Les premières mentions du Cambodge sur les cartes du monde : à la rencontre des premiers cartographes
- La Rédaction

- 15 oct.
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Le 10 octobre 2025, le musée SOSORO a accueilli une conférence passionnante du Professeur Olivier de Bernon intitulée « Les premières mentions du Cambodge sur les cartes du monde ». Cette conférence a porté un regard éclairé sur ceux qui, les premiers, ont esquissé le royaume cambodgien sur des cartes, révélant à la fois la fascination de ces pionniers et les limites flagrantes de leur compréhension du territoire.

Qui a dessiné ces premières cartes ?
Les premières cartes mentionnant le Cambodge sont souvent l’œuvre de voyageurs européens, commerçants, missionnaires, et plus tard d’archéologues, qui, chacun à leur manière, ont tenté d'appréhender un pays dont la culture et la géographie leur étaient en grande partie inconnues. Parmi les sources cartographiques anciennes, on trouve des cartes manuscrites réalisées à la fin du XIXe siècle par les gouvernorats cambodgiens eux-mêmes, à la demande du Protectorat français.
Ces cartes, tracées à l’encre et parfois colorées au pastel, sont considérées comme les plus anciens documents cartographiques créés par les Khmers, une originalité remarquable car la plupart des cartes anciennes étaient produites par des étrangers. Ces documents sont aujourd’hui précieux pour la toponymie et l’archéologie, et certains exemplaires ont été offerts au roi Norodom Boromneath Sihamoni lors de son entrée à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres en 2010, témoignant du riche patrimoine cartographique cambodgien.
Professeur Olivier de Bernon : un explorateur de la cartographie cambodgienne
Professeur Olivier de Bernon, linguiste et chercheur spécialisé dans les études bouddhistes et la culture du Cambodge, est une figure incontournable de l’étude des anciennes cartes cambodgiennes.

Membre scientifique de l’École française d’Extrême-Orient depuis 1991, il a publié de nombreux travaux sur les littératures religieuses et profanes du Cambodge ainsi que sur la cartographie historique du royaume.
Son expertise éclaire la complexité des premières représentations du Cambodge, où les limites de la connaissance contemporaine se mêlaient souvent à des impressions d’exotisme et à des erreurs géographiques.
Les premiers défis des cartographes
Les cartes anciennes, notamment celles compilées au XVIIIe et XIXe siècles, se basaient sur des sources indirectes et des observations imparfaites. Par exemple, une carte dessinée à Singapour en 1851, avec des informations collectées par Constantine de Monteiro, représentant le Cambodge souverain d’Ang Duong, illustre ce mélange d’observations exactes et d’imprécisions fines, notamment sur les positions des rivières, des provinces, et des villes importantes comme Phnom Penh ou Oudong.
Le château d’eau de Phnom Penh, appelé "Olompeh" sur certaines cartes occidentales, était un lieu de concentration spirituelle et politique, bien connu mais souvent mal positionné par les cartographes européens. Ces cartes reflètent également les mouvements de population, les conflits avec les voisins siamois et cochinchinois, ainsi que les ambitions commerciales des Européens.

Voyageurs, missionnaires et marchands : des acteurs de la diffusion cartographique
Au fil des siècles, la connaissance occidentale du Cambodge s’est construite par la venue successive de voyageurs audacieux, de missionnaires déterminés, puis de marchands en quête d’opportunités économiques.
Ces hommes, souvent les premiers Occidentaux à visiter le territoire ou à s’y installer, ont laissé des récits qui alimentaient la cartographie naissante. Edme Casimir Croizier, dans son ouvrage de 1878, évoque notamment l’abbé Bouillevaux comme le précurseur des explorations, suivi par l’anglais King, et le commandant Doudart de Lagrée parmi d’autres. Ces descriptions, bien que teintées de subjectivité propre à leur époque, ont servi de socle à la construction progressive de la connaissance géographique du Cambodge.
Le Cambodge dans la cartographie occidentale avant 1511 : entre mythes, découvertes et représentations imparfaites
Avant l'époque des Grandes Découvertes, la représentation cartographique du Cambodge dans le monde occidental était embryonnaire, souvent imprécise, et étroitement liée à une mosaïque de savoirs hérités autant de l'Antiquité gréco-romaine que d'échanges avec le monde arabo-musulman et l'Asie orientale.
Le Cambodge apparaît de manière indirecte, sous des toponymes variés, sur plusieurs mappemondes médiévales et pré-renaissantes où la péninsule indochinoise est souvent déformée et parfois décalée sur la carte. Par exemple, la mappemonde de Fra Mauro (1459), une œuvre monumentale réalisée à Venise, fait état d'une « cit royale » nommée Nagari, que certains spécialistes identifient à Angkor, la grande capitale khmère. Cette carte s’appuie notamment sur les récits de voyageurs comme Nicolo de Conti, qui séjourna dans la région au début du XVe siècle. Ces références témoignent d’une connaissance encore fragmentaire mais distinctive du royaume khmer au moment où son influence politique se retirait progressivement d’Angkor, déplacée vers d’autres centres comme Lovk (Longvek).
Une autre source clé est le globe de Martin de Behaim (1492), produit en Allemagne, qui mentionne explicitement un royaume « Kambaja » avec des inscriptions accompagnées de noms comme « Loach », interprété par certains comme une transcription occidentale de la capitale post-angkorienne Lovk. Cette carte impose une représentation ptolémaïque, enrichie des observations portugaises récentes, plaçant le Cambodge dans une Indochine encore méconnue, en marge d’une mer d’Inde encore largement mythifiée.
Au-delà des modèles ptolémaïques traditionnels, d’autres cartes médiévales, comme celle du génois Pietro Vesconte (1321) et la mappemonde coréenne Kangnido (1402), d’origine chinoise, ont pu influencer la diffusion des savoirs géographiques concernant l’Asie du Sud-Est. Ces documents, qui figurent dans le corpus des représentations cartographiques avant 1511, montrent une Asie déformée mais déjà connectée par des réseaux commerciaux et culturels jusqu'alors peu tracés en Europe.
L’étude détaillée de ces cartes anciennes révèle également que les toponymes changent selon le contexte des voyages, qu’ils soient vénitiens, portugais, ou byzantins, et témoignent toujours d’un tâtonnement de la connaissance occidentale face à un Cambodge que les Européens n’ont encore que peu approché directement. Le royaume reste pour beaucoup un lieu mystérieux, parfois confondu avec ses voisins, mais toujours associé à une fabuleuse richesse culturelle et à une importance stratégique grandissante.
La contribution de chercheurs comme le Professeur Olivier de Bernon est précieuse pour replacer ces cartographies dans leur contexte. Son travail sur les manuscrits khmers, les archives coloniales et les récits de voyage éclaire à la fois la justesse, les limites et les interprétations successives que ces premières cartes portaient face au royaume cambodgien, oscillant entre fascination, méconnaissance et quête de maîtrise géopolitique.
Ainsi, la conférence au musée SOSORO acquiert une dimension historique et scientifique riche, montrant que le Cambodge, à travers ses premières mentions cartographiques, incarne un carrefour essentiel d’échanges culturels et géographiques à la veille de la mondialisation européenne.







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