Cambodge & Tourisme 2025 : Une année de fracture, pas d’effondrement
- La Rédaction

- il y a 12 heures
- 4 min de lecture
Fort d’une expérience de plus de vingt ans dans le développement du tourisme et de la gastronomie, Arnaud Darc observe depuis Phnom Penh l’évolution d’un secteur vital pour l’économie nationale. Dans son analyse de l’année 2025, il dresse un constat lucide : le tourisme cambodgien n’a pas connu une chute, mais une exposition brutale de ses fragilités structurelles.

Une année de désillusion chiffrée
Les statistiques du ministère du Tourisme parues en novembre 2025 ont confirmé ce que les professionnels pressentaient déjà : les arrivées internationales ont diminué par rapport à 2024. Mais derrière ce chiffre global, la réalité est contrastée. Les arrivées terrestres ont chuté de près de 30%, tandis que les arrivées aériennes progressaient de plus de 20%.Les visiteurs en provenance de Thaïlande – historiquement premier marché émetteur – ont reculé de 40%, alors que les voyageurs chinois ont bondi dans les mêmes proportions.
Deux dynamiques coexistent donc : un tourisme frontalier en crise, et un tourisme aérien qui démontre une étonnante résilience. Cette dissymétrie, selon Arnaud Darc, révèle que le problème n’est pas un désintérêt pour le Cambodge, mais bien une dépendance excessive à des circuits d’accès fragiles.
L’effet domino des tensions frontalières
Le tournant s’est produit en juin 2025, lorsque l’escalade des tensions à la frontière thaïlando-cambodgienne a entraîné des restrictions de passage, des annulations d’assurance et la suppression massive d’itinéraires régionaux. Des villes frontalières comme Poipet ont vu leurs taux d’occupation hôtelière s’effondrer en quelques semaines.
Ce choc révèle la dépendance structurelle du Cambodge à un modèle de proximité : des flux terrestres à grande échelle, des séjours courts, des voyageurs à faible budget, souvent intégrés dans des circuits centrés sur la Thaïlande. Ce modèle offrait des volumes mais peu de marge. Il garantissait des emplois, mais au prix d’une vulnérabilité extrême. Quand la frontière s’est bloquée, tout un pan du système s’est retrouvé paralysé.
Un modèle trop concentré sur ses corridors
Comme le résume Darc, « le système touristique n’est pas seulement défini par ses attractions, mais par ses accès ». En 2025, le Cambodge a pris conscience qu’il dépendait dangereusement de quelques corridors d’entrée.Cette « dépendance aux corridors » se traduit par :
Une concentration des visiteurs sur quelques points de passage.
Des modèles économiques fondés sur des séjours courts et des tarifs bas.
Une flexibilité quasi nulle dès qu’une route se ferme.
A contrario, les destinations connectées par voie aérienne ont mieux résisté. Les voyageurs long-courriers, les visiteurs à plus fort pouvoir d’achat et les marchés moins exposés à la politique régionale ont continué d’arriver. La Chine, fluide dans ses connexions aériennes et soutenue par des politiques bilatérales favorables, a même servi de bouée de sauvetage partielle.
Le rapport économique de la Banque mondiale (décembre 2025) a confirmé ce diagnostic : la baisse du tourisme cambodgien ne traduit pas une perte d’attrait du pays, mais un choc d’accès. Le Cambodge, comme la Thaïlande avant lui, paie aujourd’hui le retard pris dans la diversification de ses portes d’entrée et de ses offres touristiques.
Angkor, fausse cible mais vrai symbole
À chaque ralentissement touristique, Angkor devient le bouc émissaire facile. Les chiffres de fréquentation y ont diminué, certes, mais Darc insiste : le temple n’a rien perdu de son pouvoir d’attraction. Aucun autre site culturel n’a pris sa place sur le plan mondial. Ce n’est donc pas Angkor qui a faibli, mais la fluidité d’accès au pays qui l’abrite.
Le problème réside ailleurs : non pas dans la surexposition d’Angkor, mais dans la dépendance d’un pays tout entier à des voies d’accès limitées. Angkor reste le cœur symbolique du tourisme cambodgien, mais il ne peut à lui seul compenser la défaillance d’un modèle logistique à bout de souffle.
Le poids du risque réputationnel
Autre facteur aggravant : la mauvaise presse internationale. Entre reportages sur les escroqueries numériques, le trafic humain et les réseaux criminels, l’image du Cambodge a été ébranlée. Certaines zones ont même fait l’objet de restrictions de voyage par des gouvernements étrangers.
Si ces problèmes sont réels et doivent être traités, Arnaud Darc souligne qu’ils n’ont pas, à eux seuls, détruit la confiance touristique. Ce sont plutôt des amplificateurs de risque, qui se combinent à la fragilité logistique pour freiner les décisions de voyage. Dans un secteur aussi sensible que le tourisme, l’incertitude suffit à détourner des milliers de visiteurs.
Une épreuve révélatrice
L’année 2025 doit donc être comprise comme une épreuve de résistance, non comme un effondrement. Les segments qui ont souffert — circuits terrestres, tourisme de masse, marchés frontaliers — partagent un profil commun : volume élevé, faible valeur ajoutée, dépendance géographique.Ceux qui ont tenu — l’aérien, les circuits culturels et haut de gamme — ont en commun la diversification, la valeur et la flexibilité. Cette opposition tient de la conception même du système : là où le modèle est étroit, le choc est fatal ; là où il est diversifié, il absorbe les turbulences.
Vers une refondation stratégique
Pour Darc, la leçon de 2025 est claire : le Cambodge doit repenser son architecture touristique. Les priorités sont multiples :
Faire de Phnom Penh une destination à part entière, et non un simple sas vers Siem Reap.
Unifier la promotion des régions côtières et des réserves naturelles dans une stratégie cohérente.
Renforcer la connectivité aérienne directe afin de réduire toute dépendance à la Thaïlande.
Cibler la valeur par séjour et non la quantité brute de visiteurs.
L’objectif n’est pas de renoncer à Angkor, mais de compléter son rayonnement par une offre nationale équilibrée. C’est à ce prix que le Cambodge pourra transformer ses fragilités en atout durable.
Un futur à reconstruire
En cette fin d’année 2025, le tourisme cambodgien n’est pas brisé — il est mis à nu. Il conserve son capital culturel, ses atouts naturels et l’attention du monde. Mais sa dépendance à des corridors étroits l’empêche encore de jouer à armes égales avec ses voisins.
Pour 2026, la question n’est plus de savoir quand les touristes reviendront, mais si le pays osera reconstruire différemment.Attendre le retour à la normale, c’est accepter la prochaine fracture.Agir dès maintenant, c’est bâtir un secteur capable de résister aux crises.
Et c’est dans cette différence — entre patience et vision — que se jouera le véritable avenir du tourisme cambodgien.







Commentaires