La jeune Cambodgienne Bosba est diplômée de la Walnut Hill School for the Arts (2015) et du New England Conservatory of Music à Boston, MA (2019).Avant la composition, Bosba a commencé sa carrière au Cambodge en tant que chanteuse folklorique traditionnelle à l’âge de sept ans.
En dehors de la composition, Bosba s’intéresse aussi à la cuisine, aux oiseaux, à la gestion des arts, à l’équité culturelle et à la création d’une culture du travail sûre et positive. Son projet de vie vise à « contribuer au développement de l’éducation musicale en Asie du Sud-Est et à encadrer des musiciens de pays en développement ».
Récipiendaire de la bourse d’études de la Fondation Bay Music et de la bourse européenne du Cambridge Trust, Bosba - aujourd’hui âgée de 26 ans - a terminé ses études à l’université de Cambridge et travaille à présent au sein d’une prestigieuse maison d’édition musicale. Au cours d’un séjour dans le Royaume, Bosba a accepté de se confier dans les colonnes de Cambodge Mag.
Entretien
Vous en quelques mots
J’ai suivi ma scolarité au Lycée Descartes jusqu’au brevet. À cette époque, j’étais déjà dans la musique, je pratiquais la musique cambodgienne, mais je prenais des cours particuliers de musique européenne.
En fait, à l’époque, en fait, je me disais, « OK, si tu prends des cours de musique européenne, tu auras une meilleure technique, tu comprendras mieux, tu pourras lire le solfège, tu seras mieux éduquée ».
Mais comment êtes-vous entrée dans la musique en étant toute petite ?
C’était en fait très « organique », car mes parents estimaient que pour avoir vraiment une bonne éducation, il fallait faire du sport, de la musique, un petit peu de tout. Mais, j’ai débuté avec la guitare classique, puis j’ai commencé à chanter. Ensuite, je me suis orientée vers la traduction de cette musique khmère. J’ai commencé plutôt avec des chansons, disons, populaires et puis j’ai appris le chant traditionnel khmer. Je suis devenue connue au Cambodge grâce à cela.
Le premier instrument que vous avez maîtrisé est la guitare classique, vous souvenez-vous de la première chanson que vous avez appris à jouer ?
C’était une chanson des Beatles, « Eleanor Rigby ». C’est une très belle chanson, ma préférée. Il y a d’autres chansons des Beatles, mais celle-ci me tient particulièrement à cœur parce que c’est la première que j’ai apprise et qu’elle est restée gravée dans ma mémoire à cause de mes parents. Ils étaient réfugiés en France [mon père] à cause du génocide au Cambodge et ma mère, qui est originaire du Laos, à cause de la révolution. Mes parents se sont donc réfugiés à Paris, où ils se sont rencontrés à la fin des années 80 et au début des années 90, ce qui signifie qu’ils ont vécu en France pendant environ un quart de leur vie. C’était au milieu des années 70, à l’époque des Beatles et des Rolling Stones. Mes parents écoutaient Elvis Presley et même George Michael, ils passaient ce genre de musique à la maison. Mais les Beatles m’ont vraiment marqué.
Souhaitiez-vous vraiment devenir musicienne ?
Au début, je ne pensais pas devenir musicienne. Quand j’étais petite, je disais à mes parents que je voulais devenir pédiatre, vétérinaire, médecin, ou journaliste. Je ne savais pas vraiment. Mais en fait, la musique est venue très naturellement. À l’époque, c’était quelque chose qui pouvait m’occuper toute la soirée.
Après Descartes, que se passe-t-il ?
Alors, je passe mon brevet. Et en fait, six mois avant mon brevet, j’avais postulé pour plusieurs écoles aux États-Unis. Parce ce que je n’avais pas fait le système européen, je ne pouvais pas vraiment intégrer le conservatoire européen en raison de certaines normes. Il y avait certains examens, que je n’avais pas passés. Alors qu’aux États-Unis, en fait, il n’existait pas cette notion d’examen pour la musique. Donc, j’ai reçu une bourse pour une école qui s’appelle la Walnut Hill School for the Arts. À l’époque, j’ai 15 ans. Et j’ai décidé de prendre, en accord avec la famille, cette opportunité.
De quel programme s’agit-il ?
Alors, c’est un programme de trois ans et un cursus spécial. En fait, c’est vraiment une école d’art où vous avez cinq spécialités, la danse classique européenne, le ballet, les arts visuels, la musique, le théâtre. Et donc, j’avais intégré le département de musique. Et c’est vraiment une école spéciale spécialisée qui vous entraîne à passer des concours. À l’âge de 18 ans, j’ai tenté le concours du conservatoire de la Nouvelle-Angleterre à Boston. J’ai été acceptée et j’ai décidé d’intégrer le cursus de composition au conservatoire. Je continuais toujours à chanter, mais, en fait, j’avais déjà évolué vers la composition, l’analyse et la théorie. Donc, j’ai préparé ma licence et je suis revenue en France juste pendant un an. J’avais alors commencé Sciences Po, mais je n’ai pas du tout aimé. Et, en fait, j’avais réalisé que ce n’était pas du tout ma passion, même si, au début, je voulais aller plutôt vers la diplomatie culturelle. J’ai vite réalisé que je ne voulais pas devenir fonctionnaire en France.
Puis, le Covid est arrivé, donc, on n’a rien fait pendant six mois et je suis revenue vers la musique à Cambridge. J’ai préparé un master en composition de un an et j’ai déménagé à Londres il y a deux ans et demi pour travailler dans une maison d’édition de musique qui s’appelle Hal Leonard.
En quoi consiste votre travail ?
Je m’occupe de toutes les partitions et de tout le catalogue classique. Par exemple, pour des jurys d’examen, il faut parfois chercher une nouvelle pièce pour le cursus. Et je travaille avec eux, en fait, pour développer ce cursus. Ou bien, si des partenaires commerciaux ont besoin de quelqu’un qui vienne pour parler d’une certaine compositrice ou d’un compositeur. En fait, je peux intervenir pour répondre à ce type d’interrogations :
« Pourquoi cette musique est-elle spéciale ? Pourquoi cette musique se vend bien ? Est-ce que cette musique est adaptée pour l’apprentissage, par exemple, des enfants ? Ou bien est-ce que c’est plutôt pour des musiciens de concert ? »
L’interprétation ne vous manque pas ?
Oui et non. Dans le sens où quand j’étais petite, toute l’attention était sur moi. Et après, j’ai réalisé que j’avais besoin d’un petit peu plus d’espace personnel. En tant que chanteuse, c’est l’apparence qui compte, les gens ne se soucient pas vraiment de la quantité de travail que vous fournissez. En tant que compositrice, les gens reconnaissent ce travail, en tant qu’éducatrice artistique, ils reconnaissent ce travail. J’essaie donc de faire en sorte que mes travaux soient plus en rapport avec ce que je veux faire et je pense qu’en matière d’éducation artistique, mes travaux sont plus pertinents en tant que compositeur.
Certaines personnes m'ont dit « Oui, mais vous ne serez pas aussi célèbre » et je leur ai répondu que ce n’était pas le but. On ne devient pas artiste pour rechercher la célébrité. La célébrité doit être la récompense d’un travail acharné. On ne travaille pas dur pour devenir célèbre, à moins d’être les Kardashian - c’est différent.
Et de toute façon, ce qui m’intéressait, c’était davantage d’écrire sur la culture musicale khmère :
« Qu’est-ce que c’est l’identité musicale khmère ? Y a-t-il une identité musicale khmère authentique comme on la connaît aujourd’hui ? Ou bien est-ce que c’est une identité qui a été influencée, par exemple, par le colonialisme français, par exemple ? Est-ce que l’identité khmère a été plutôt développée durant la période française ? Ou bien est-ce que c’était durant la période du roi Sihanouk ? »
« Ou encore, est-ce que cette identité a été beaucoup plus forte au XXIe siècle, après le génocide, et après toute cette vague de réfugiés ? »
Aujourd’hui, par exemple, on voit des gens comme le rappeur Vanda, qui interprète une musique très différente de la mienne, mais c’est une musique qui reste très Khmère en termes d’identité.
En dehors de la musique, quelles sont vos autres passions ?
J’aime beaucoup voyager. Tout simplement parce que j’ai surtout vécu en Asie. Je n’étais jamais allée en Europe avant 2018. Donc, en fait, il y a beaucoup de pays que je n’ai toujours pas découverts.
Quelle sera la suite de votre carrière ?
Et après, j’envisage peut-être de préparer un doctorat, mais à ce stade, je pense que j’ai besoin de penser un petit peu plus à ma recherche et de savoir si c’est quelque chose où je veux revenir.
Parlez-nous un peu du paysage musical du Cambodge d’aujourd’hui. Qu’est-ce qui vous inspire ?
Quand j’ai grandi au Cambodge, dans les années 2000, il n’y avait pas tous ces programmes qui sont subventionnés par le gouvernement. Par exemple, à Siem Reap, on voit à présent beaucoup de spectacles où il y a de la danse traditionnelle avec le support du ministère de la Culture. Dans les années 2000, on n’avait pas vraiment ça. On n’avait pas vraiment de représentation de notre culture dans les médias ou sur Facebook parce qu’on sortait encore de la guerre.
« Il y a aujourd’hui bien plus de visibilité sur la culture traditionnelle. Elle bouge, elle change, elle s’adapte. C’est un petit peu la nature des arts vivants. »
Par exemple, on peut prendre une vidéo en 1920, elle sera très différente de l’art qui est pratiqué aujourd’hui. Mais est-elle moins claire qu’en 1920 ? Ou bien est-ce que la vidéo qui a été prise en 1920 est-elle déjà faite d’une certaine manière ? Si des gens agissent en face d’une caméra, est-ce que c’est vraiment le reflet de tous les jours que l’on peut visionner ensuite ?
Et l’influence étrangère avec surtout la K-pop, est-ce que vous trouvez ça bien ?
J’ai écrit une thèse dessus, mais plutôt vers le côté classique. Quand j’étais petite, j’avais une position qui n’était pas très ouverte sur le monde. En fait, je voyais juste un pays sortant du génocide, de 20, 25 ans de guerre. On n’avait plus rien, il nous fallait vraiment conserver notre identité. Mais, c’est facile de dire ça quand tu n’es jamais sortie du pays. Dès que tu sors du pays, en fait, tu réalises qu’il y a des Khmers en France, aux États-Unis qui ont aussi leur propre façon de vivre.
« Est-ce que moi, je vais aller aux États-Unis, parler à une personne de première génération, et lui dire, toi, tu es moins Khmer que moi ? Parce qu’eux, ils peuvent aussi dire, oui, mais nous, dans notre communauté khmère, nous n’avons jamais changé notre façon de danser ou chanter… nous avons copié et collé exactement ce que nous avons appris. Et après, lorsque nous arrivons Cambodge, nous pouvons dire aux gens du pays qu’ils sont influencés par la K-pop. »
En fait, il y a un certain conflit des attentes de la communauté réfugiée. Je pense que les gens acceptent le changement plus facilement au Cambodge, que chez ceux de la diaspora. Cela pose bien sûr la question de l’identité khmère. Et j’ai changé d’opinion par rapport à avant, je pense que maintenant, il faut accepter qu’il y ait plusieurs façons d’être Khmer, plusieurs façons de se sentir Khmer. Pour ma part, je me sens beaucoup plus Khmère en dehors du Cambodge, parce que je dois toujours me présenter en tant que Khmère. Quand les gens me demandent d’où je viens ? Je réponds que je viens du Cambodge. Mais, lorsque je viens au Cambodge, il n’y a personne qui me demande d’où je viens.
En fait, je n’ai pas besoin de questionner mon identité khmère quand je suis dans le pays. Mais quand je sors du Cambodge, surtout quand tu fais des études académiques sur l’identité khmère, non seulement tu questionnes ta recherche, la qualité de ta recherche, mais tu te questionnes aussi à titre personnel.
Donc, quels autres projets à part le doctorat ?
Je pense que c’est trop tôt pour le dire, tout simplement parce que je ne pense pas être encore suffisamment compétente pour enseigner au Cambodge. Mais, si je suis des études en Europe ou aux États-Unis, est-ce que ça veut dire que je ne suis qu’ouverte sur le marché académique ? Et comment est-ce que je vais contribuer à mon pays à 5 000 ou 10 000 kilomètres du Cambodge, dans une classe universitaire ?
Le projet de doctorat, c’est vraiment juste par curiosité. Si je veux faire un doctorat, je ne veux pas forcément le faire pour devenir professeure. Pour moi, vraiment, c’est juste par curiosité à propos de l’identité khmère. Qu’est-ce que c’est l’identité khmère, l’identité musicale khmère ?
Vos parents sont-ils fiers de vous ?
Je l'espère..(sourire)
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