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Archives & Chronique : Mes chers parents, savez-vous pourquoi les chiens du pays aboient la nuit ?

Mon voisin Ta Sât est une bibliothèque sur pieds. Ce petit homme au visage dessiné à la hache, aux épais cheveux blancs, aux yeux pétillants et au sourire vide de presque toute occupation dentaire mériterait le prix Nobel en us et coutumes, traditions, mythes et légendes.

Savez-vous pourquoi les chiens aboient la nuit ?
Illustration Splitshire

Un prix qu’il faudrait inventer spécialement pour lui. Et aussi, pour que ces trésors qui sortent chaque soir de sa mémoire ne se dispersent pas aux quatre vents. Qu’ils se transmettent encore de génération en génération.

Lorsque la campagne s’apaise, que les enfants sortent leur ballon crevé pour rejouer la finale de la coupe du Monde, le petit homme vient s’asseoir sous ma maison. En échange d’une cigarette bon marché et d’une cannette de bière, il me raconte. Il me parle de sa vie, de celle de ses voisins. Des heurts et des malheurs des uns et des autres. Du dur travail des champs.

Kambuja

Mais aussi et surtout il conte les multiples vies de ce royaume. Pour Ta Sât, c’est son nom, il n’existe aucune frontière entre mythe et histoire, entre morts et vivants, entre superstitions et réalité. Ta Sât sait comment est né le Kambuja, ce royaume sorti des eaux.

Et gare à celui qui lui rétorque que ce n’est qu’une légende.

Tout est parti d’une union, celle d’une princesse et d’un brahmane indien nommé Kambu. Cette jeune et jolie princesse était la fille du roi des Nagas, le mythique mi-homme mi-serpent.

Ce dernier régnait sur une vaste terre recouverte par les eaux. Pour constituer la dot de sa fille, le roi Naga but les eaux qui recouvraient ce pays et offrit cette terre ainsi asséchée aux futurs époux. Le nouveau royaume fut appelé Kambuja, qui signifie « né des eaux ». Kambu devint alors le roi de ce nouveau territoire et les noces furent célébrées sous un arbre particulier, un klok. Une fois la cérémonie terminée, l’arbre fût coupé, enterré et un immense palais fut construit à sa place.

Respecter les traditions khmères

La preuve que ce n’est pas une légende ? Ceux qui s’intéressent de près à l’archéologie angkorienne se souviendront qu’à l’emplacement de ce qui fut jadis le palais royal, au cœur de la cité d’Angkor Thom, le professeur Jacques Gaucher de l’École française d’Extrême-Orient, a mis à jour lors de fouilles récentes un tronc de klok coupé, parfaitement conservé… Coïncidence ? Pas pour Ta Sât.

Et si cet homme, qui ne veut pas dire son âge, a vécu si longtemps, c’est qu’il respecte scrupuleusement toutes les traditions khmères qui relèvent en fait d’un profond et ancestral animisme. Il sait par exemple que si l’on veut éviter que les fantômes ne rentrent dans votre maison pour vous tourmenter, il ne faut jamais planter de bananier javanais à proximité. Et de s’assurer que le nombre des marches menant à l’étage soit impair.

Pourquoi les chiens aboient-ils la nuit ?

Ta Sât sait pourquoi les chiens aboient la nuit : un jour, il y a bien longtemps, l’un d’eux a avalé une plante magique nommée pradal prahon. Elle permet de voir l’invisible et n’aurait jamais dû tomber dans la gueule d’un chien. « Lorsqu’ils se mettent à hurler en pleine nuit sans raison, c’est qu’un fantôme passe près d’eux. Tout simplement ».

Personne ne se promène en forêt à la nuit tombée, car les génies qui y habitent feraient tout pour que vous vous y perdiez ou qu’une bête sauvage vous dévore. En plein jour, il est important de ne pas parler fort ni de raconter des blagues lors d’une promenade dans les bois. Pour ne pas déranger les nombreux Neak Ta, les fameux génies qui pullulent.

Avant de boire l’eau d’une source ou de cueillir les fruits d’un arbre, toujours déposer un petit morceau de nourriture, quelques cigarettes tout en invitant l’invisible habitant les lieux à accepter ces offrandes.

Si un chevreuil venait à s’égarer dans le village, il est nécessaire d’organiser sans tarder une cérémonie religieuse afin de purifier l’endroit. La venue d’un tel animal dans un centre habité est synonyme de mauvais augure. Ta Sât le sait. Il se souvient de ce jour de mai 1975. Quelques semaines avant l’arrivée des Khmers rouges dans son village non loin de Battambang, un chevreuil s’y était égaré. Et personne n’avait alors voulu organiser de cérémonie…

Le vieil homme est intarissable. À chaque événement important de la vie en société correspondent des dizaines de superstitions. Chaque cérémonie bouddhiste est bourrée de symboles cachés. Il les connaît tous et se plaît à me les énumérer, soir après soir.

Ta Sât, puits de savoir

Ta Sât est un puits de savoir. Seul érudit à des kilomètres à la ronde, il est un monument de connaissances installé dans un désert d’ignorances. Un Cambodgien anonyme, dont la pauvreté matérielle dans laquelle il vit est inversement proportionnelle à sa richesse intellectuelle.

Avant de partir se coucher, le vieux voisin me dispense un dernier conseil : « N’urine jamais sous les escaliers de ta maison. Si d’aventure tu transgressais cette règle, un orage s’abattra le jour de ton mariage, les convives ne viendront pas. Et tu ne recevras aucun cadeau »… Cela ne vaut, bien entendu que pour les célibataires… Frédéric Amat

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