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Cambodge & Parcours : Thyda Thaung, la belle et ambitieuse héritière des salines de Kampot

« Le sel, c’est la vie », disait Learoyd dans l’Adieu au roi, rappelant ainsi que les peuplades d’Asie bénissaient depuis la nuit des temps cette substance permettant de conserver les aliments. Au Cambodge pourtant, l’exploitation du sel marin est relativement récente et a connu bien des péripéties en raison de sa dépendance au climat et des tourments de l’histoire.

Thaung Thyda, la fondatrice de Thaung Enterprise
Thaung Thyda, la fondatrice de Thaung Enterprise

Aujourd’hui, la production de sel marin issu des salines de Kampot et de Kep permet de couvrir la demande intérieure. Derrière ce succès récent, une jeune Cambodgienne issue d’une famille de fermiers de Kampot : Thyda Thaung.

À la ferme puis à la ville

Si le sourire asiatique devenait discipline olympique, Thyda occuperait sans aucun doute le podium. Arborant le style élégant et moderne de la jeune chef d’entreprise, la Cambodgienne arbore un beau et grand sourire dès qu’il s’agit de parler de sel. « D’ailleurs, tout le monde m’appelle Madame Sel aujourd’hui », confie-t-elle, visiblement impatiente et ravie de parler de son aventure professionnelle et surtout de sel...

Pourtant, ses jeunes années vécues paisiblement aux abords des salines dans la petite campagne bien éloignée des bruits de la ville, n’encourageront à ce moment aucune vocation vers l’entreprise familiale. « J’ai effectué ma scolarité à Kampot puis je suis partie sur Phnom Penh pour mes études supérieures. Après le lycée, j’ai préparé un Master de droit public à l’Université royale puis j’ai complété par un diplôme d’administration publique à l’École Nationale d’administration en France », raconte-t-elle, ajoutant :

« Au début de ma carrière professionnelle, j’étais surtout attirée par le droit, je n’envisageais pas encore de travailler pour l’exploitation familiale. Mon retour à Kampot après plusieurs années dans le privé à Phnom Penh est une longue histoire »

Retour à Kampot

« Dans mon parcours professionnel, à l’approche de la trentaine, peut-être étais-je arrivée à un moment de réflexion, de remise en question ». Un jour, la jeune femme rend visite à sa mère, qui vit toujours à Kampot bien sûr, et constate que la famille et les employés travaillent dur, mais doivent faire face à de nombreuses difficultés. Thyda se dit alors qu’il existe sans doute des challenges intéressants, pas seulement au niveau de l’exploitation familiale, mais aussi avec les producteurs de sel de la région, l’exploitation en général et la commercialisation du produit. « D’un point de vue plus personnel, je me suis dite qu’après quelques années de travail confortable dans des bureaux, il était temps de me fixer un objectif diffèrent, de trouver un but dans ma vie. Donc, ma pensée allait au-delà du challenge professionnel, je me suis sentie investie ». C’était en 2016.

Histoire de sel

Pour comprendre Thyda et sa démarche ambitieuse, il faut comprendre le sel et son histoire dans la région. Le Cambodge a une longue histoire de production de sel, mais au cours des siècles précédents, la plupart du sel provenait des mines. La production de sel marin par évaporation solaire est relativement récente et a été introduite au Cambodge à partir du delta du Mékong. Des témoignages indiquent que l’exploitation aurait démarré dans la région tout au long des années 1940 et 1950. En 1975, les Khmers rouges nationaliseront le secteur et la situation perdurera avec une production insuffisante et irrégulière jusqu’au milieu des années 1980. À cette époque, le père de Thyda, Bun Narin et un groupe de résidents de Kampot adressent alors une pétition au gouvernement pour obtenir la permission de produire du sel en tant qu’entrepreneurs privés. La réponse fut favorable et aujourd’hui, il existe environ 200 producteurs de sel naturel à Kampot et Kep capables de produire 200 000 tonnes de sel par an, si les conditions d’ensoleillement sont favorables.

Histoire de sel

2016 et Challenges

Pour Thyda, malgré la présence de son père qui la fera bénéficier de son expérience technique, l’aventure du sel posa quelques challenges et le chemin fut assez difficile. « Quand je suis revenue, l’exploitation des salines à Kampot restait dans un esprit très familial, il n’y avait pas encore ou peu de support du gouvernement », explique la Cambodgienne. La fin de 2017 et le début de 2018 seront catastrophiques pour le secteur. Les pluies persistantes tout au long de la saison sèche de 2018 permettront de récolter seulement quelques centaines de tonnes, une quantité bien en dessous de la moyenne de quelques milliers de tonnes de la ferme familiale. En 2019, le Cambodge devra importer 50 000 tonnes de sel de Chine et cette période marquera un tournant pour de nombreux producteurs de sel naturel.

« Je comprenais les besoins d'importation, car nous avions eu des productions infimes en 2018 en raison de mauvaises conditions climatiques et nous ne pouvions pas fournir suffisamment. Mais, cela me rendait malheureuse »

20 des 200 producteurs abandonneront la production après ces deux saisons qu'elle préfère oublier. L’association locale des producteurs de sel sera dissoute, car entre 60 et 80 producteurs décideront de la quitter. Aussi, parmi les 150 fermiers de la région, nombreux sont ceux qui furent sollicités pour le rachat de leurs terres proches du littoral et tentés de quitter cette activité qui semblait se tarir. Kampot et Kep connaissent aussi à ce moment-là une flambée des prix des terrains et de nombreux investisseurs locaux et étrangers s’intéressent aux côtes du Cambodge. Heureusement, en 2017, le ministère de l’Industrie et de l’Artisanat décidera d’interdire les ventes de salines susceptibles de servir à d’autres fins que la production de sel afin de protéger l’industrie.

« Les challenges étaient nombreux. Il y avait les difficultés naturelles liées au climat, mais aussi le besoin de motiver les exploitants à conserver leur ferme après ces déboires, car il s’agit d’une activité économique avec un potentiel, mais aussi d’une tradition », confie la cheffe d’entreprise qui ne se laissera pas abattre par ces premières années difficiles, au contraire.

Relancer une dynamique

Les premiers changements apportés furent de persuader les fermiers de travailler ensemble à nouveau, d’améliorer les techniques de production et d’étoffer un peu la gamme de produits, en exploitant la fleur de sel par exemple. Il faut savoir que la production de sel à Kampot reste encore plutôt artisanale, les agriculteurs utilisent des outils simples, des houes, des pelles, des râteaux et des paniers ; et la récolte a lieu uniquement pendant la saison sèche. En octobre et novembre, des canaux sont préparés et la surface en argile des bassins d’évaporation est compactée parfois avec un simple marteau. Ensuite, l’eau est pompée dans les étangs de réservoir, soit directement de la mer, soit via des canaux, avec de petites pompes à moteur diesel. « Nous avons acheté de l’équipement neuf pour rendre le processus moins pénible et plus rentable », explique Thyda.

fleur de sel

Reconnaissance du produit

Concernant les difficultés, il existait aussi un sérieux problème de reconnaissance du produit. Les gens parlent beaucoup du poivre de Kampot, localement et internationalement. En plus de sa qualité reconnue, il bénéficie d’une indication géographique qui lui donne une aura et une excellente réputation à travers le monde. Par contre, il y a quelques années, personne ne parlait du sel de la région, personne ne voyait la réelle valeur et la qualité de ce sel.

« Nous nous sommes orientés vers une démarche de commerce équitable, nous produisons du sel marin, avec des méthodes traditionnelles et il n’est évidemment pas possible de lutter en termes de prix avec le sel importé »

Le sel produit en usine, qui est extrait du sol puis blanchi et iodé en Chine ou au Vietnam, se vend en moyenne à 1260 riels sur les marchés locaux, contre environ 8000 par kilo pour le sel naturel de Kampot. Le travail de Thyda consiste donc aussi à promouvoir le sel de Kampot, à convaincre les acheteurs potentiels qu’il s’agit d’un condiment de grande qualité et qu’il est forcément un peu plus cher que le sel industriel. Et, tous ne comprennent pas forcément la différence entre les deux. Concernant le sel industriel, il ne s’agit pas d’un produit « chimique », mais il ne subit pas les mêmes traitements après la récolte.

Thyda et ses produits
Thyda et ses produits

« Un sel de table est raffiné et contient du chlorure de sodium à 99 %, il peut être enrichi, d’iode, de fluor ou même d’antiagglomérants. Un sel marin, ou une fleur de sel seront bien plus chargés naturellement d’oligo-éléments et comporteront beaucoup moins de chlorure de sodium » argumente Thyda tout en montrant les quelques échantillons des produits de Thaung Enterprise.

Exporter

« Nous sommes très fiers de la reconnaissance internationale qui s’est construite ces trois dernières années. Nos produits sont actuellement en vente dans de nombreux supermarchés tels que Aeon Mall et des magasins bio, des hôtels et restaurants de luxe ainsi que dans d’autres pays. Nous avons réussi à pénétrer le marché japonais, ce qui signifie que nos produits sont de très bonne qualité. C’est une authentique reconnaissance et une belle motivation pour poursuivre nos activités », déclare Thyda.

En 2020, les productions des salines de Kampot couvrent les besoins du marché intérieur cambodgien. La province de Kampot a produit au total 83 969 tonnes de sel pendant la saison, une excellente performance due aux conditions météorologiques favorables, mais aussi à l’énergie déployée par une Cambodgienne animée par une « irrésistible envie de bien faire, d’améliorer les choses et de contribuer à la richesse de son pays ».

Ailleurs

Aujourd’hui, la jeune femme passe son temps entre Phnom Penh, où elle a transformé une partie de son appartement en bureau, et sur le terrain à Kampot pour poursuivre son travail de relance du secteur. Elle passe aussi énormément de temps dans les forums, conférences et ateliers pour parler de son parcours et partager les difficultés et joies d’une vie d’entrepreneuse au sourire définitivement olympique.

Texte et photographies par Christophe Gargiulo

Illustrations additionnelles : Thaung Enterprise

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