Cambodge & Conflit frontalier : Pich Ngorl, tombé au front, le courage jusqu’au dernier souffle
- Youk Chhang

- il y a 6 jours
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Rompus, district de Sandan, province de Kampong Thom. Sous le toit modeste d’une maison de bois, Sun Leung évoque, la voix tremblante, le souvenir de son mari, le lieutenant Pich Ngorl.

Aujourd'hui, la douleur reste vive, brûlante comme aux premiers jours. Ce soldat cambodgien, tombé au front en juillet 2025, incarne la droiture et le courage d’une génération d’hommes silencieux, prêts à tout pour protéger la terre de leurs ancêtres.
Simplicité
Né à Sout Nikom, dans la province de Siem Reap, Pich Ngorl grandit dans la simplicité. Cuisinier de mariage avant d’endosser l’uniforme, il était connu pour sa bonté et son sens du service. « C’était un homme doux et généreux, toujours prêt à aider les autres », se souvient Sun Leung. En 2014, il l’épouse — une union tissée d’amour, de foi et de modestie. De leur foyer naissent quatre enfants, deux garçons et deux filles, à qui il promettait un avenir meilleur.
Engagement
Lorsque des incursions thaïlandaises éclatent à la frontière nord-ouest du pays, Pich Ngorl, membre du 382ᵉ bataillon rattaché à la 8ᵉ brigade, est envoyé en première ligne, au mont Phnom Troap. Son supérieur, conscient des sacrifices du jeune père, lui permet de rentrer chaque soir pour voir sa famille. À l’aube, avant que la lumière ne caresse les collines, il reprenait la route du front, le visage calme, la détermination intacte.
Le 24 juillet 2025, à six heures du matin, Pich Ngorl retourne à son unité. Trois heures plus tard, les premiers tirs éclatent. Le vacarme des armes se mêle au souffle du vent sur la montagne. Le combat s’intensifie, brutal, imprévisible. Privé de vivres et d’eau, le soldat tient bon, intercalant entre deux rafales des appels à sa femme. La nuit du 25 au 26 juillet, il lui confie, d’une voix affaiblie, qu’il a été touché à l’épaule. Abrité derrière un amas de rochers, il parvient encore à ramper jusqu’à un abri près de la cuisine du commandant, avant de perdre connaissance.
Vers deux heures du matin, Sun Leung parvient enfin à le joindre après des heures d’angoisse. « Où es-tu ? », demande-t-elle. « Toujours sur la montagne », murmure-t-il. Seul. Il vient de se réveiller après quatre heures d’inconscience. Quand elle lui supplie de redescendre, il explique qu’il a perdu trop de sang, qu’il n’a ni bu ni mangé depuis deux jours, que ses forces déclinent. « Prends soin de nos enfants », dit-il d’une voix vacillante. « Je ne crois pas pouvoir tenir. » Puis, soudain, à travers le fil, crépite le son sec d’une rafale. Et le silence. La ligne coupe.
Tragédie
Deux jours plus tard, le 27 juillet 2025, la nouvelle tombe. Un messager informe Sun Leung que son mari est tombé au combat. Le corps repose à l’hôpital d’Anlong Veng. Elle envoie son beau-frère le reconnaître : « Le corps était déjà gonflé, l’odeur insoutenable », raconte-t-il. Malgré la douleur, la famille entreprend le dernier voyage. À une heure du matin, le 28 juillet, la dépouille du lieutenant Pich Ngorl franchit une dernière fois le seuil de sa maison, enveloppée de foulards blancs et des pleurs étouffés du village.
Le lendemain, le 29 juillet, les drapeaux sont en berne, les soldats saluent, les anciens prient. Dans une atmosphère de recueillement, les médecins confirment la vérité que tout le monde redoutait : le corps du soldat porte cinq impacts de balle, au torse, à la tête, à l’épaule. Cinq traces indélébiles du devoir accompli jusqu’au bout.
Sa veuve raconte sans haine, mais avec dignité : « Il est mort en protégeant notre pays. Il n’a jamais reculé, même blessé. »
Et dans ce modeste village de Kampong Thom, la mémoire de Pich Ngorl ne s’éteint pas. Ses enfants grandissent à l’ombre de son nom, symbole d’un courage que rien n’altère.
Au-delà du deuil personnel, son histoire rejoint celle, plus vaste, de ces soldats anonymes qui défendent la paix du royaume dans le silence des frontières. Dans les documents officiels du Centre de documentation du Cambodge, son nom brille désormais parmi ceux des héros tombés — témoin d’un engagement sans faille, d’un amour indestructible pour la patrie.
Chaque 24 juillet, au lever du jour, Sun Leung dépose sur l’autel une offrande de riz et une bougie. « C’est à cette heure-là qu’il partait au front », murmure-t-elle. La flamme danse doucement, comme une promesse tenue : celle que le sacrifice de Pich Ngorl ne sera jamais oublié.
Par Chheng Veng — traduit par Lim I-Phing, Documentation Center of Cambodia







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