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Le Meilleur de 2023 & Parcours : Muy Seu Bel, L'enfant khmer qui ne voulait pas mourir

Muy Seu Bel, amputé d’une jambe à l’âge de sept ans, a trouvé dans la fabrication de bijoux un moyen de lutter contre la pauvreté et l’exclusion.

C’est une petite maison située à deux pas d’Angkor, gardée par un chien paresseux et un chat ronronnant. Arborant un large sourire et portant le maillot de l’équipe nationale de basketball, Bel, appuyé sur sa béquille, vient ouvrir le portail pour faire visiter son foyer. Depuis le salon du rez-de-chaussée résonnent les rires d’enfants dont les hamacs oscillent avec la régularité d’un métronome.

À côté, un espace aménagé en atelier où se côtoient toutes sortes d’outils ainsi que d’innombrables caisses remplies de perles, de fils de cuivre et de pierres aux couleurs chatoyantes. C’est ici que sont conçues quelques-unes des pièces de joaillerie qui ont permis à Muy Seu Bel de devenir l’orfèvre de sa propre vie.

Passé décomposé

Si son association et ses bijoux ont désormais atteint une belle notoriété, Muy Seu Bel n’en est pas moins le rescapé d’un enfer qui a maintes fois failli l’anéantir. Dans un anglais parfait, cet ancien gamin des rues se remémore un passé ponctué de drames. Né en 1985 et cadet d’une fratrie de sept enfants, ses cinq frères combattent alors dans les maquis restés fidèles aux Khmers rouges.

Orphelin de mère alors qu’il n’a que deux ans, son père se remarie avec une marâtre qui le bat et le terrorise. Marqué par une incroyable force de caractère, le petit garçon décide de fuir le domicile pour trouver refuge dans la rue, grandissant tant bien que mal au milieu de villageois bien peu préoccupés par le devenir de cet enfant.

« Je dormais avec les chiens et les porcs et ne prenais jamais de douche, se souvient Bel. Pour manger, il fallait faire les poubelles ou mendier de la nourriture auprès des voisins. Mais au moins, pendant ce temps-là, je ne voyais pas ma belle-mère. »

La suite du récit devient encore plus tragique lorsque, pour gagner un peu d’argent, Bel accepte d’aller faire paître un troupeau de vaches dans une campagne au sol truffé de mines. Un après-midi de 1992, le petit vacher de sept ans perdra sa jambe droite et ne devra la vie sauve qu’à l’intervention d’un soldat.

« Je me souviens du bruit et de la fumée de l’explosion. Lorsque j’ai repris conscience, il y avait des cris tout autour, mais personne n’osait venir vers moi. C’est finalement un Khmer rouge qui s’est porté à mon secours. J’ai appris par la suite que les combattants, familiarisés avec la présence des mines, avaient mis au point une tactique pour les repérer, consistant à ne marcher que sur les touffes d’herbe verte. Selon eux, la présence d’herbe morte signifiait qu’une mine était enfouie en dessous. »

L'enfant qui ne voulait pas mourir

Porté jusqu’au médecin du village, l’enfant ne reçoit pas les premiers soins, car son état effroyable ne laisse aucun doute sur son décès. « J'étais couvert de sang, mes cheveux et mes habits avaient été brûlés par l'explosion et mon ventre était ouvert », se souvient Muy Seu. Laissé pour mort et agonisant dans un coin, Bel lutte pour ne pas s’endormir. Au bout d’interminables heures, voyant que le jeune homme ne se décide pas à mourir, les villageois emmènent enfin l'enfant dans un établissement qui le prend en charge. Lorsqu’il se réveille, il remarque que sa jambe droite a été amputée jusqu’à la cuisse. « Mes cris ont parcouru tout l'hôpital, je hurlais et suppliais qu’on me rende ma jambe. Les mois suivants ont été un véritable calvaire. Je restais dans ma chambre, fenêtres fermées, à me demander ce que j’allais bien pouvoir faire de ma vie. Il a aussi fallu affronter, une fois quitté l'hôpital, l’hostilité des villageois pour qui une personne ayant sauté sur une mine attirait la malchance. Les mentalités ont heureusement changé depuis, mais on me jetait parfois des pierres ou du riz pour me faire partir. »

Mémoire vive

Dès lors, les choses sont claires pour cet enfant particulièrement précoce et intelligent : le salut ne proviendra que par l’éducation. Mais comment réunir la somme nécessaire pour payer les frais de scolarité, l'uniforme et les fournitures ? « Ma famille ne m’aidant d’aucune manière, il fallait bien que je trouve un moyen de me faire un peu d’argent. J’ai alors commencé à vendre des billets de loterie sur les marchés, touchant 3 dollars de commission sur 10 dollars de vente. Un beau jour, quelqu’un a acheté pour 100 dollars de tickets, j’étais soudain devenu riche ! Une fois à l’école, ma bonne mémoire m’a permis d’être à l’aise avec les cours et je suis devenu le premier de la classe. Cela m’a donné l'occasion de me faire plein de nouveaux copains, puisque je les aidais dans leurs devoirs. J’avais aussi trouvé des voisins qui m'hébergeaient en échange de quelques travaux. C’était une assez belle époque, mais je voulais absolument poursuivre des études et il a fallu pour cela, après le grade 7, quitter le village pour “monter” sur Siem Reap. »

L'ancien soldat devenu démineur

C’est alors que sa vie prend un nouveau tournant. Toujours sans le sou et dormant à la belle étoile, Bel croise le chemin d’Aki Ra. Cet ancien enfant soldat, qui a posé lors de son enrôlement forcé des centaines de mines terrestres, s’est tourné à la fin de la guerre vers des activités de déminage et d’aide en faveur des victimes. Ce denier conseille à Bel de contacter Handicap International, qui lui fabrique une jambe en plastique.

Recueillant et hébergeant les enfants en situation de grande difficulté, Aki Ra prend Bel sous son aile, le loge et lui permet de rencontrer des volontaires venus de tous pays. « C’était la première fois de ma vie que l’on me témoignait de l’amour et de l’attention. J’ai fait des rencontres fabuleuses, et grâce à monsieur Nicolas, un Belge au grand cœur qui a financé mes quatre années d’études à l’université, j’ai pu accomplir ce que je désirais le plus : poursuivre jusqu’au grade 12. »

Handicap et exclusion

Pourtant, les difficultés s'accumulent autour de Muy Seu Bel, qui connaît une période de profond découragement. « Armé de mes diplômes, j’ai commencé à chercher du travail dans différentes branches, principalement dans la finance et le tourisme. Malgré un excellent dossier qui me permettait d’obtenir des entretiens d’embauche, les visages se fermaient lorsqu’on me voyaient arriver. Je me suis plusieurs fois entendu dire qu’un handicapé n’avait pas sa place dans une entreprise et l’entretient se terminait sans autre formalité. J’ai brièvement pensé que je pourrais faire de la radio car au moins, derrière un micro, personne n’aurait remarqué qu’il me manquait une jambe. Mais là aussi ce fut sans succès. Pendant quelques mois, je me suis retrouvé dans la même situation qu’au tout début, lorsque je venais de sauter sur la mine. Rien ne semblait pouvoir garantir mon avenir. »

Des bijoux comme planche de salut

Mais absolument rien ne semble en mesure d’abattre son esprit combatif. Bel, se souvenant de toutes ces années passées à fouiller les poubelles, se remémore tout le matériel qu’on y trouve. Bricoleur dans l’âme, il y récupère fils de cuivre et chambres à air, tandis qu’il parcourt le lit des rivières pour y ramasser des pierres polies par le courant. Il fabrique quelques bijoux, d’abord avec hésitation, puis de manière plus assurée.

Nouvel échec : la clientèle qu’il démarche n’est pas la bonne, ne comprenant pas que l’on puisse acheter des bijoux issus des ordures ou de la rue. C’est auprès des touristes qu’il trouvera finalement ses clients et développera sa marque, embauchant jusqu’à 36 personnes dans ses ateliers, toutes victimes de handicap.

« Ces bijoux faits d’objets mis au rebut me renvoient à la condition des personnes handicapées. On les croit cassées, hors d’usage et inutiles, alors qu’elles peuvent au contraire se révéler brillantes et précieuses. »

Afin d’aider le plus de personnes possibles, Bel a fondé en 2009 l’association KILT (Khmer Independent Life Team), qui fournit emploi, nourriture, assistance et parfois logement aux personnes ayant sauté sur une mine, mais aussi atteintes de poliomyélite.

Développer sa marque

La clientèle internationale, longtemps absente pour cause de Covid, revient peu à peu et donne à Muy Seu Bel de grands espoirs. « Seulement quatre personnes continuent de travailler dans nos ateliers, car la pandémie a mis un frein à notre activité. Mais nous espérons retrouver un rythme acceptable et souhaiterions ouvrir de nouveaux points de vente. Actuellement, nous avons un stand au Made In Cambodia Market ainsi que dans la boutique du cirque Phare, mais nos produits gagneraient à être placés dans des hôtels, par exemple. Je dois aussi me pencher sur la vente par correspondance, qui offrirait de belles opportunités de faire connaître nos produits. Mais il faut pour cela que je trouve un peu de temps ! »

Une vie faite de rebonds

Fan de basketball et pratiquant invétéré de ce sport, Bel a intégré en 2017 la fédération nationale de basket en fauteuil roulant, en tant que joueur tout d’abord, pour en devenir finalement entraîneur et secrétaire général. À son actif, deux médailles, d’or et d’argent, aux derniers ASEAN Para Games et de grandes ambitions pour la prochaine édition, qui se déroulera cette année au Cambodge. « Nous sommes capables d’aller très loin dans la compétition », estime Bel, qui effectue chaque semaine des allers-retours à Phnom Penh pour entraîner l’équipe. Avec cette rage de vaincre qui le caractérise, Bel conclut l’entretien par cette phrase : « Il ne faut jamais abandonner. Jamais. Quelles que soient les circonstances, il faut se battre et le résultat se montre toujours payant. »

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