité de la communauté internationale – et de l’ASEAN en particulier – à imposer une sortie de crise crédible. Le fameux « consensus en cinq points » lancé en 2021, prônant une cessation des violences et un dialogue inclusif, est resté lettre morte, la junte refusant toute médiation sérieuse et les membres de l’ASEAN – dont la Thaïlande – privilégiant la non-ingérence ou des gestes humanitaires symboliques sans contraintes.

Cette inertie régionale, renforcée par la division entre États partisans de la démocratie et régimes militaires ou autoritaires, permet à la Thaïlande de s’abriter derrière une légitimité collective pour ne jamais s’engager réellement en faveur d’un retour à la démocratie, en Birmanie comme ailleurs.

La complaisance de la communauté internationale à l’égard des militaires birmans – refus d’embargos durs, absence d’intervention massive, reconnaissance du statu quo – nourrit le sentiment des militaires thaïlandais qu’ils peuvent agir sans crainte de représailles.

Cette indulgence encourage l’armée thaïlandaise, forte de ses propres soutiens internes et de sa culture du coup d’État, à considérer la militarisation du pouvoir, la répression de l’opposition et la négation des aspirations démocratiques comme des options politiquement viables en cas de crise intérieure – voire comme des atouts dans les négociations régionales.

Un processus de paix instrumentalisé

Quand la Thaïlande s’implique dans les processus de paix, que ce soit avec le Cambodge ou comme médiateur dans la crise birmane, c’est souvent pour contrôler l’agenda et servir ses intérêts stratégiques ou commerciaux. Les avancées vers la paix sont conditionnées à la préservation de son influence, tandis qu’une paix réelle risquerait de diminuer ses marges de manœuvre militaires ou diplomatiques.

Que ce soit dans la crise cambodgienne ou birmane, l’armée thaïlandaise utilise ainsi la paix comme levier pour légitimer son rôle et éviter une internationalisation des conflits qui la contraindrait à des concessions véritables.

La Thaïlande s’illustre donc comme le maître du double jeu régional : prônant la paix tout en protégeant ses zones d’intérêt, affichant la neutralité bienveillante envers la junte birmane et monnayant sa coopération selon le rapport de forces.

Cette hypocrisie institutionnalisée, facilitée par l’inaction internationale et la division de l’ASEAN, risque d’ériger l’exception thaïlandaise et l’exemple birman en normes régionales, au détriment des élans démocratiques en Asie du Sud-Est.

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