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Siem Reap & Solidarité : Yay Chantana de Kantha Bopha, « Suivre le chemin du docteur Beat Richner »

Inauguré en 1999, l’hôpital pédiatrique Jayavarman VII a depuis soigné près de six millions de petits patients et donné la vie à 360.000 enfants. Portés par la personnalité hors normes du docteur Beat Richner, les établissements Kantha Bopha sont devenus une référence incontournable dans le domaine des soins pédiatriques.

le professeur Chantana, qui dirige l’établissement
Le professeur Chantana, qui dirige l’établissement

Il est 7 h 15 et, comme tous les matins, l’équipe soignante s’est réunie dans le vaste auditorium. Celui-là même qui, il y a de cela quelques années, accueillait les concerts du docteur Richner destinés à collecter des fonds pour l’établissement.

Sur cette scène, le pédiatre se transformait en Beatocello, troquant sa blouse pour une veste de gala, arrachant à son violoncelle des notes de musique et d’espoir. Mais c’est pour une tout autre raison que le parterre matinal a investi les fauteuils qui, en l’espace de quelques minutes, se sont retrouvés submergés par une marée de blouses blanches. Faisant face aux centaines de personnes réunies pour cette assemblée quotidienne, chefs de service et directeurs fixent les priorités de la journée tout en examinant les cas admis la veille. Sur le mur sont projetées radios et IRM des petits patients que le directeur rencontrera plus tard lors de sa tournée.

Des images de fracture, abcès à la jambe, empyème pleural et traumatisme crânien défilent, complétées par l’âge, les symptômes et la provenance des patients. Pursat, Poipet, Kompong Thom, Prey Veng dressent une cartographie qui démontre le rayonnement de Kantha Bopha non seulement à Siem Reap, mais aussi parmi les provinces plus éloignées.

Pour conclure ce briefing, le professeur Chantana, qui dirige l’établissement, résume la journée d’hier : 964 patients se trouvent actuellement hospitalisés, 143 ont été admis tandis que 134 en sont sortis. 67 accouchements et 10 césariennes ont été réalisés, ainsi que 35 opérations, dont deux de chirurgie cardiaque. Ces chiffres, ajoutés à la densité du personnel assistant à la réunion, témoignent de l’importance de l’hôpital Kantha Bopha-Jayavarman VII.

Tous les matins, le personnel de l’hôpital est convié à une courte réunion fixant les priorités du jour et résumant les admissions de la veille
Tous les matins, le personnel de l’hôpital est convié à une courte réunion fixant les priorités du jour et résumant les admissions de la veille

Faire vivre l’héritage de Beat Richner

Difficile, pourtant, de se rendre compte de l’immensité de cette structure que l’on ne fait, la plupart du temps, qu’apercevoir depuis la route. Véritable petite ville dans la ville, l’hôpital pour enfants mobilise une armée de près de 1 300 personnes, dont 176 médecins et 976 infirmiers.

Tandis que la foule s’égaille au sortir de la conférence, le professeur Chantana et le vice-directeur Khun Leang-Chhun arpentent les couloirs pour leur traditionnelle visite des services. « Se rendre tous les matins auprès des patients et visiter les différentes unités de soins faisait partie des habitudes instituées par Beat Richner. Tout comme la conférence quotidienne, qui permet de mobiliser le personnel sur les questions prioritaires et de maintenir une nécessaire cohérence de groupe. Le docteur Richner a réussi à trouver les recettes d’une efficacité et d’une excellence que nous tenons à maintenir.

Poursuivre les procédures mises en place nous semble primordial afin de faire vivre son héritage et de nous maintenir au niveau le plus haut », explique le directeur avant de s’engouffrer d’un pas rapide dans les salles de l’hôpital.

Le professeur Yay Chantana, directeur de l’hôpital Jayavarman VII, se tenant devant le stupa du docteur Richner
Le professeur Yay Chantana, directeur de l’hôpital Jayavarman VII, se tenant devant le stupa du docteur Richner

Le docteur musicien

Ayant rejoint le Kantha Bopha de Phnom Penh en 1992 au sortir de ses études, le professeur Chantana a, comme tous ceux qui l’ont côtoyé, été profondément marqué par la personnalité du docteur Richner. Une exposition, qui vient tout juste de s’installer dans le hall d’entrée, s’emploie à faire connaître le chemin parcouru grâce à ce Suisse qui s’est investi corps et âme dans une tâche qui aurait pu sembler démesurée. Arrivé à Phnom Penh en 1974, le tout jeune pédiatre a exercé à l’hôpital Kantha Bopha, fondé par Norodom Sihanouk dans les années 1960 et baptisé ainsi en mémoire de sa fille emportée par une leucémie. Répondant à tous les standards de l’époque, l’hôpital a poursuivi sa mission jusqu’en 1975, année qui vit les Khmers rouges investir la capitale. Rentré en Suisse, le docteur Richner ne cesse de songer aux enfants laissés sans soins, mais aussi à ses confrères cambodgiens, dont bien peu survivront à l’hécatombe. Artiste dans l’âme, il se crée durant ces années le personnage de Beatocello, empoignant son violoncelle pour redonner le sourire aux petits malades de l’hôpital pour enfants de Zurich où il fait carrière, gardant toujours une pensée pour le royaume quitté précipitamment.

La chaise sur laquelle Beat Richner s’accordait une pause trône toujours dans le hall de l’hôpital. Tout au long de la visite, la présence du docteur nous poursuivra, tant son empreinte s’avère indélébile
La chaise sur laquelle Beat Richner s’accordait une pause trône toujours dans le hall de l’hôpital. Tout au long de la visite, la présence du docteur nous poursuivra, tant son empreinte s’avère indélébile

Médecine pour tous

En 1991 le pédiatre revient à Phnom Penh et ne peut que constater l’urgence dans laquelle se trouve le royaume. Tout le système de santé, dans un pays devenu exsangue, a été détruit et saccagé par des Khmers rouges pour qui la médecine occidentale se devait d’être anéantie. Rapidement des contacts se nouent avec le roi Norodom Sihanouk, qui demande au docteur Richner de relancer l’hôpital Kantha Bopha. Sans relâche, le médecin va se dépenser sur tous les théâtres, qu’il s’agisse des soins, de l’organisation de l’établissement, du recrutement du personnel, mais aussi de la difficile mission de la collecte de fonds.

Des règles sont immédiatement établies : tous les traitements doivent être gratuits, tous les enfants doivent avoir accès aux soins, et tous doivent bénéficier de la médecine la plus performante qui soit. Si la première règle a toujours pu être respectée, il aura été parfois difficile d’appliquer les deux autres, provoquant d’immenses coups de sang de la part du pédiatre qui ne pouvait se résoudre à voir mourir des enfants qui auraient pu être sauvés.

Financer et agrandir son hôpital, en créer de nouvelles antennes à même de couvrir tout le territoire cambodgien, embaucher et former du personnel compétent et acquérir du matériel dernier-cri auront demandé des efforts surhumains, qui ont pourtant tous été couronnés de succès.

L’exposition qui se tient actuellement à l’entrée de l’hôpital est riche d’une multitude de documents dévoilant toute l’odyssée de Kantha Bopha
L’exposition qui se tient actuellement à l’entrée de l’hôpital est riche d’une multitude de documents dévoilant toute l’odyssée de Kantha Bopha

Coups de gueule et coup d’archer

L’inséparable violoncelle de celui qui hésitait, dans sa jeunesse, entre une carrière de musicien ou de pédiatre s’est vite avéré utile. Grâce au talent du docteur, de nombreux concerts destinés à collecter des fonds ainsi qu’à faire connaître l’hôpital ont eu lieu. Sur scène ou installé sans façon dans le hall de l’un de ses hôpitaux, Beat Richner égrenait du Bach dans la nuit asiatique, devant un public venu de loin. Y compris de la Confédération Helvétique, où le docteur a été élu « Suisse de l’année » en 2002.

En peu de temps, partant d’une situation catastrophique, les hôpitaux Kantha Bopha sont parvenus à se hisser à un niveau d’excellence qui en a fait des établissements modèles. Aujourd’hui, près de 85 % des enfants ayant dû faire face à la maladie sont passés par l’un de ces établissements, tandis que le nombre de vies sauvées se compte par dizaines de milliers. Disparu en 2018, Beat Richner est néanmoins parvenu à transmettre intact son héritage, comme le démontre le travail effectué par l’équipe actuelle.

Le professeur Chantana examine un cas admis la veille, en présence du docteur Khun Leang-Chhun, vice-directeur de l’établissement. Les tournées matinales font partie d’une routine immuable
Le professeur Chantana examine un cas admis la veille, en présence du docteur Khun Leang-Chhun, vice-directeur de l’établissement. Les tournées matinales font partie d’une routine immuable

Toujours rester proche des patients

« Toutes sortes de pathologies sont traitées ici », raconte le directeur rejoint dans sa tournée. Se tenant devant un lit, Yay Chantana examine la main bandée d’un bambin à la mine espiègle, dont la moue renfrognée trahit le désir de retourner gambader dehors au plus vite. « Morsure de serpent, décrit le médecin, de ces vipères vertes que l’on trouve dans les branches et sur lesquelles on pose parfois la main. Là-bas, c’est un abcès à la jambe, ici, une malformation qui nécessite une chirurgie. Nous devons être parés à toutes les situations, comme avec cette jeune fille qui a avalé des produits chimiques, ou cet enfant dont la jambe s’est infectée suite à un traitement “traditionnel”. La jambe pourra être sauvée, mais des séquelles persisteront malheureusement. Cette fracture du crâne, ici, est due à une chute depuis un tuk-tuk, et celle-là à un accident de moto sans port du casque.

De nombreuses hospitalisations sont la conséquence d’accidents évitables. » S’arrêtant devant les lits et discutant avec les médecins, les directeur et directeur adjoint égrènent les cas, dont certains se montrent particulièrement préoccupants. Tumeur au cerveau, encéphalite et malformation cardiaque font l’objet d’un long conciliabule entre les médecins, sous le regard inquiet du parent resté au chevet. Pourtant, peu de pleurs, et même un surprenant calme règne dans les salles traversées.

De l’autre coté de la route, une extension a été inaugurée en 2008, augmentant significativement la capacité d’accueil de l’hôpital
De l’autre coté de la route, une extension a été inaugurée en 2008, augmentant significativement la capacité d’accueil de l’hôpital

Un fonctionnement couvert par les donations

Récemment aménagé, le bloc des grands prématurés constitue l’une des fiertés de l’hôpital. Dans les couveuses, de toutes petites créatures sont étendues, bénéficiant d’un matériel récent sans lequel elles n’auraient probablement pas survécu. « Nous avons ouvert cette unité il y a deux ans », précise le professeur Chantana, qui s’est arrêté devant une petite fille née après seulement 27 semaines de grossesse et pesant à peine 800 grammes. « Tout ce que vous avez vu jusqu’ici, du bloc de chirurgie cardiaque aux salles de maternité, toutes les machines, échographie, radio, rayons X, IRM et le dernier cath lab, tous les moniteurs, respirateurs, ont permis de réduire la mortalité infantile au Cambodge de manière drastique. Nous estimons que chaque mois, nos cinq hôpitaux parviennent à sauver plus de 3 500 vies. Cela nécessite des investissements colossaux, pas seulement humains, mais aussi financiers. Le coût de fonctionnement, pour le total de nos établissements, tourne chaque année autour des 40 millions de dollars. Le docteur Richner, de par sa popularité, était parvenu à hisser les hôpitaux sous le feu des projecteurs. Grâce à lui, à sa personnalité et à tout ce qu’il représentait, les dons étaient assurés et nous craignions, lorsqu’il nous a quittés, d’assister à leur effondrement. Il n’en a rien été, et la générosité des bienfaiteurs privés, institutionnels et gouvernementaux ne s’est heureusement jamais démentie. »

Pouvoir faire face aux crises les plus graves

Une autre des ambitions du docteur Richner a pu être concrétisée avec succès, celle de l’indépendance. « Nous disposons de notre pharmacie centrale, notre banque du sang est opérationnelle et nous embouteillons notre oxygène. Cela nous a permis de faire face à des moments de tension extrême et de réagir aux grandes épidémies. Comme celle, par exemple, de dengue hémorragique qui a frappé le pays de plein fouet en 2019. Si aujourd’hui, 6 cas de ce type de dengue sont actuellement pris en charge à l’hôpital, il y avait simultanément, durant la dernière vague, plus de 500 malades souffrant de cette forme très grave. Le Covid a aussi été une épreuve difficile à traverser, nous obligeant à isoler les bâtiments et à appliquer des mesures rigoureuses. Mais l’équipe peut à chaque fois se montrer fière de la manière dont elle a géré ces crises », raconte le directeur pour qui les recettes à appliquer sont simples :

« Il s’agit de toujours rester vigilant, d’examiner et de suivre consciencieusement tous les enfants depuis leur admission jusqu’à leur guérison. Nous veillons aussi à réduire le poids et l’inertie de l’administratif, en prenant le plus souvent des décisions collégiales. Nous considérons qu’il ne faut jamais relâcher la discipline, se former continuellement et ériger la coopération comme clé du succès. Il faut aussi se montrer réactif, prendre des décisions rapides, pouvoir compter sur des équipes soudées et compétentes et aussi, peut-être surtout, appliquer, respecter et adapter les méthodes mises en place par le docteur Richner. C’est tout cela qui garantit le bon fonctionnement, la pérennité et la réputation d’excellence des hôpitaux Kantha Bopha. C’est cela qui permet chaque jour de sauver des vies. »


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