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Chronique : Mes chers parents, connaissez-vous le prix d’une vie ?

Retour

Je suis de retour dans mon village où la vie n’est jamais un long fleuve tranquille. Trois enfants d’une même famille ont été fauchés la semaine dernière par une grosse berline, sur la route qui passe non loin. Elles circulaient à moto. La plus grande, celle qui conduisait, n’avait que 14 ans. Ses deux sœurs, 7 et 2 ans. Aucune n’a survécu. La cérémonie funéraire a été payée par la commune et s’est d’ailleurs déroulée sur le terrain communal. Toutes disposent de terrains publics pour permettre aux plus démunis d’organiser les cérémonies traditionnelles, les mariages, les enterrements. La sono, les tables, les chaises, tout est fourni par l’administration.

Moment douloureux

Ce fut un moment pénible pour toute la communauté. Trois vies broyées et des parents détruits à jamais. La voiture avait la conduite à droite. C’est légal dans ce pays où l’on devrait normalement ne disposer que de véhicules avec le volant à gauche. Les camions principalement, et depuis peu les bus, importés de Thaïlande, sont de plus en plus nombreux avec le volant du mauvais côté. Mais les voitures aussi.

Mes chers parents, connaissez-vous le prix d’une vie ?

Mes chers parents, connaissez-vous le prix d’une vie ?


Le prix d’une vie

Le chauffard s’est enfui juste après le drame. Comme toujours ici après un accident grave. Les conducteurs ont peur d’être lynchés par la foule en colère. Il a récupéré sa voiture, plus tard et a offert de négocier avec la famille en offrant 3000 dollars de compensation. Cela fait 1000 dollars par enfant. Le prix d’une vie. Le prix d’un gosse qu’on écrase sur le bord d’une route au Cambodge. Les photos ont largement été diffusées sur Facebook, comme c’est toujours le cas dans pareilles circonstances. On y voit la grand-mère en pleurs, assise, tenant dans ses bras la plus petite, du moins ce qu’il en reste. Facebook est LE vecteur d’images macabres principal au Cambodge. Sans aucune censure, sans aucune pudeur.

Pas nouveau

Mais personne n’a attendu ce média social pour jouer les rapaces. Les journaux nationaux dans leurs éditions papiers ont toujours mis en « Une » les plus horribles photos d’accidents ou de meurtres. « L’une d’elle m’avait particulièrement marqué, me souffle Ta Sâr, mon vieil ami. C’était au début des années 1990. Un moto-taxi avait pris une passagère à la gare routière de Phnom Penh. Il avait mis la valise de sa cliente entre ses cuisses. Celle-ci avait omis de lui dire que son bagage contenait une mine antipersonnel armée destinée à sécuriser son champs de bananier. Ils avaient sillonné Phnom Penh et à un moment, certainement un nid de poule, la mine a explosé. Et le pauvre moto-taxi a terminé en couverture du journal national ! Lors de l’attentat à la grenade de 1997 dans une manifestation d’ouvrières du textile, tous les journaux, même étrangers, avaient publié les images de ces pauvres filles déchiquetées ».

Perte de repères

Certes, le voyeurisme n’est pas l’apanage du Cambodge. Mais mille dollars pour une vie d’enfant ! « Ce tarif est une moyenne, me confirme Ta Sâr. C’est très peu pour le chauffard, mais c’est énorme pour des gens qui manquent de tout. La moto n’a presque pas été endommagée dans l’accident. Sinon, il aurait dû en payer une autre ».

Par de nombreux côtés, la société cambodgienne est ultra violente. La perte de repères, et l’absence de certaines valeurs, entraînent des comportements violents envers les autres tout autant que suicidaires. Violences conjugales, viols et meurtres d’enfants, conflits entre convives lors d’une soirée qui dégénère, coups de feux tirés à la suite d’une altercation, etc.

Violence sociale

Mais il existe une autre violence, parfois bien pire. Elle est sociale et se niche dans la vie de tous les jours ; dans ces contrastes saisissants entre ultra riches et misérables. Dans les quelque milliers de dollars généreusement offerts par le riche conducteur d’une belle voiture au couple de paysans pour le décès de leurs enfants. La violence est invisible. Elle se cache dans ce mépris de certains parvenus de la ville pour les gens des campagnes. C’est en partie parce que ces gens-là méprisaient et écrasaient ces enfants des rizières que ces derniers ont, un jour d’avril 1975, décidé de vider toutes ces villes de leurs habitants. Pour les amener vivre à la campagne… On connaît la suite.

A bientôt. Frédéric Amat

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