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Ancre 1

Exposition & FCC Angkor : 150 ans de photographie au Cambodge

Le FCC Siem Reap expose une sélection de clichés couvrant 150 ans de photographie au Cambodge. Au-delà de leur qualité artistique, ces tirages illustrent les soubresauts du passé et interrogent sur le pouvoir et le sens des images.

Sur les murs blancs défile un patchwork d’une centaine de clichés relatant l’histoire extraordinaire d’un royaume qui l’est tout autant. Illustrer un siècle et demi d’histoire par une vaste sélection de photographies, tel est le pari de cette exposition, qui satisfera un public à la recherche tant de belles images que de témoignages historiques.

Souvenirs de Cochinchine et du Cambodge. Photomontage, 1920
Souvenirs de Cochinchine et du Cambodge. Photomontage, 1920

Des toutes premières photos issues de la colonisation française au renouveau de la photographie cambodgienne, en passant par le Sangkum du prince Sihanouk et la tragédie des Khmers rouges, la scénographie immerge le spectateur dans une chronologie où la vie quotidienne rejoint souvent la grande histoire.


De l’usage d’un médium

Des images sépia aux Jpeg numériques, des daguerréotypes d’Angkor aux images de guerre transmises par bélinographe, en passant par les plaques de verre et le Rolleiflex, l’exposition couvre toutes les évolutions d’un médium photographique au rôle prépondérant. Loin de se résumer à un acte anodin, la production d’images révèle et reflète une société, ses préoccupations, ses acteurs, ses décors, figeant en 1/100 e de secondes des instantanés éternels. Qui prend cette photo, pourquoi cette personne dispose-t-elle d’un appareil, qu’a-t-elle voulu exprimer par le biais de ce cliché et comment ce dernier sera-t-il interprété ?

Explorateurs, colons, touristes, journalistes et propagandistes se succèdent à la barre de cette exposition, qui débute logiquement par la période du Protectorat. Le Cambodge fascine alors un public qui a lu le journal de Mouhot et peut, par l’intermédiaire des images réalisées par Émile Gsell, suivre les expéditions d’exploration commandées par Garnier et Doudart de Lagrée. Orientalisme, exotisme, romantisme d’une civilisation engloutie par la jungle et engouement pour le folklore assurent la large portée de ces images reproduites dans la presse florissante de cette fin de siècle. Il s’agissait aussi, par le pouvoir ensorceleur de ces images, de justifier et glorifier le rôle de la France dans ses possessions outre-mer. De tous les clichés réalisés à l’époque, aucun n’a été produit par un photographe cambodgien, l’usage de l’appareil photo étant réservé à une élite blanche et fortunée.

Soif de voyages et d’aventures

La période d’entre-deux-guerres marque une démocratisation des voyages, tandis que l’appareil photo devient plus compact, plus simple d’utilisation et, surtout, moins onéreux. Le fameux Kodak Brownie, qui fit la grandeur de la marque, se vendait à 1 dollar et devint ainsi très populaire. Le Cambodge attirait alors de plus en plus de voyageurs conquis par l’incroyable reproduction d’Angkor Vat admirée à Paris lors de l’Exposition Coloniale de 1931. Dans le même temps, les archéologues de l’École Française d’Extrême-Orient documentent leurs efforts titanesques en faveur des temples, fixant sur pellicule les précieux témoignages de constructions, d’objets et de sculptures qui seront détériorés par les guerres ou pillés par des collectionneurs avides.

Un âge d’or ?

Après la Seconde Guerre mondiale, une prospérité inédite gagne le royaume désormais indépendant, avec à sa tête un monarque sensible aux arts. Des photographes cambodgiens voient enfin leurs travaux diffusés à grande échelle, dans des journaux et des magazines en couleur. Tous les aspects de la vie quotidienne sont abordés, des surprises-parties au lycée Descartes à l’essor industriel et architectural voulu par le Sangkum Reastr Niyum du roi devenu prince.

Le tout rythmé par les guitares électriques et les voix de Sinn Sisamouth ou Ros Serey Sothea dans un « swinging Phnom Penh » qui n’avait rien à envier aux capitales musicales du moment. Mais peu à peu la guerre du Vietnam se propage aux pays alentour. L’hôtel Royal de Phnom Penh se remplit de journalistes venus observer ce pays plus tout à fait neutre, fixant sur pellicule les dernières années du règne de Norodom Sihanouk, puis celui de Lon Nol en prise avec des Khmers rouges de plus en plus menaçants. Certains des clichés pris à l’époque auront coûté la vie à des photographes ayant dû payer un lourd tribut : entre 1970 et 1975, 37 journalistes ont trouvé la mort dans l’exercice de leur métier.

Les années 1960 symbolisent pour beaucoup un âge d’or dans de multiples domaines, y compris la photographie
Les années 1960 symbolisent pour beaucoup un âge d’or dans de multiples domaines, y compris la photographie

3 ans, 8 mois et 20 jours bien documentés

L’obscurité tombe sur les décombres encore fumants de la guerre civile, le pays se recroquevillant sous la dictature sanguinaire des Khmers rouges. Si le Kampuchea démocratique était un pays fermé à double tour, des témoignages photographiques existent pourtant, comme le révèle l’exposition. Témoignages devenus tristement célèbres, comme ces portraits systématiquement réalisés des détenus entrant au camp de détention S-21 ; mais aussi témoignages insoupçonnés, comme cette improbable brochure éditée par l’Angkar afin de célébrer la grandeur de sa révolution. Riche de nombreuses photos, dont certaines en couleur, le « Democratic Kampuchea is moving forward » est un sidérant exemple de propagande. En une cinquantaine de pages, les réalisations industrielles, architecturales et agricoles du nouveau régime y sont glorifiées par des images montrant une population souriante et débordante d’activités. Rédigée en anglais et destinée à être distribuée aux « pays frères », cette publication démontre, parfois jusqu’au malaise, tout le pouvoir de l’image en matière de (dés) information. D’autres clichés issus de cette période sont exposés, effectués par des journalistes conviés afin de témoigner des bienfaits du régime. Voyages organisés, visites guidées et « villages Potemkine » offrent une profusion d’images qui serviront la propagande khmère rouge.

De nombreuses images subsistent de la période 1975-1979, toutes effectuées à des fins de propagande
De nombreuses images subsistent de la période 1975-1979, toutes effectuées à des fins de propagande

Nouveaux talents, nouvelles interrogations

Depuis les années 1980, la scène photographique cambodgienne connaît un fabuleux essor, porté par des talents multiples. À la réflexion sur le passé récent se mêlent les préoccupations artistiques. Des lieux de mémoire, dont le centre Bophana demeure le plus emblématique, collectent les témoignages à des fins éducatives et de transmission. Encouragés par l’émergence de festivals et de galeries d’art, les photographes connaissent un nouvel âge d’or et acquièrent pour certains une renommée internationale.

Des images marquantes sont exposées, comme ce cadavre gisant sur son lit de mort, qui n’est autre que « frère numéro 1”, alias Saloth Sâr, plus connu sous le nom de Pol Pot. On peut aussi voir cette photo d’un amas de chaussures et de vêtements éparpillés sur le pont de Koh Pich par une nuit tragique de 2011. Mais aussi des illustrations d’un quotidien promettant des lendemains souriants, ou en tout cas loin des horreurs perpétrées durant les décennies passées, images qui sont autant de portraits d’un pays finalement plus fort que la mort.

Pochettes de 45 tours, mais aussi livres sont exposés, comme ce remarquable Sinoun, la petite Cambodgienne, publié en 1971
Pochettes de 45 tours, mais aussi livres sont exposés, comme ce remarquable Sinoun, la petite Cambodgienne, publié en 1971

Le sens des images

Fruit d’un travail de longue haleine, cette exposition ne reflète qu’une infime partie de l’effort accompli par Nicholas Coffill afin de collecter des centaines de photos relatives au Cambodge. Une sorte de prélude avant la sortie toute prochaine de son livre « Photography in Cambodia, 1866 to the present », aux éditions Tuttle.

Ayant conçu l’aménagement et la scénographie de divers musées de par le monde, cet Australien résidant à Siem Reap depuis de nombreuses années témoigne ainsi de son amour pour le pays, de sa destinée extraordinaire et du sens jamais neutre que revêt chaque image. À l’heure où les photos prolifèrent et sont devenues omniprésentes, la prise de conscience exercée par cette exposition n’en demeure que plus salutaire.


Photography in Cambodia, from 1866 to the present: exposition au FCC Angkor de Siem Reap, jusqu’en septembre 2022. Entrée libre.


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