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Siem Reap & Dossier : École française d'Extrême-Orient, une année bien remplie

L'École française d'Extrême-Orient tire le bilan d’une année riche en événements

Trois décennies que l’EFEO est à nouveau installée à Siem Reap ; trois décennies que les temples d’Angkor ont été placés sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. À cette année déjà singulière s’ajoutent d’importantes découvertes. Brice Vincent, responsable du centre de Siem Reap, et Chloé Chollet, doctorante en archéologie et en épigraphie, dressent le bilan de quelques-unes des recherches en cours.

Une École chargée d’histoire

À deux pas de la rivière de Siem Reap, ombragée par des essences rares, l’École française d’Extrême-Orient semble immuable, et pourtant… Au milieu des années 1970, devant l’amoncellement des menaces, les chercheurs quittèrent les lieux pour n’y revenir qu’en 1992, mesurant l’ampleur des dégâts causés par la guerre civile, les saccages et les pillages. 30 ans, donc, quasiment jour pour jour.

30 ans, aussi, que les temples d’Angkor ont été inscrits sur une liste d’exception, celle du patrimoine mondial de l’UNESCO. Si les célébrations de toutes sortes qui se tiendront en cette fin d’année seront suivies avec le plus vif intérêt, rien n’empêche en attendant de se pencher sur quelques-uns des projets de recherche les plus enthousiasmants. Ceux-ci nous emmènent dans le nord du Cambodge et au plus profond des grottes des monts Kulen.

La région de Chhaep, aujourd’hui dans la province de Preah Vihear, ancien lieu d’extraction du cuivre
La région de Chhaep, aujourd’hui dans la province de Preah Vihear, ancien lieu d’extraction du cuivre

Une dizaine de projets en cours

Ils ont pour noms de code ModAThom, MAFKATA, Yasodharasrama ou encore LANGAU. Derrière chacun de ces acronymes et termes souvent abscons se cachent des trésors d’érudition. Appuyés par des technologies toujours plus abouties, les chercheurs continuent de rassembler les pièces d’un gigantesque puzzle mélangées par les siècles. Brice Vincent, qui dirige le centre de Siem Reap, s’est spécialisé dans une branche bien particulière, celle de l’archéométallurgie. Après avoir commencé à étudier la fonderie du Palais Royal d’Angkor Thom, le chercheur s’était mis en tête de retrouver les sources du cuivre angkorien, métal qui, mêlé à l’étain, se montre indispensable à la confection du bronze.

Comme l’attestent les objets parvenus jusqu’à nous, les maîtres fondeurs de l’époque angkorienne étaient experts dans le travail du métal. Quiconque a visité des lieux tels que le Musée national de Phnom Penh ou le musée Guimet a pu se rendre compte de la perfection atteinte par les artistes et artisans de l’époque. Mais qui étaient-ils, d’où parvenaient leurs matériaux et quelles méthodes mettaient-ils en œuvre pour parvenir à un tel niveau d’excellence ?

Le LIDAR à la rescousse

Il fallait, afin d’obtenir quelques éléments de réponse, quitter Angkor et explorer l’ancien territoire du royaume khmer. En premier lieu le nord du Cambodge et la région de Chhaep, aujourd’hui dans la province de Preah Vihear. La présence de sites d’extraction du cuivre était déjà devinée, notamment grâce aux recherches effectuées par l’ethnologue-préhistorien Paul Levy, qui avait excavé en 1938 de probants indices remontant à l’âge du bronze. Restait encore à localiser une mine de cuivre. Ce que permirent l’étude préalable de données géologiques fournies par une compagnie minière australienne qui prospecta la région dans les années 2010, mais aussi, et surtout, le recours à des images LIDAR produites par cette même compagnie.

« Sans cette technologie détectant des anomalies de terrain même sous l’épais couvert végétal, il aurait été extrêmement long et difficile de trouver ces sites métallurgiques, qui se situent sur un terrain recouvert par la forêt ou par de toutes récentes plantations de manioc », commente Brice Vincent, qui y a effectué deux campagnes de prospection en novembre et mars derniers en collaboration avec le Ministère de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge.

De ces travaux ont été collectées nombre de scories, mais aussi des céramiques et des objets divers remplissant au total une trentaine de caisses ramenées pour étude au centre de Siem Reap. « Pour l’un de ces sites métallurgiques, clairement associé à la réduction du minerai de cuivre, des premières datations nous ont permis de remonter à l’époque angkorienne, mais son exploitation est sans doute plus ancienne encore. »

Lors de ces campagnes, l’équipe de l’EFEO a collaboré  avec le Ministère de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge.
Lors de ces campagnes, l’équipe de l’EFEO a collaboré avec le Ministère de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge.

Un site unique au Cambodge

« Aucun site de production du cuivre n’avait jusqu’à présent été formellement identifié au Cambodge, ce qui marque une réelle avancée dans l’histoire de la métallurgie khmère », poursuit Brice Vincent, qui avait dès 2012 consacré sa thèse universitaire à ce sujet. « Mais cette avancée amène d’autres questions. D’où venait, par exemple, l’étain qui complète le cuivre pour l’obtention du bronze ? Des recherches en cours menées par Sébastien Clouet, doctorant à Sorbonne Université, nous emmènent notamment vers le Moyen Laos. Autre questionnement né de ces deux campagnes, celui du possible rôle joué par l’ethnie Kuay dans la production de cuivre, un rôle déjà bien documenté en ce qui concerne le travail du fer. Étaient-ils les seuls à maîtriser les techniques de réduction, que ce soit de minerai de cuivre ou de minerai de fer ? Était-ce pour des raisons techniques ou bien encore religieuses ? Les prochaines campagnes nous renseigneront peut-être, puisque nous avons d’ores et déjà dénombré de nombreux autres sites métallurgiques sous lesquels reposent sûrement des réponses aux questions restées en suspens. Nous n’en sommes qu’au début et il y en a encore pour des années de recherches. C’est une région à haut-potentiel scientifique », conclut Brice Vincent avant de céder la parole à Chloé qui, elle, a focalisé ses activités sur les pentes des monts Kulen.

Sur les flancs du mont Kulen
Sur les flancs du mont Kulen

Des ermites présents de longue date

Longtemps, Mahendraparvata a focalisé la plupart des recherches archéologiques. Cette cité difficilement localisable située au sommet du Phnom Kulen hante depuis longtemps les pensées des chercheurs, en quête du berceau de la civilisation angkorienne proprement dite. En installant en 802 sa capitale sur ces hauteurs, Jayavarman II signa l’acte fondateur d’un royaume amené à rayonner durant cinq siècles jusqu’aux confins de l’Asie du Sud-Est. La rivière des 1000 lingas témoigne quant à elle du caractère sacré d’une montagne qui a toujours conservé son aura mystique. La trentaine de grottes et d’abris rocheux qui ornent ses parois de grès révèlent des traces d’occupation remontant à des temps reculés. C’est à l’érémitisme en période angkorienne que s’intéresse Chloé Chollet, un domaine dont les pratiques et les principaux acteurs ont été jusqu’à présent très peu documentés.

Troisième dimension

Doctorante à l’École Pratique des Hautes Études, la chercheuse inspecte chaque année depuis six ans les parois du Phnom. Lorsqu’elle n’est pas sur le terrain, ses études se concentrent sur le corpus épigraphique : « Les inscriptions nous permettent de clarifier les rites, les croyances, les modes de vie et la personnalité des ermites établis ici depuis plus d’un millénaire. Certains textes nous étaient déjà connus, d’autres ont été mis au jour au cours des campagnes précédentes. Leur état de conservation a longtemps posé problème, car même un support aussi solide que la pierre se dégrade au fil du temps. Et les relevés anciens, effectués selon la méthode de l’estampage, comptent malheureusement quelques lacunes, certaines parties demeurant parfois illisibles. Depuis quelques années, toutes les inscriptions sont enregistrées en utilisant le procédé de photogrammétrie. Des dizaines, voire des centaines de clichés sont réalisés et assemblés grâce à un logiciel qui en assure le rendu en trois dimensions. Nous avons pu, par cette méthode, accéder à des passages qui étaient autrefois illisibles. » Ces inscriptions, soigneusement recueillies et rassemblées, feront l’objet d’une parution et permettront de percer le mystère des ermites de la montagne Kulen.

Dégagement du site de Poeng Ta Roet
Dégagement du site de Poeng Ta Roet

Au service de Shiva ou du Bouddha

La dernière campagne de fouilles effectuée dans la grotte de Poeng Ta Roet a permis la découverte d'aménagements maçonnés, d'artefacts de terre cuite et de céramique et, surtout, de nouvelles inscriptions inédites décrivant le rituel d'équinoxe. « Les premiers ermites à s'être installés dans les grottes du mont Kulen rendaient un culte à Shiva avant, plus tard, de se tourner vers le bouddhisme. Les récentes découvertes nous permettent d'entrevoir de nombreux aspects de leur quotidien. Nous avons par exemple remarqué que, loin d'être totalement isolés, ces grottes représentaient au contraire un lieu de pèlerinage relativement fréquenté, comme en témoignent les structures mises au jour. Les ermites étaient parfaitement intégrés à la société. Nous entrevoyons aussi la personnalité de ces retraitants, qui se conforment aux étapes de la vie brahmanique, la quatrième et dernière étant marquée par le renoncement. Des dédicaces gravées sur la pierre nous ont laissé quelques noms et fonctions, ici un prêtre, là un ancien militaire sentant sa fin proche et se retirant du monde. »

Une tradition qui perdure

Loin d'être un phénomène disparu, la retraite dans les grottes des montagnes Kulen a perduré jusqu'à nos jours : « Certaines grottes sont toujours occupées et la tradition érémitique perdure. Les ermites bénéficient toujours d'une aura particulière et on vient les consulter pour leur spécialité respective. L'un confectionne des amulettes, un autre des décoctions, l'un effectue des exorcismes… Ce lien direct entre les siècles est absolument fascinant » déclare Chloé, qui est épaulée dans ses recherches par l'épigraphiste Dominique Soutif et l'archéologue Jean-Baptiste Chevance.

D'autres événements importants ont ponctué l'actualité archéologique du Cambodge. Restitutions d'œuvres, expositions internationales, restauration et collaboration entre les différentes institutions feront prochainement l'objet d'un nouvel article.

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