Conflit frontalier : Anutin Charnvirakul, l'homme qui tient la paix en otage
- Editorial team

- il y a 7 heures
- 4 min de lecture
Depuis son accession au pouvoir, le nouveau Premier ministre thaïlandais, Anutin Charnvirakul, s’est rapidement imposé comme un dirigeant ferme, déterminé à démontrer sa force — une posture qui a eu un coût plutôt lourd pour le Cambodge et a exacerbé les tensions le long de leur frontière commune.

Anutin Charnvirakul, élu Premier ministre de Thaïlande le 5 septembre 2025 par le Parlement, succède à Paetongtarn Shinawatra, destituée par la Cour constitutionnelle pour violation éthique dans un appel fuité avec Hun Sen sur le différend frontalier.
À 58 ans, ce leader du parti Bhumjaithai, héritier d'une dynastie politique et défenseur de la décriminalisation du cannabis, a forgé une coalition improbable avec l'opposition progressiste, promettant des élections anticipées en mars 2026.
Sa prise de pouvoir coïncide avec une escalade dramatique du conflit frontalier, où sa rhétorique intransigeante rejette pour le moment toute conciliation, transformant une querelle historique en bras de fer.
Ascension d'Anutin et chute des Shinawatra
L'appel fuité de Paetongtarn le 15 juin 2025 avec Hun Sen, qualifiant l'armée thaïlandaise d'"opposition", provoque un krach boursier (-4,17%), la sortie de Bhumjaithai du gouvernement et sa destitution le 29 août. Anutin, ministre de l'Intérieur, capitalise sur ce chaos : élu Premier ministre avec 258 voix, il délègue à l'armée tout en évitant les pièges de ses prédécesseurs.
Hun Manet félicite même Anutin le 7 septembre, espérant une normalisation, mais les tensions persistent avec des fermetures de postes-frontières et des interdictions d'imports cambodgiens.
Escalade militaire : de juillet à décembre
Juillet voit des affrontements intenses : le 24 juillet, drones cambodgiens et roquettes BM-21 sur Sisaket tuent civils et militaires ; des F-16 raseront des postes cambodgiens, déplaçant 200 000 personnes. Le cessez-le-feu de Kuala Lumpur le 28 juillet vole en éclats.
Août multiplie les incidents : mines blessant des soldats, rumeurs d'armes chimiques (phosphore blanc nié par Bangkok), expulsion d'ambassadeurs.
Décembre explose : le 8 décembre, opérations terrestres et aériennes thaïlandaises tuant plusieurs soldats et civils ; Trump exhorte au respect de son cessez-le-feu sans rassurer, 500 000 personnes fuient les zones de combat.
Hostilité viscérale d'Anutin : « Pas de négociations »
Le 8 décembre, Anutin balaie les accords passés : « Je ne m'en souviens pas. Pas de pourparlers. Si les combats s'arrêtent, le Cambodge suit nos termes. » Il autorise des frappes sur 11 points, exige des excuses pour les mines – « violation inhumaine » – et suspend la paix d'octobre, priorisant la souveraineté sur le commerce (3,1 Md$ de pertes).
Tranchant avec Paetongtarn « soumise », il rejette la médiation malaisienne : « Dites à l'agresseur d'arrêter d'abord. »
Ce qui frappe également, c’est la manière dont Anutin transforme un différend bilatéral en test de résistance face aux médiations extérieures. Les efforts de l’ASEAN restent timides, les Nations unies prudentes, et même l’implication directe de Donald Trump, artisan d’une trêve devenue bancale, est traitée avec distance par Bangkok.
Le message est clair : la Thaïlande ne veut ni d’un arbitrage qu’elle ne contrôle pas, ni d’un format qui ferait perdre la main à l’armée et au gouvernement.
Motivations : nationalisme et survie politique
Anutin instrumentalise le conflit pour détourner les critiques : inondations dans le sud, scandales de scams, corruption. Sondages : plus de 50% des Thaïlandais anti-Cambodge ; l'armée le soutient. La politique intérieure attise les flammes : Phnom Penh riposte avec Hun Sen invoquant une ligne rouge franchie, duo de « strongmen ». Économiquement, tourisme et échanges souffrent, mais le nationalisme prime avant les élections de 2026.
Le danger, pour la région, est évident : plus le conflit sert de levier politique à Bangkok, plus la fenêtre pour une désescalade se rétrécit. Chaque journée de combats rend le retour à la table des négociations plus coûteux politiquement, alors même que les coûts humains – centaines de milliers de déplacés, hôpitaux touchés, sites culturels menacés – explosent. Derrière le visage dur du nouveau Premier ministre thaïlandais, la paix n’est pas seulement repoussée : elle est prise en otage par un récit nationaliste dont les deux pays pourraient longtemps payer le prix.
Dissolution du Parlement et calcul électoral
Sur le front intérieur, la grande nouvelle de l’actualité d’Anutin autour du 11 décembre est son mouvement vers la dissolution de la Chambre, afin de tenir sa promesse d’élections anticipées dans les quatre mois suivant son arrivée au pouvoir.
Les médias signalent qu’il a enclenché la procédure pour dissoudre le Parlement, ouvrant la voie à un scrutin qui pourrait se tenir au printemps 2026, dans un climat dominé par le conflit et par les critiques sur sa gestion des inondations et des réseaux d’arnaques en ligne.
Cette décision répond également à l’engagement contracté avec le principal parti d’opposition, le parti du Peuple, qui lui avait offert un soutien conditionnel lors du vote pour le poste de Premier ministre. Mais elle s’inscrit aussi dans une stratégie : capitaliser sur le réflexe de rassemblement national autour du drapeau pendant la crise frontalière, avant que les coûts humains, économiques et diplomatiques de la confrontation n’érodent davantage son image.
Une image publique travaillée entre dureté et compassion
Enfin, l’actualité récente d’Anutin montre un travail délibéré sur son image : le 11 novembre, il s’était déjà rendu au chevet de soldats blessés par une mine dans la province de Si Sa Ket, apparaissant en larmes devant les caméras et promettant les « meilleurs soins possibles », scène largement relayée dans les médias thaïlandais.
Au 11 décembre, ce registre compassionnel se combine à une posture martiale : rendre hommage aux civils et soldats morts, tout en promettant de « protéger la population par tous les moyens », y compris par des frappes massives au‑delà de la frontière.
Cette dualité – empathie affichée pour les victimes thaïlandaises et inflexibilité revendiquée vis‑à‑vis du Cambodge – reste au cœur de sa stratégie : se présenter à l’électorat comme le Premier ministre à la fois « humain » et « intraitable », celui qui pleure avec les familles tout en ordonnant aux F‑16 et à l’artillerie de continuer à frapper tant que Phnom Penh ne cède pas aux conditions de Bangkok.







Commentaires