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Chronique & Opinion : Le Cambodge et les États-Unis : Des liens à réparer, une confiance à restaurer

À travers un long exposé, Kin Phea, directeur général de l’Institut des relations internationales du Cambodge, expose les difficultés auxquels les deux pays sont confrontés pour établir des relations diplomatiques saines et suggère quelques alternatives.

Kin Phea, directeur général de l’Institut des relations internationales du Cambodge
Kin Phea, directeur général de l’Institut des relations internationales du Cambodge

Les premières relations diplomatiques officielles directes entre le Cambodge et les États-Unis ont été établies en juillet 1950. Les relations diplomatiques entre les deux pays durent depuis plus de 70 ans. Cependant, ces relations ne semblent pas avoir atteint la maturité nécessaire en dépit de leur ancienneté. Ces rapports ont souvent été compliqués et imprévisibles avant et après l’indépendance du Cambodge.

Liens instables

Au cours des 70 dernières années, les relations entre le Cambodge et les États-Unis ont été mitigées, instables et ont connu de multiples péripéties, et les deux pays ont même rompu leurs liens diplomatiques à deux reprises. Toutefois, les liens se sont élargis dans plusieurs domaines au cours de la dernière décennie.

« L’arrivée de l’administration Obama a donné un nouvel élan à la politique américaine de réengagement en Asie du Sud-Est et dans l’ensemble de l’Asie »

Les États-Unis ont renforcé leur partenariat avec les membres de l’ASEAN, dont le Cambodge.

La relation des États-Unis avec le Cambodge a été façonnée et encadrée sur la base de la stratégie « Pivot vers l’Asie », qui est une démarche dynamique et globale. Cette stratégie couvre un large éventail d’activités, notamment le renforcement des alliances bilatérales en matière de sécurité, l’établissement d’une présence militaire étendue, l’engagement des institutions multilatérales régionales, l’expansion du commerce et des investissements, la promotion de la démocratie et des droits de l’homme. Il s’agit non seulement de défendre les intérêts et les valeurs des États-Unis, mais aussi de contrebalancer l’influence de la Chine en Asie du Sud-Est.

L'ancien président Obama et le Premier ministre Hun Sen. Photo
L'ancien président Obama et le Premier ministre Hun Sen. Photo OPCM

Initiative diplomatique

Par la suite, les États-Unis sous l’administration de Donald Trump ont semblé ne pas accorder de valeur à l’ASEAN, et les relations des États-Unis avec certains pays de cette association ne semblent pas très brillantes. Les relations des États-Unis avec le Cambodge paraissent alors tendues. Cependant, à la fin de son mandat en 2019, le président américain Donald Trump a envoyé deux lettres au Premier ministre cambodgien Samdech Techo Hun Sen, ce qui a été considéré comme un geste diplomatique assez rare.

La première lettre était une invitation au Premier ministre à assister au sommet spécial États-Unis-ASEAN en 2020 et la deuxième lettre soulignait l’importance des liens bilatéraux en affirmant que les États-Unis souhaitaient renforcer davantage ces liens bilatéraux qui devaient demeurer basés sur le respect mutuel. Dans sa deuxième lettre, Donald Trump a souligné que les États-Unis respectaient la volonté souveraine du peuple cambodgien.

« Il a également appelé les services de politique étrangère des deux pays à entamer des discussions pour rétablir les liens entre les deux pays »

En réponse, le Premier ministre Hun Sen a salué l’initiative de Donald Trump, notant qu’elle renforcerait les relations entre l’ASEAN et les États-Unis. La démarche du chef du gouvernement royal était claire et soutenait le partenariat stratégique ASEAN-USA pour qu’il continue à se développer et à profiter à chacun.

Le Premier ministre Hun Sen a également soutenu l’initiative visant à créer un groupe de travail pour rétablir la « confiance » entre les deux pays. Le Premier ministre a convenu que les responsables de la politique étrangère des deux pays devaient travailler ensemble pour rétablir la confiance et reconstruire l’amitié entre les deux pays et ses peuples.

Doutes

Cependant, on peut encore douter que les deux pays parviennent à tisser des liens pour restaurer ce qui a été perdu dans le passé en un laps de temps aussi court. La question est de savoir quels sont les intérêts stratégiques perçus par les deux pays dans leurs relations bilatérales.

« En dépit de sa petite taille, de son petit nombre d’habitants et de la faiblesse de son économie, de sa situation géographique et de son rôle régional, le Cambodge est stratégiquement important pour les États-Unis »

Les intérêts américains au Cambodge incluent la promotion du développement, du commerce et des investissements, la sécurité régionale, la société civile, la démocratie et les droits de l’homme et, en particulier, les intérêts géopolitiques pour lesquels les États-Unis sont en concurrence féroce avec la Chine. Les États-Unis s’engagent davantage avec le Cambodge non seulement pour défendre leurs intérêts et leurs valeurs, mais aussi pour contrebalancer l’influence de la Chine en Asie du Sud-Est.

Intérêts

Pour le Cambodge, les intérêts nationaux fondamentaux dans ses relations bilatérales avec les États-Unis se veulent centrés sur le développement économique et la réduction de la pauvreté grâce à l’aide américaine, le commerce bilatéral, les investissements et la coopération pour la paix, la sécurité et la stabilité régionales. Le Cambodge a toujours accordé une grande importance et une priorité à la paix et à la stabilité dans le pays et dans la région. Par conséquent, les États-Unis se doivent de comprendre clairement les intérêts stratégiques du Cambodge dans leurs relations avec le Royaume.

D’un point de vue général, le Cambodge et les États-Unis semblent partager des intérêts stratégiques interdépendants dans leurs relations bilatérales, alors pourquoi ces relations sont-elles tendues et pas assez développées en dépit de leur ancienneté ?

« Quels sont les défis qui empêchent ces relations de se développer harmonieusement ? »

En termes de politique étrangère, les deux pays ont des objectifs différents. Au cours du 20e siècle, et plus particulièrement pendant la guerre froide, la politique étrangère des États-Unis visait principalement à contenir la montée du communisme, tout le reste étant secondaire, et il en allait de même en Asie du Sud-Est. Les États-Unis n’avaient toutefois pas de politique étrangère précise vis-à-vis de l’Asie du Sud-Est en général et du Cambodge en particulier.

Le but ultime de la politique étrangère du Cambodge consistait à survivre en tant que nation et État souverain par tous les moyens possibles. Le Cambodge n’a pas établi de distinction entre le monde libre et le communisme. L’objectif de la politique étrangère du Cambodge consiste à maintenir la paix, la stabilité, l’amitié, la prospérité et le développement et à regagner le prestige national perdu dans le passé.

L’ombre de la Chine

Le partenariat stratégique global du Cambodge avec la Chine est susceptible de demeurer une ombre sur la relation qui se renforce entre le Cambodge et les États-Unis, ce qui rend les relations du Cambodge avec les États-Unis assez compliquées et peut-être imprévisibles. Dans ce contexte, les États-Unis ne considèrent probablement pas le Cambodge comme un partenaire stratégique.

De leur point de vue, les États-Unis voient plutôt le Cambodge comme une « épouse de la Chine ».

« Pour les USA, la relation entre les deux pays semble être enfermée dans l’ombre de la Chine »

De manière pragmatique, le Cambodge a toujours adhéré à la politique étrangère multisectorielle sans effectuer de distinction entre les mondes libéral ou communiste.

Divergences

Les problèmes de politique intérieure du Cambodge semblent être utilisés par les États-Unis en échange de leurs relations avec le Cambodge. Ainsi, il apparaît que les États-Unis se soient ingérés dans les affaires intérieures du Cambodge en apportant leur soutien à l’opposition et en encourageant les groupes de la société civile locale et internationale, ainsi que certains médias, à donner une image « négative » du Cambodge qui ternit l’image du Royaume sur la scène internationale.

« Dans le même temps, de profondes divergences sur les questions de démocratie et de droits de l’homme, ainsi qu’un manque de confiance politique, sont devenus des défis majeurs pour les relations entre les deux pays »

L’attitude des diplomates américains au Cambodge dans le passé a également nui aux relations entre les deux pays, car ces derniers semblaient avoir peu de compréhension ou se montrer indifférents aux valeurs asiatiques, à la culture et à la civilisation cambodgiennes, notamment au regard de l’histoire du Cambodge.

L'ambassadeur M.Murphy et S.E.Hun Sen
L'ambassadeur M.Murphy et S.E.Hun Sen. Photo OPCM

Toutefois, avec l’arrivée de l’actuel ambassadeur des États-Unis, Patrick Murphy, un diplomate chevronné qui fait preuve de professionnalisme et connaît bien la société et la culture asiatiques et cambodgiennes, on constate que les relations entre les deux pays se stabilisent et s’améliorent.

Même si les défis ont été identifiés et ressentis par les deux pays, la question de savoir comment les deux pays peuvent rétablir leurs liens et restaurer leur confiance reste la question la plus fréquemment posée.

Améliorer les relations

D’un point de vue général, pour améliorer ces relations encore peu harmonieuses et réduire le manque de confiance, les deux pays doivent avant tout adhérer strictement au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures tel qu’il est inscrit dans la Charte des Nations unies et au respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale.

Des dialogues bilatéraux francs et fréquents sont également essentiels pour instaurer la confiance et cultiver la relation et l’amitié entre les deux pays.

« Dans le même temps, les deux pays doivent ajuster leur position et ouvrir leur esprit et leur cœur pour accepter les différences et travailler ensemble pour l’avenir »

Les échanges de visites de haut niveau devraient être réguliers et fréquents afin de contribuer à améliorer la compréhension mutuelle grâce à une perception réciproque honnête, de renforcer et de développer l’amitié et la coopération entre les deux pays, et d’aborder les questions régionales et mondiales avec une vision commune. Il est à noter que les échanges de visites de haut niveau entre le Cambodge et les États-Unis ont été très rares, laissant un dans la confiance mutuelle.

Pour promouvoir la compréhension et la confiance mutuelles, les deux pays doivent comprendre les intérêts nationaux fondamentaux de l’autre et les objectifs et stratégies de politique étrangère, ainsi que respecter les intérêts mutuels et se soucier des préoccupations de l’autre.

Pour renforcer leurs relations avec le Cambodge, les États-Unis devraient faire preuve d’une compréhension plus approfondie de l’histoire, du conteste socioculturel, des conditions politiques et économiques, ainsi que de la complexité de la politique du pouvoir et de la transition dans le pays.

« Les États-Unis devraient intensifier leur coopération au développement avec le Cambodge par le biais d’approches plus positives »

Dans le contexte géopolitique, une attitude négative pourrait devenir contre-productive. Dans le même temps, les États-Unis devraient envisager d’encourager leurs investisseurs à s’installer au Cambodge, tout comme la Chine.

Il est temps pour les États-Unis et le Cambodge, dans le sillage de la Chine, de renouer des liens. Le Cambodge doit continuer à adhérer aux principes fondamentaux de sa politique étrangère, tels que consacrés par l’article 53 de la Constitution de 1993, qui stipule que « le Royaume du Cambodge adopte une politique de neutralité permanente et de non-alignement. Le Royaume du Cambodge suit une politique de coexistence pacifique avec ses voisins et avec tous les autres pays du monde. »

Cependant, le Cambodge devrait adopter une politique étrangère judicieuse et multisectorielle avec tous les pays, sans faire de distinction entre les mondes libéral et communiste, afin d’obtenir des avantages pour la nation et le peuple, tout comme les grandes puissances l’ont fait pour leurs propres intérêts. Les intérêts n’ont pas de couleur ni « d’odeur communiste ou libérale ».

La Chine et les États-Unis ont tous deux joué un rôle important dans la promotion du développement du Cambodge. Par conséquent, le Cambodge devrait trouver un moyen d’équilibrer les relations entre les deux superpuissances afin de maximiser ses retours politiques, économiques et diplomatiques, et ne devrait pas privilégier une grande puissance plutôt qu’une autre.

« Dans l’ensemble, le Cambodge et les États-Unis ont encore de nombreuses possibilités et un grand espace pour resserrer leurs liens et réduire le vide de la confiance réciproque »

Nous espérons que les leçons tirées des 70 ans de leurs relations bilatérales leur permettront de cultiver des liens plus stables, plus étendus et plus solides entre les deux pays pour les 70 prochaines années et au-delà.

Par Kin Phea, directeur général de l’Institut des relations internationales du Cambodge, Académie royale du Cambodge.

(Les opinions exprimées dans cet article sont uniquement les opinions personnelles de l’auteur, elles ne reflètent pas les opinions de l’Institut des relations internationales du Cambodge ou de l’Académie royale du Cambodge).

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