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Indochine & Cambodge : Pierre Paul Marie Benoît de La Grandière, Maître dans l'art de la diplomatie coloniale

Dans les annales de l'histoire coloniale française, peu de personnages incarnent autant les ambitions, les contradictions et la complexité du projet impérial du XIXe siècle que Pierre Paul Marie Benoît de La Grandière.

Pierre Paul Marie Benoît de La Grandière
Pierre Paul Marie Benoît de La Grandière

Issu d'une famille de marins distingués, La Grandière a vécu et fait carrière pendant les décennies tumultueuses où la France cherchait à réaffirmer son influence mondiale par la conquête, l'administration et le pouvoir transformateur de la modernité. Gouverneur de Cochinchine de 1863 à 1868, il présida à une époque charnière de la construction de l'Indochine française, marquée à la fois par la consolidation de la domination coloniale et par l'émergence de nouveaux paysages culturels, politiques et économiques en Asie du Sud-Est.

Né le 28 juin 1807 à Redon, en Ille-et-Vilaine, Pierre Paul Marie Benoît de La Grandière était l'héritier d'une lignée imprégnée de tradition navale. Son grand-père, Charles Marie de La Grandière, avait combattu pendant la guerre d'indépendance américaine et atteint le grade de commandant à Brest après 64 ans de service. Les racines de la famille remontent à l'Anjou, et les La Grandière ont produit des officiers de marine remarquables depuis le XVIIIe siècle. Son père, Joseph Auguste Marie de La Grandière, émigré royaliste pendant la Révolution française, est revenu servir dans la marine sous la Restauration des Bourbons, avant de prendre sa retraite avec le grade de capitaine de frégate.

L'éducation de La Grandière, façonnée par les valeurs du devoir, de la loyauté et du service, fut enrichie par sa mère, Anne-Marie Chaillou de l'Étang, issue d'une vénérable famille bretonne de magistrats. Ce milieu lui insuffla le sens de la mission, la conviction que la France avait pour destin de diriger, civiliser et commander sur la scène mondiale.

La carrière navale de La Grandière débuta dans l'ombre de l'ère napoléonienne, à une époque où la France reconstruisait sa puissance maritime.

Il se distingua par ses compétences techniques, sa vision stratégique et sa volonté de s'adapter aux nouveaux modes de guerre et d'administration. Au début des années 1860, il avait atteint le grade d'amiral, gagnant la confiance de ses supérieurs et du gouvernement à Paris.

En octobre 1863, La Grandière fut nommé gouverneur de Cochinchine, succédant à Louis Adolphe Bonard. Sa mission était claire : consolider le contrôle français sur le sud du Vietnam, développer Saigon en tant que centre commercial et administratif, et jeter les bases d'un régime colonial durable.

Port de Saïgon
Port de Saïgon

La Grandière aborda sa tâche avec fermeté et pragmatisme. Il comprenait que la conquête militaire seule ne pouvait garantir la sécurité de la colonie ; il fallait créer des institutions efficaces, intégrer les élites locales et favoriser la prospérité économique. Parmi ses premières mesures, il interdit l'exportation du riz afin d'assurer la sécurité alimentaire de la population locale, puis s'efforça d'améliorer la productivité agricole afin de pouvoir à nouveau exporter les excédents.

Cette politique reflétait sa sensibilité aux besoins des colons et des populations autochtones, ainsi que sa reconnaissance de l'importance stratégique du riz dans la région.

Sous la direction de La Grandière, l'administration coloniale a subi une transformation importante :

  • Développement des administrations française et autochtone : Il a élargi et professionnalisé les administrations française et locale, cherchant à fusionner les modèles métropolitains et les pratiques autochtones.

  • De nouvelles écoles ont été créées, reflétant sa conviction de la mission civilisatrice de la France et de la nécessité de former des administrateurs français et vietnamiens.

  • La Grandière a recruté et formé des troupes indochinoises, les intégrant dans l'armée coloniale et abolissant les châtiments corporels, une mesure paternaliste mais progressiste pour l'époque.

L'héritage le plus durable de La Grandière est peut-être sa vision de Saïgon. Il supervisa le développement de la ville en tant que port majeur, jetant les bases de son émergence en tant que cœur économique et culturel de l'Indochine française. Parmi ses projets notables :

  • Conscient de l'importance symbolique de l'architecture, La Grandière chargea Achille-Antoine Hermitte de concevoir un nouveau palais du gouverneur. La première pierre fut posée en mars 1868, avec un coffre contenant des pièces de monnaie de Napoléon III, un geste riche en symbolisme impérial.

  • Zoo et jardin botanique de Saïgon : En mars 1864, il a commandé la création du zoo et du jardin botanique de Saïgon, une institution qui allait devenir un centre de recherche scientifique et de loisirs publics.

  • Il a lancé la collecte d'objets provenant d'anciens sites khmers et cham, jetant ainsi les bases de ce qui allait devenir les archives françaises en Indochine. Ses ordres pour la collecte et la classification systématiques des dossiers marquèrent le début de la pratique archivistique moderne dans la colonie.

Le palais du gouverneur
Le palais du gouverneur

La Grandière ne se contentait pas de l'administration ; il cherchait à libérer le potentiel économique de la colonie. Il recruta M. A. Petiton, ingénieur des mines, pour mener des études géologiques et minières dans toute l'Indochine, signalant ainsi son engagement en faveur de l'exploration scientifique et du développement des ressources.

Le mandat de La Grandière coïncida avec une vague d'ambitions exploratoires françaises en Asie du Sud-Est. Il soutint l'expédition du Mékong de 1866-1868, menée par Ernest Doudart de Lagrée et Francis Garnier, qui cherchait à cartographier le fleuve et à évaluer son potentiel en tant que route commerciale vers la Chine. Cette expédition, bien qu'elle n'ait finalement pas atteint son objectif premier, élargit les connaissances françaises sur la région et renforça la logique stratégique d'une expansion plus poussée.

La Grandière a joué un rôle décisif dans l'établissement du protectorat français sur le Cambodge. En 1863, il remonta le fleuve pour offrir au roi Norodom la protection de la France en échange des droits de navigation et du contrôle des relations extérieures. Cette manœuvre, menée avec un mélange de diplomatie et de force militaire, contraignit les rivaux siamois et vietnamiens à accepter la suprématie française. Les traités qui suivirent officialisèrent le statut du Cambodge en tant que protectorat français, consolidant la réputation de La Grandière en tant que maître de l'art de la diplomatie coloniale.

Le roi Norodom
Le roi Norodom

L'administration de La Grandière fut marquée à la fois par de véritables réformes et par les contradictions inhérentes à la domination coloniale. S'il abolit les châtiments corporels et développa l'éducation, ces mesures s'inscrivaient dans un cadre de domination et d'exploitation. Ses politiques privilégiaient souvent les intérêts et l'autorité de la France, et l'intégration des élites locales visait à servir l'ordre colonial plutôt qu'à autonomiser la société indigène.

La Grandière quitta la Cochinchine en 1868, remplacé par Marie Gustave Hector Ohier. Il est décédé à Quimper, dans le Finistère, le 25 août 1876, à l'âge de 69 ans. Son héritage perdure non seulement dans les institutions et les infrastructures qu'il a mises en place, mais aussi dans les débats sur le sens et la moralité de l'empire. Le navire FS La Grandière, un navire de débarquement amphibie de classe BATRAL de la marine française, a ensuite été baptisé en son honneur, témoignant ainsi de la place durable qu'il occupe dans l'histoire navale française.

Pierre Paul Marie Benoît de La Grandière reste une figure paradoxale : administrateur visionnaire et serviteur de l'empire, réformateur et agent de domination. Sa vie résume les ambitions et les ambiguïtés de l'aventure coloniale française en Asie du Sud-Est. Grâce à ses efforts, Saigon a été transformée, le Cambodge a été attiré dans l'orbite française et la machine administrative coloniale a été mise en marche.

Pourtant, son héritage est indissociable de l'histoire plus large du colonialisme, avec ses promesses de progrès et ses réalités de pouvoir.

Alors que l'histoire continue de faire le bilan de l'héritage des empires, La Grandière nous rappelle que ce sont des individus qui ont façonné leur époque et ont été façonnés par elle. Son histoire n'est pas seulement celle d'un gouverneur ou d'un amiral, mais celle d'un monde en mutation, qui s'efforce de concilier les idéaux et les impératifs, la vision et la réalité.

1 commentaire

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gran ny 2
gran ny 2
08 juil.
Noté 5 étoiles sur 5.

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