Chenda Clais : « Les femmes cambodgiennes ont conquis leur place, mais il faut la consolider »
- Christophe Gargiulo
- il y a 2 minutes
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Dans les locaux feutrés du Sofitel Phnom Penh Phokeethra, où se tenaient vendredi dernier l’AWEN Awards Gala et le Pinnacle Entrepreneurs Forum 2025, Chenda Clais circulait avec la sérénité de celles qui ont, depuis longtemps, trouvé leur place dans l’entrepreneuriat régional.

Fondatrice engagée dans le tourisme responsable et présidente de la fondation de conservation des éléphants Airavata, installée au Ratanakiri, elle incarne une forme de leadership féminin à la fois discret, déterminé et profondément ancré dans le territoire cambodgien.
Une invitée aux multiples casquettes
« Je suis invitée ici sous plusieurs casquettes », sourit Chenda Clais, installée à l’écart du tumulte de la salle de conférence. « D’abord comme femme entrepreneure, active dans le tourisme depuis plus de vingt‑cinq ans, mais aussi comme présidente du projet de conservation des éléphants Airavata, au Ratanakiri. »
Son parcours la relie intimement à l’évolution d’AWEN dans la région. Il y a quelques années, c’est en Thaïlande qu’elle recevait une distinction ASEAN décernée à des femmes chefs d’entreprise. Aujourd’hui, c’est au tour du Cambodge d’accueillir ce rendez‑vous majeur, avant de passer le flambeau au Laos lors de la prochaine édition. Entre‑temps, Chenda est également devenue membre active de la Cambodia Women Business Federation (CWBF), un réseau de cheffes d’entreprise qui pèse de plus en plus dans le paysage économique.
« C’est important d’être présente, non pas seulement pour représenter un projet ou une entreprise, mais pour montrer que les femmes cambodgiennes sont pleinement actrices de la dynamique régionale », insiste‑t‑elle.
Un événement qui rassemble et donne de l’élan
Pour Chenda, la portée de cette journée dépasse largement le protocole et les discours officiels. « Cet événement est très important parce qu’il rassemble tout le monde, en particulier les femmes, mais aussi les hommes qui les soutiennent », explique‑t‑elle. Plus de cinq cents participants se sont retrouvés à Phnom Penh pour cette édition, entre panels, sessions de networking et préparation de la grande soirée de gala, au cours de laquelle sont mises à l’honneur les “Outstanding Women Entrepreneurs” des dix pays de l’ASEAN.
Au‑delà des chiffres, c’est la qualité des rencontres qui compte.
« Ce genre de forum permet de se retrouver entre femmes d’affaires de toute l’Asie, de renouer avec d’anciennes lauréates, de voir comment nos entreprises ont évolué, quelles activités nous avons ajoutées, quels défis nous avons dû surmonter. On échange des expériences, on se donne des idées, on partage aussi ses doutes. »
Pour le Cambodge, cette scène régionale offre une vitrine précieuse. « C’est une occasion de montrer que les femmes travaillent ici autant que les hommes, qu’elles dirigent des sociétés, des associations, des projets ambitieux. Cela prouve que notre pays n’est ni isolé ni en retard : nous sommes membres à part entière de cette communauté asiatique, et nous sommes actifs. »

Femmes cambodgiennes : une place conquise, mais à consolider
Interrogée sur les progrès à accomplir pour que les Cambodgiennes trouvent pleinement leur place dans le monde des affaires, Chenda opère un retour en arrière.
« Si l’on compare avec le passé, la différence est immense. Aujourd’hui, les femmes ont leur place. On ne peut plus dire qu’il existe une barrière systématique entre hommes et femmes. Personnellement, partout où je vais, je suis bien accueillie par les hommes, y compris dans les milieux d’affaires. »
Elle observe avec satisfaction la montée en puissance des femmes leaders dans le secteur privé comme au sein des institutions publiques. « Il y a de plus en plus de femmes à des postes de décision. C’est très positif. » Mais ce constat ne signifie pas que tout est acquis.
« Le chemin n’est pas si long désormais, mais il y a une condition : les femmes doivent aussi faire leur part. Certaines restent trop timides, n’osent pas avancer, hésitent à prendre des responsabilités. D’autres, au contraire, sont très courageuses, très actives. L’espace existe, l’opportunité est là ; il faut oser la saisir. »
Son message est clair : les structures se transforment, les réseaux se renforcent, mais l’élan doit aussi venir de chacune. L’entrepreneuriat féminin n’est plus seulement une question de reconnaissance institutionnelle, c’est également une affaire de confiance en soi, de prise de risque et de solidarité entre pairs.
Tourisme : entre résilience et inquiétude
Chenda garde un regard lucide sur la conjoncture. « Cette année, le tourisme est moins bon que l’an dernier, et nous ne sommes pas encore revenus au niveau d’avant‑Covid », constate‑t‑elle. La crise internationale, la situation économique et les tensions géopolitiques continuent de se faire sentir sur les flux de visiteurs.
« C’est difficile pour tout le monde, mais particulièrement pour le secteur touristique, qui est très sensible aux moindres turbulences », poursuit‑elle. Malgré tout, elle garde un tempérament d’optimiste pragmatique :
« Nous espérons que l’année prochaine sera meilleure, avec une augmentation du nombre de touristes. Le potentiel du Cambodge reste immense, mais il faut du temps pour reconstruire la confiance et les habitudes de voyage. »
Dans les couloirs du forum, les conversations glissent souvent vers ce sujet. Les comparaisons régionales ne sont jamais loin. « J’entends dire que le Vietnam, par exemple, voit ses chiffres repartir à la hausse, que certains marchés se portent très bien. Je préfère, pour ma part, me concentrer sur le Cambodge et sur ce que nous pouvons améliorer ici, plutôt que de commenter la performance de nos voisins. »
Airavata, un engagement au‑delà du business
Derrière le profil de la femme d’affaires, le projet Airavata raconte une autre facette de Chenda : celle d’une entrepreneure engagée dans la préservation d’un patrimoine vivant, culturel et naturel à la fois. La fondation s’attache à sauvegarder les derniers éléphants domestiques du Ratanakiri et les savoir‑faire des mahouts, ces cornacs dont le lien avec l’animal remonte à des millénaires.
Ce choix illustre une vision de l’entrepreneuriat qui dépasse la simple recherche de rentabilité. Pour Chenda, le tourisme peut et doit s’inscrire dans une logique de responsabilité, de transmission et de respect des communautés locales. À l’heure où le monde interroge l’impact du voyage de masse, ce positionnement confère à son parcours une résonance toute particulière.
Une voix parmi d’autres, mais une trajectoire emblématique
Au milieu des grandes annonces et des chiffres impressionnants de l’AWEN Awards et du Pinnacle Entrepreneurs Forum, la voix de Chenda Clais rappelle que l’entrepreneuriat féminin en ASEAN se joue aussi au niveau d’histoires singulières : une jeune femme qui s’engage il y a vingt‑cinq ans dans le tourisme, qui construit patiemment son réseau, qui s’investit dans une cause de conservation, qui rejoint des fédérations et qui, un jour, se retrouve célébrée parmi les “Outstanding Women Entrepreneurs” de la région.
Sans emphase, mais avec une conviction tranquille, elle résume l’esprit de ce week‑end à Phnom Penh : « Nous ne sommes plus à la marge. Les femmes d’affaires d’Asie sont là, elles travaillent, elles dirigent, elles innovent. Et surtout, elles se soutiennent. C’est ce qui fait la force de cette génération. »



