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Cambodge & histoire : Xavier Brau de Saint-Pol Lias, Un aristocrate du voyage au cœur de l’Indochine

Au XIXᵉ siècle, quand l’Europe vibrait encore au rythme des grandes explorations et des rêves d’Orient, un nom résonnait dans les cercles érudits et aventuriers : celui de Xavier Brau de Saint-Pol Lias.

Moins connu du grand public que d’autres voyageurs de son temps, il incarne pourtant l’esprit d’une époque où curiosité, érudition et audace se conjuguent dans la découverte du monde
Moins connu du grand public que d’autres voyageurs de son temps, il incarne pourtant l’esprit d’une époque où curiosité, érudition et audace se conjuguent dans la découverte du monde

Ce gentilhomme français, issu d’une lignée ancienne du pays languedocien, fut à la fois marin, écrivain, ethnographe et observateur passionné de ces terres lointaines qui fascinaient le Vieux Continent : le Cambodge et l’Indochine.

Né au milieu du XIXᵉ siècle, dans cet entre-deux du romantisme et de la raison positiviste, Xavier Brau de Saint-Pol Lias grandit dans un milieu imprégné de culture et de rigueur.

L’appel de la mer, la soif d’inconnu et la fascination pour les civilisations orientales façonnèrent très tôt son destin. Il rejoignit la Marine, où il se distingua par son ardeur et sa curiosité intellectuelle. Mais au-delà des armes, c’est vers les livres et la recherche du sens des cultures qu’il orienta sa vie : explorer, comprendre, témoigner.

L’appel de l’Asie

Le tournant de son existence survient à la fin des années 1870, lorsque la France, consolidant son influence dans la péninsule indochinoise, cherche à mieux connaître les peuples et les royaumes d’Asie du Sud-Est. Saint-Pol Lias s’embarque alors dans plusieurs voyages qui le mèneront aux confins du Tonkin, du Laos, du Cambodge et de la Cochinchine française.

À travers ses écrits, notamment Le Tour du monde : voyage en Indo-Chine et dans l’Empire d’Annam et du Cambodge (1884), il livre un témoignage d’une rare sensibilité sur une région encore mystérieuse pour nombre de ses contemporains.

Ce qui frappe dans son œuvre, c’est la justesse de son regard. Là où beaucoup d’explorateurs occidentaux se contentaient d’exotisme ou de condescendance coloniale, Saint-Pol Lias s’efforce au contraire de comprendre les hommes dans leur intimité culturelle. Sa plume, élégante et fine, traduit la rencontre – parfois douloureuse, souvent émerveillée – entre deux mondes.

Le Cambodge, découverte d’un royaume de pierre et d’âmes

Le Cambodge occupe une place centrale dans la destinée de Saint-Pol Lias. Lors de ses voyages dans ce royaume encore largement méconnu, il est ébloui par les ruines d’Angkor, dont l’ombre légendaire commençait à peine à se redessiner grâce aux expéditions françaises de Doudart de Lagrée et de Francis Garnier. Fasciné, Saint-Pol Lias parcourt les temples, s’imprègne des sculptures, des linteaux et des frises, et note minutieusement ses impressions.

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Ses récits du voyage à Angkor témoignent à la fois d’un respect sincère pour la grandeur khmère et d’une lucidité sur la fragilité du royaume contemporain, pris entre ambitions siamoises et influences françaises. À ses yeux, le Cambodge n’était pas un simple enjeu colonial : il était un pont entre l’ancien et le moderne, entre le sacré et le quotidien, une énigme à déchiffrer sans la profaner.

Dans ses carnets, il évoque Phnom Penh, alors encore modeste capitale fluviale, les pagodes dorées scintillant dans la lumière de la mousson, les marchés bruissant de voix et d’épices. Il décrit aussi la mélancolie du Mékong, “ce fleuve immense, qui charrie le rêve et la mémoire des peuples,” et dont il suivra le cours jusqu’aux confins du Laos. Ses mots mêlent précision géographique et lyrisme poétique, typiques de la prose voyageuse française du XIXᵉ siècle, héritière de Chateaubriand et annonciatrice de Loti.

Un humaniste avant la lettre

Ce qui distingue Saint-Pol Lias de nombreux contemporains, c’est sa quête d’intelligence et de sympathie humaine au-delà des frontières. Il ne voyage pas pour conquérir, mais pour comprendre. Ses observations ethnographiques, d’une grande finesse, décrivent les coutumes, les arts, les soins, les fêtes et les croyances sans s’abandonner au mépris ni à la fascination aveugle. Il note les visages, les rites, les gestes du quotidien et s’efforce d’en restituer la profondeur spirituelle.

Dans le Cambodge d’alors, encore hors du temps, il perçoit une harmonie fragile qu’il souhaite voir préservée. Il admire la sagesse tranquille du bouddhisme theravāda, la dignité du peuple khmer, la délicatesse de ses arts et la beauté du gestuel dans les cérémonies. En cela, il se distingue du ton triomphaliste de beaucoup de voyageurs français. Chez lui, le ton est mélancolique, pénétré de cette conscience aiguë des civilisations mortelles, de leur gloire et de leur déclin.

Entre science et littérature

Brau de Saint-Pol Lias n’était pas seulement un explorateur. Il fut aussi un témoin de la grande aventure géographique et scientifique française. Membre de plusieurs sociétés savantes, collaborateur du Tour du Monde et du Bulletin de la Société de Géographie, il contribua à diffuser les connaissances sur l’Asie auprès du public métropolitain. Ses textes, illustrés de gravures magnifiques, participent à cette redécouverte poétique et savante de l’Orient par la France.

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Son écriture a la rigueur d’un document et la grâce d’une fresque : une prose fluide, parfois compassée mais d’une clarté rare. Chaque phrase semble porter l’écho du vent du large, du cliquetis des pagodes ou du bruissement du Mékong. Saint-Pol Lias sait marier l’observation et la rêverie, la précision de l’ingénieur et la sensibilité du poète.

Héritage et postérité

Si son nom ne figure plus aujourd’hui parmi les plus célébrés de la littérature de voyage, son œuvre demeure une source précieuse pour les historiens, géographes et ethnologues qui s’intéressent à l’Indochine du XIXᵉ siècle. Les récits de Saint-Pol Lias offrent une vision nuancée de la rencontre franco-indochinoise, loin des simplifications idéologiques qui marqueront ultérieurement l’histoire coloniale.

Le Cambodge, dans ses écrits, n’est pas une terre "à civiliser" mais un monde "à comprendre". Il annonce par certains aspects la posture respectueuse que prendront plus tard les grands orientalistes du XXᵉ siècle. Son regard est déjà celui d’un médiateur culturel, cherchant à faire dialoguer les rives du Mékong et de la Seine.

Il meurt discrètement, laissant derrière lui une œuvre à la fois modeste et essentielle. Ses livres, parfois oubliés, continuent pourtant de circuler dans les bibliothèques des curieux, des voyageurs et des chercheurs qui explorent l’histoire du Cambodge et de l’Indochine française.

La beauté d’un témoin lucide

Relire aujourd’hui Xavier Brau de Saint-Pol Lias, c’est retrouver la voix d’un temps révolu où l’exploration n’était pas encore consumée par la technologie, où le voyage conservait la lenteur et la gravité du regard. C’est aussi reconnaître, dans cette sensibilité du XIXᵉ siècle, une conscience déjà moderne : celle de l’altérité, de la relativité des civilisations et de la fragilité des mondes.

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Le Cambodge lui offrit sans doute sa plus belle leçon : celle du silence et du mystère. Entre les pierres d’Angkor et les eaux lentes du Tonlé Sap, le voyageur trouva ce qu’il cherchait — non pas la gloire, mais la compréhension. Et c’est peut-être là, dans cette intuition d’un dialogue possible entre Orient et Occident, que réside la grandeur paisible de Saint-Pol Lias.

L’aristocrate languedocien, devenu pèlerin de l’Indochine, aura su conjuguer la précision du géographe, la grâce du littéraire et la ferveur de l’âme contemplative. Son héritage demeure une invitation à renouer avec un art oublié : celui de voir pour comprendre, d’écrire pour relier.

Une trace française au cœur d’Angkor

Aujourd’hui encore, lorsqu’un rayon d’aube éclaire les reliefs d’Angkor Thom ou que la brume du Mékong enveloppe les berges de Phnom Penh, on pourrait imaginer la silhouette discrète de Saint-Pol Lias, carnet à la main, observant le monde avec cette curiosité noble et bienveillante qui fut la sienne. Il appartient à cette famille d’esprits — les Segalen, les Loti, les Claudel — pour qui le voyage fut une quête de beauté et de vérité.

Lui qui parcourut les eaux du Tonlé Sap, traversa les plaines du Laos et les rizières du delta cochinchinois, laissa dans ses lignes l’empreinte d’une émotion intacte : celle d’un Européen touché par la grandeur d’un royaume demeuré dans le silence des forêts et la splendeur des pierres.

Dans les annales de la géographie et de la littérature française, le nom de Xavier Brau de Saint-Pol Lias mérite d’être réentendu comme celui d’un voyageur d’élégance et d’âme, qui trouva au Cambodge une part de son éternité.

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