Conflit Cambodge - Thaïlande : Une fragilisation économique profonde pour le Royaume
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Le récent regain des tensions frontalières entre le Cambodge et la Thaïlande, analysé dans un rapport d’AMRO publié en novembre 2025, révèle l’ampleur des perturbations économiques à court et moyen terme pour Phnom Penh et ses provinces frontalières.
Sous la direction de Chunyu Yang et avec la collaboration de Kuchsa Dy et Vansopheaktra Odorm Tep, l’étude offre une vue détaillée sur les effets macroéconomiques d’un conflit ancien mais toujours récurrent, mettant en lumière des phénomènes de chocs transfrontaliers complexes et durables.
Un contexte géopolitique qui pèse sur l’économie
Depuis des décennies, le différend territorial autour du temple de Preah Vihear constitue une épine dans les relations bilatérales. En 2025, les hostilités armées surviennent en deux pics : une escarmouche initiale en mai suivie par une série d’affrontements en juillet, conduisant à la fermeture des principaux postes-frontières. Ce climat d’instabilité s’installe dans une région où la thésaurisation des frontières représente un obstacle majeur au commerce, au tourisme et à la libre mobilité de la main-d’œuvre.
L’accord de cessez-le-feu de juillet, officialisé lors du sommet ASEAN d’octobre à Kuala Lumpur, n’a pour l’instant pas permis une réouverture durable des points de passage, maintenant une atmosphère d’incertitude politique et sociale. Cette situation fragilise non seulement la confiance des acteurs économiques mais génère également des effets en cascade sur les macro-indicateurs.
Le rôle crucial de la frontière dans l’économie cambodgienne
La frontière commune de plus de 800 km relie le Cambodge à l’un de ses partenaires commerciaux et économiques majeurs, la Thaïlande, en particulier dans le cadre du corridor économique du Grand Mékong. Ce corridor permet l’acheminement d’énergies, de biens de consommation, de produits agricoles, et concentre la mobilité d’une main-d’œuvre importante. En 2024, la Thaïlande représentait 13,5% des importations cambodgiennes, notamment en pétrole et denrées alimentaires, tandis que les exportations vers la Thaïlande s’élevaient à 3,2% des exportations totales.
Le rapport souligne que 1,2 million de travailleurs cambodgiens résidaient en Thaïlande en 2024, envoyant près de 2 milliards de dollars en remises, soit 5,6% du PIB cambodgien, un apport essentiel pour maintenir la consommation domestique et soutenir des secteurs vulnérables. Par ailleurs, la Thaïlande est à l’origine de 30% des visiteurs internationaux au Cambodge en 2025, avec une présence touristique essentielle pour les économies locales, notamment dans les provinces frontalières.
Mécanismes de transmission des effets économiques du conflit
Les fermetures frontalières ont directement affecté les échanges commerciaux, les flux touristiques et la mobilité des travailleurs. Les principaux canaux de transmission identifiés sont :
Remises des travailleurs migrants : Avec environ 900 000 Cambodgiens ayant quitté la Thaïlande durant le conflit, une baisse de 37,5% des remises est anticipée, impactant lourdement la consommation intérieure et freinant la croissance de près de 0,3 point de PIB.
Tourisme : La chute du nombre de visiteurs thaïlandais, combinée à des avertissements internationaux, a provoqué un net revers pour l’industrie touristique, aggravée par des préoccupations liées à la sécurité et la réputation du pays.
Commerce international : Malgré la dépendance limitée aux importations thaïlandaises, certains secteurs clés comme le pétrole, les fruits, et légumes ont connu des pénuries temporaires, partiellement couvertes par d’autres fournisseurs, modulant l’effet inflationniste à un niveau modéré (autour de 2% d’inflation annuelle).
Investissements directs étrangers : L’incertitude politique et les perturbations logistiques ont freiné certains projets d’investissement, en particulier ceux liés au « Thailand 1 strategy », où les entreprises déplacent leurs opérations en fonction de la connectivité transfrontalière.
Projections et scénarios pour 2026
AMRO expose trois scénarios contrastés reflétant les différents horizons possibles :
Scénario | Principaux paramètres | Croissance prévue | Impact sur l'économie |
Baseline (normalisation progressive) | Cessez-le-feu tenu, frontières réouverture début 2026 | 5,0% | Reprise des flux migratoires, tourisme +10-15%, inflation maîtrisée |
Défavorable (fermeture prolongée) | Restrictions partielles maintenues, tensions persistantes | 4,5% - 5,0% | Baisse continue des remises, tourisme en stagnation, IDE en recul |
Sévère (reprise des hostilités) | Conflits armés renouvelés, fermeture quasi totale | 3,5% - 4,5% | Remises -30%, tourisme -40%, inflation au-dessus de 3%, recul IDÉ |
Ce cadre prospectif sert d’outil clé pour les décideurs afin de calibrer des réponses économiques adaptées et planifier des mesures d’atténuation des risques.
Recommandations de politique économique et sociale
Les auteurs pressent les autorités cambodgiennes à mettre en œuvre plusieurs stratégies prioritaires :
Accent sur la protection sociale : Transferts monétaires ciblés, restructuration des dettes des ménages dépendants des remises, et développement de filets de sécurité adaptés.
Programme de réinsertion professionnelle : Développer et aligner les formations techniques et vocationnelles à travers le TVET pour absorber les travailleurs rapatriés, en ciblant les secteurs à forte croissance.
Restauration de la confiance touristique : Combattre activement la fraude en ligne, rassurer les visiteurs par des campagnes et renforcer la sécurité, tout en améliorant l’infrastructure touristique.
Diversification des routes commerciales : Renforcer les infrastructures portuaires comme Sihanoukville, et développer des corridors alternatifs via le Vietnam pour réduire la dépendance à la frontière terrestre thaïlandaise.
Gestion budgétaire rigoureuse : Bien que la situation exige des dépenses sociales accrues, maintenir la discipline fiscale est crucial pour préserver la confiance des investisseurs et stabiliser les marchés.
Le rapport d’AMRO dirigé par Chunyu Yang et ses collaborateurs offre une analyse nuancée qui met en lumière comment les tensions frontalières, bien qu’épisodiques, peuvent avoir des conséquences profondes et plurielles sur l’économie cambodgienne. Entre dépendances commerciales, flux migratoires et tourisme, l’impact se traduit par un ralentissement notable de la croissance, des pressions inflationnistes modérées, et un climat d’incertitude pesant sur l’investissement.
La capacité du Cambodge à naviguer ces défis repose sur la mise en œuvre rapide de politiques sociales ciblées, le soutien à la résilience économique locale, et des efforts diplomatiques pour une normalisation durable des relations avec la Thaïlande. Face à ces enjeux, ce travail analytique d’AMRO reste une référence majeure pour informer les décisions et préparer l’économie cambodgienne à un avenir encore incertain mais susceptible de rebondir.