Cambodge & Khmers rouges : La quête de mémoire et d'espoir à Stung Treng
- Youk Chhang
- 21 juil.
- 4 min de lecture
Le paysage de la province de Stung Treng, dans le nord du Cambodge, paisible avec ses rivières qui se rejoignent et sa végétation luxuriante, défie l'imagination lorsqu'on le compare à l'obscurité qui l'enveloppait autrefois.

Là où le chant des oiseaux résonne le matin et où les enfants courent dans les rizières, se déroulaient autrefois des horreurs indicibles. Le régime khmer rouge a laissé derrière lui plus que des cicatrices dans le sol : ses traces les plus profondes résident dans les souvenirs, que les survivants qui continuent d'habiter cette région portent en silence.
Le Centre de documentation de Stung Treng : gardien de la mémoire
Fondé par le Centre de documentation du Cambodge (DC-Cam), le Centre de documentation de Stung Treng est à la fois témoin et messager, engagé non seulement à rassembler des preuves historiques, mais aussi à faire en sorte que la voix des survivants des Khmers rouges résonne à travers les générations. Ici, l'histoire est une matière vivante, préservée non pas dans des archives stériles, mais dans les témoignages oraux de ceux qui ont survécu et se souviennent.
L'histoire orale en action
Le temps est un ennemi qui efface progressivement la mémoire vivante du génocide. À mesure que les survivants vieillissent et que les communautés se modernisent, les souvenirs risquent de tomber dans l'oubli. Pour lutter contre cette tendance, le projet d'histoire orale du DC-Cam envoie des jeunes bénévoles, souvent les petits-enfants des survivants, dans les villages pour écouter et enregistrer leurs témoignages.
Ils recueillent des récits racontés d'une voix tremblante : des récits de travaux forcés, de famine et parfois de chance inexplicable qui a fait la différence entre la vie et la mort.
Le projet, qui a pris racine dans le district de Borei O'Svay Sen Chey, est méthodique dans son urgence.
Pendant des mois, les bénévoles ont effectué des dépistages médicaux, animé des forums et créé des espaces sûrs où les personnes âgées peuvent s'exprimer. En recueillant ces témoignages oraux, ils font plus que simplement documenter : ils offrent un lien, un soulagement et même des moments de guérison inattendus.
Préserver la justice grâce aux témoignages
Les fantômes du passé du Cambodge ne sont pas confinés dans les forêts et les champs. Les survivants souffrent non seulement de souvenirs traumatisants, mais aussi de la marginalisation commune aux personnes âgées et handicapées, souvent conséquence directe des privations endurées sous le régime de Pol Pot.
La mission du DC-Cam vient au-delà du souvenir, pour atteindre la justice et une aide concrète.
Forums sur la santé et les services sociaux : Ces cliniques et réunions organisées à Stung Treng apportent des soins médicaux indispensables, offrent des conseils et aident à remplir les formalités administratives, reconnaissant que la justice ne peut être complète sans le soutien au bien-être des survivants.
Projets de développement communautaire : Le Centre de documentation travaille en partenariat avec les dirigeants locaux, organise des événements commémoratifs et investit dans l'éducation, transformant les sites des atrocités en lieux de réflexion, de résilience et, progressivement, d'espoir.
« Ils ne peuvent pas nous effacer » : les survivants s'expriment
Le projet d'histoire orale de Stung Treng a recueilli des centaines de témoignages, chacun tissant une histoire unique, à la fois poignante et pleine d'espoir. Les survivants racontent, parfois pour la première fois, comment ils ont été arrachés à leurs foyers, comment ils ont vu des soldats vêtus de sarongs et comment ils ont vécu des années de suspicion et de privations.
Pourtant, leurs histoires ne s'arrêtent pas à la souffrance.
Une femme âgée se souvient des « saisons de famine » qui semblaient interminables, où même les mauvaises herbes trouvées sous les huttes servaient de nourriture. Un homme, qui était un garçon de dix ans en 1978, décrit calmement comment il a perdu ses frères et sœurs et échappé à l'exécution en passant inaperçu, petit et silencieux. Les survivants ne parlent pas seulement de leurs pertes, mais aussi de ce que l'endurance leur a appris : « Ils voulaient nous effacer, mais nous sommes toujours là. Nous sommes ici pour raconter ce que nous avons vu. »
Passer le flambeau : jeunesse, mémoire et réconciliation
Ce projet a pour effet crucial de réunir les anciennes et les nouvelles générations cambodgiennes. De jeunes bénévoles, souvent des étudiants universitaires issus des centres urbains, se rendent dans des hameaux reculés, tissant des liens malgré un fossé souvent profond entre leurs expériences. Le fait d'être témoin, d'écouter et d'enregistrer, est source d'apaisement pour les deux parties. Les survivants se sentent enfin reconnus et valorisés, tandis que les jeunes apprennent la résilience, la tolérance et la vigilance face à la cruauté.
Cet échange intergénérationnel est au cœur de la philosophie du Centre. En construisant un pont entre les générations, les jeunes Cambodgiens héritent non seulement d'un passé qui doit servir d'avertissement, mais acquièrent également les outils – l'empathie et la compréhension – nécessaires pour bâtir une société plus juste et plus inclusive.
Quand la mémoire rencontre l'avenir
Le travail du Centre de documentation de Stung Treng ne se limite pas à cataloguer le passé ; il façonne l'avenir du Cambodge. Dans le jardin planté là où des fosses communes marquaient autrefois le sol, des écoliers jouent. Dans les salles communautaires, les voix des survivants se mêlent aux questions des jeunes, et les arbres se dressent comme des monuments vivants entre ce qui a été perdu et ce qui a été reconquis.
Chaque témoignage, soigneusement conservé, devient un phare. Le Cambodge fonde son espoir sur ces récits : que le souvenir empêchera que l'histoire ne se répète et que, sur les ruines des atrocités, un avenir plus radieux et plus compatissant pourra s'épanouir.
Pour les innombrables survivants de Stung Treng, le souvenir n'est pas un fardeau, mais un cadeau, la promesse que le monde n'a pas oublié, que la leçon tirée de la souffrance du Cambodge ne s'estompera pas avec le temps. À mesure que la mémoire devient histoire et que le traumatisme se transforme en enseignement, Stung Treng n'est plus seulement un lieu de tristesse, mais aussi un symbole de guérison et d'espoir.
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