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Appels au boycott des produits et entreprises thaïlandaises au Cambodge : Enjeux, avantages et risques d’une fracture économique et diplomatique

Depuis plusieurs mois, un climat de tension exacerbé oppose le Cambodge et la Thaïlande, voisinage géopolitique marqué autant par une frontière contestée que par l’interdépendance économique. Le conflit armé a ravivé de profondes rancunes historiques et déclenché une série de mesures de rétorsion entre les deux pays.

PTT, le géant thaïlandais de l'énergie, est l'une des marques les plus implantées au Cambodge. Avec environ 186 stations-service dans le pays, PTT exerce une forte présence dans la distribution de carburant
PTT, le géant thaïlandais de l'énergie, est l'une des marques les plus implantées au Cambodge. Avec environ 186 stations-service dans le pays, PTT exerce une forte présence dans la distribution de carburant

Parmi celles-ci, le Cambodge a lancé des appels au boycott massif des produits et des entreprises thaïlandaises, une stratégie à la fois économique et symbolique qui invite à s’interroger sur ses motivations, ses atouts mais aussi ses dangers potentiels.

Contexte et pertinence du boycott

Cette campagne d’ostracisme économique intervient dans un contexte de crise diplomatique aiguë. Le différend frontalier entre Phnom Penh et Bangkok, hérité des tracés imparfaits des accords coloniaux français, s’est transformé en confrontation militaire en mai 2025, entraînant un durcissement immédiat des relations. En riposte aux mesures strictes imposées par la Thaïlande aux points de passage frontaliers, pénalisant des milliers de travailleurs transfrontaliers cambodgiens, Phnom Penh a décidé de suspendre les importations de fruits, légumes, carburant et autres produits thaïlandais.

Des appels au boycott plus larges ont visé les biens de consommation, y compris électroniques et cosmétiques, ainsi que la culture pop thaïlandaise, allant jusqu’à interdire la diffusion de séries et films venant de son voisin.

Ce boycott répond donc à une logique de pression politique visant à contraindre la Thaïlande à revoir sa posture coercitive, tout en affirmant la souveraineté nationale et la dignité cambodgienne dans une période de tensions accrues. Sur le plan symbolique, il s’agit aussi de renforcer le sentiment patriotique et la solidarité interne dans un contexte marqué par les manifestations de masse en soutien au gouvernement et par la montée du discours nationaliste.

7-Eleven, exploité par la société thaïlandaise CP All (Cambodia) Co Ltd, est une marque thaïlandaise majeure au Cambodge. Les magasins 7-Eleven se développent dans plusieurs villes, notamment Phnom Penh, Sihanoukville et Siem Reap, avec une stratégie incluant la promotion des produits de petites et moyennes entreprises cambodgiennes, qui représentent 50% de leur stock
7-Eleven, exploité par la société thaïlandaise CP All (Cambodia) Co Ltd, est une marque thaïlandaise majeure au Cambodge. Les magasins 7-Eleven se développent dans plusieurs villes, notamment Phnom Penh, Sihanoukville et Siem Reap, avec une stratégie incluant la promotion des produits de petites et moyennes entreprises cambodgiennes, qui représentent 50% de leur stock

Avantages potentiels du boycott

Sur le plan économique, le boycott pourrait encourager la consommation de produits locaux et d’importations alternatives, réduisant ainsi la dépendance aux biens thaïlandais, auparavant omniprésents sur le marché cambodgien. Cela peut stimuler les filières nationales, notamment agricoles, tout en favorisant des partenariats commerciaux avec d’autres pays, nationaux ou internationaux.

Le message adressé par le Premier ministre Hun Manet selon lequel le Cambodge est en capacité de subvenir à ses besoins énergétiques et alimentaires par d’autres sources met en avant cette volonté d’indépendance économique.

Politiquement, ce mouvement agit comme levier de négociation et pression diplomatique pour obtenir la réouverture complète des points frontaliers et la levée des restrictions imposées par Bangkok. Le boycott agit ainsi comme instrument de défense stratégique sans recours direct à l’affrontement militaire et avec un impact concret sur les circuits commerciaux bilatéraux.

Risques et limites de la stratégie

Toutefois, la démarche n’est pas sans revers. L’interruption des échanges frontaliers fragilise les économies des deux pays. Pour le Cambodge, la hausse possible des prix des denrées alimentaires et la perturbation d’approvisionnements essentiels pourrait affecter la consommation locale et la stabilité sociale. La dépendance historique au carburant, dont 30% provenait jusqu’alors de Thaïlande, expose le pays à des tensions sur ce secteur stratégique malgré les assurances gouvernementales.

Pour la Thaïlande, le refus d'accès à un marché important comme celui du Cambodge représente une perte économique notable, notamment pour les agriculteurs et exportateurs de fruits tropicaux. Sur le plan culturel, le boycott s’accompagne d’une perte d’influence dans une région étroitement liée par des échanges humains et sociaux anciens. Par ailleurs, l’escalade nationaliste et économique pourrait fragiliser la stabilité politique des deux pays, alimentant rancunes et méfiance alors que des appels internationaux à la retenue invitent au dialogue.

Enfin, sur le plan humain, la crise a provoqué un important exode de travailleurs cambodgiens employés en Thaïlande, déstabilisant encore davantage la dynamique socio-économique régionale et exacerbant les tensions intercommunautaires.

Perspectives

Le boycott des produits thaïlandais au Cambodge s’inscrit dans une crise géopolitique complexe et douloureuse, où enjeux territoriaux, identitaires, économiques et diplomatiques s’entremêlent. S’il offre à Phnom Penh un levier de pression et un moyen de rallier l’opinion publique à une cause patriotique, il n’est pas dénué de risques économiques, sociaux et politiques qui pourraient prolonger et approfondir les dégâts collatéraux d’un conflit à la fois frontalier et multidimensionnel.

Pour dépasser cette impasse, la voie du dialogue bilatéral renforcé et de la médiation régionale de l’ASEAN semble être le seul chemin viable. Étendre la coopération économique et restaurer les échanges tout en garantissant le respect des souverainetés permettraient de réconcilier les intérêts des deux nations et d’apaiser les tensions pour l’avenir.

Ainsi, cette crise met en lumière la fragilité des liens entre des voisins proches liés intimement par l’histoire et l’économie, et l’importance cruciale d’une diplomatie prudente et constructive pour la paix et le développement dans cette région stratégique de l’Asie du Sud-Est.

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