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Cambodge & Histoire : S.A.R le Prince Tesso Sisowath et l’héritage artistique du Ballet royal

À l’occasion du 18e anniversaire de la proclamation de Preah Reach Troap Dance (Ballet royal) en tant que patrimoine immatériel de l’humanité (7 novembre 2003) :

S.A.R le Prince Tesso Sisowath aura passé plus de dix ans auprès de la Princesse Norodom Buppha Devi pour l’aider à organiser, créer et promouvoir le Ballet royal. À l’occasion du premier anniversaire de sa disparition, le prince confie son ressenti sur l’héritage artistique précieux laissé par celle qui fut sa mentore et compagne de travail pendant si longtemps.

Entretien :

Laurent Weyl
S.A.R le Prince Tesso Sisowath . Photographie Laurent Weyl

CM : En dehors de l’événement tragique, qu’avez-vous ressenti lors du départ de la princesse Norodom Buppha Devi ?

Ce que j’ai pu ressentir, c’est que lorsque la princesse est partie, il y a eu une vive émotion dans la population cambodgienne, surtout parmi les jeunes. Beaucoup d’entre eux ont exprimé leur immense tristesse et leur amour pour la princesse sur les réseaux sociaux. Et c’est là que je me suis rendu compte que, sans avoir cherché à communiquer sur sa personne, en gardant cette discrétion et cette réserve, elle était connue et aimée dans tout le royaume. Et même au-delà, car la presse internationale en a également parlé. J’ai vraiment l’impression que les Cambodgiens s’étaient attachés à elle en raison de sa beauté, de son image d’Apsara. Elle était sans conteste devenue une icône nationale.

CM : La question que beaucoup de gens se posaient était celle de la relève, qu’en est-il aujourd’hui ?

Il est vrai que, lorsque je travaillais avec la princesse, je le ressentais déjà. Je me posais la question : « mais après, quel sera l’avenir du Ballet royal ? ». Je me suis demandé qui dans la famille royale pouvait reprendre son héritage artistique et je me suis rendu compte qu’il fallait transmettre son travail à une autre génération. C’est pour cette raison, j’ai essayé de son vivant de la convaincre de communiquer, c’est pour cela qu’elle a d’ailleurs accepté apparaître dans des reportages.

« D’ailleurs ce fut avec vous qu’elle a accepté pour la première fois, car j’insiste encore, c’était un personnage très discret à propos de son immense talent »

C’est pour cela aussi qu’à partir de là, nous avons fait des films et documenté les spectacles. Et sur ce point je suis content, car ses derniers spectacles ont pu être filmés et ce sont aujourd’hui des archives précieuses.

Avant une tournée au Maroc
Avant une tournée au Maroc. Photographie Christophe Gargiulo

Quant aux autres talents du ballet, je crois que la princesse avait une certaine vision. Son Altesse Royale était bien plus qu’une danseuse. Elle était surtout chorégraphe et c’était une authentique passion bien ancrée en elle. Et je pense qu’elle avait aussi beaucoup de talent dans cette discipline. D’ailleurs les derniers spectacles qu’elle a proposés étaient tous de nouvelles créations. Même lorsqu’elle reprenait des spectacles traditionnels inspirés de sa grand-mère la reine Kossomak, elle y apportait une touche personnelle tant au niveau des costumes que des couleurs, de la mise en scène.

« Ce qui était appréciable chez elle également était son ouverture aux concepts modernes »

Par exemple, la dernière création, Wattana Devi, n’était absolument pas une danse du répertoire classique. Il s’agissait d’une création nouvelle basée sur une légende grecque. Elle a lu l’histoire de Psyché et a su l’adapter à une tradition cambodgienne. Et ce fut une réussite tant artistique qu’en termes d’accueil du public. C’est pour cela qu’il est difficile de retrouver un tel talent, de danseuse et de chorégraphe. Elle avait une belle vision du Ballet et de l’art.

CM : Vous étiez plutôt proche de la princesse, quel était votre rôle exactement ?

Le fait d’être cousin facilitait les relations. Je la voyais tous les jours, nous déjeunions ensemble et elle me parlait autant de ses projets professionnels que privés. La princesse n’aimait pas les médecins, il était difficile de la convaincre d’en voir un et j’avais du mal à la persuader d’en voir un quand je la sentais fatiguée. Et, cela m’attristait, car comme dans toute famille on s’inquiète pour la santé de ses proches.

« Je ne suis pas au ministère de la Culture, je travaillais pour la princesse de façon libre et désintéressée »

Elle me l’avait demandé et je ne l’ai jamais regretté, c’est bien grâce à elle que j’ai découvert cet univers de la danse classique cambodgienne. La ministre actuelle de la culture, S.E. Phoeurng Sackona m’a assuré de son soutien pour les projets initiés par la princesse. Les enfants de la princesse ont également réagi en créant une association destinée à promouvoir le Ballet royal à l’étranger.

CM : Pour revenir sur la succession possible…

Parmi la nouvelle génération, il y a de grands talents. Ils ne sont pas seulement ancrés dans la tradition, ils évoluent aussi dans la modernité. Ce sont des artistes qui peuvent proposer une certaine approche du Ballet royal qui peut toucher les jeunes, les sensibiliser à la danse classique. Toutefois, il reste encore des discussions à mener sur qui pourrait gérer les spectacles sans oublier aussi que nous sommes dans une situation très particulière en raison de la pandémie. Nous avons d’ailleurs dû annuler un projet de tournée au Mexique. Nous nous cantonnons donc aujourd’hui aux spectacles officiels qui se déroulent à Chaktomuk mais nous n’avons pas de grand spectacle orignal à proposer dans l’immédiat. Je mentionnerais le travail de Sophiline Cheam Shapiro, une artiste qui évolue dans une autre démarche, car il s’agit de création beaucoup plus moderne. Avec la princesse, je crois que ce sont les deux seules artistes qui ont généré de véritables impulsions dans la création de spectacles.

CM : Si vous pouviez lui parler aujourd’hui, que lui diriez-vous ?

Je lui dirais qu’elle nous manque beaucoup, je pense à elle régulièrement, car nous avons travaillé ensemble pendant plus de dix ans et nous étions devenus assez proches. Et enfin, j’espère que de là où elle est, elle saura nous guider pour que le Ballet royal continue avec le prestige qu’elle avait su lui préserver.

Propos recueillis par Christophe Gargiulo

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