Cambodge & Histoire : La guerre d'une journée entre Khmers rouges et Américains sur l’île de Koh Tang
- Youk Chhang
- il y a 12 heures
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Après la prise du pouvoir par le régime khmer rouge le 17 avril 1975, le gouvernement khmer rouge a créé une nouvelle unité appelée « Unité 164 », dirigée par Meas Mut (gendre de Ta Mok) afin de superviser la zone sud-ouest. Un rescapé, Nhoeung Chroeung, raconte.

L'Unité 164 a été créée pour protéger toutes les frontières maritimes du Cambodge, y compris les zones de la province de Kampot, de la province de Koh Kong et de Sihanoukville.
En 1975, les dirigeants khmers rouges étaient fiers de leur victoire sur le régime républicain de Lon Nol, qui avait reçu le soutien des États-Unis. À cette époque, les dirigeants khmers rouges pensaient être suffisamment puissants pour avoir vaincu les États-Unis. Le commandant de l'unité, Meas Mut, a donc ordonné aux soldats khmers rouges chargés de garder les îles de faire preuve de courage et d'audace pour capturer les bateaux de pêche thaïlandais et vietnamiens qui entraient illégalement dans les eaux territoriales. Les soldats khmers rouges stationnés sur les îles devaient capturer tous ces navires sans exception.
La même année (1975), un cargo américain nommé Mayaguez naviguait dans les eaux internationales près de l'île de Poulo Wai. Les jeunes soldats khmers rouges, qui n'avaient reçu aucune éducation sur le droit maritime international, ont vu ce cargo passer dans la zone de Poulo Wai et l'ont capturé, le retenant à l'île de Koh Tang. Ils n'ont pas immédiatement libéré le cargo, ce qui a conduit à une courte bataille. Plus tard, les soldats khmers rouges ont vu de nombreux hélicoptères américains larguer des bombes sur Sihanoukville, en particulier sur l'île de Koh Tang.
Un ancien soldat khmer rouge nommé Nhoeung Chroeung, qui avait combattu pendant les cinq années de guerre et continué à servir comme soldat khmer rouge dans la nouvelle unité 164, connaissait certains détails de ce qui s'était passé à Koh Tang et sur d'autres îles du Cambodge.

« Je suis né en 1952 dans le village de Trapeang Ampok, commune de Trapeang Thom Nord, district de Tram Kak, province de Takeo (zone sud-ouest). Mon père s'appelait Nhoeung Chrin, ma mère Kit Khom, et j'avais 11 frères et sœurs (5 garçons et 6 filles). J'étais le deuxième enfant. J'ai étudié à l'école Trapeang Kol jusqu'en 9e année mais, j'ai dû arrêter mes études à cause du coup d'État de 1970. Les écoles ont fermé, il n'y avait plus d'enseignants et, au même moment, les forces militaires de Lon Nol bombardaient Angk Ta Som et plusieurs autres endroits. Plus tard, plusieurs villages ont été libérés et contrôlés par les Khmers rouges. En 1972, j'ai épousé une femme du village voisin, Kem Kon, et nous avons eu un fils.
En 1973, je me suis porté volontaire pour devenir garde dans la commune de Trapeang Thom pendant trois mois, puis j'ai continué comme soldat khmer rouge dans la région 13 de la province de Takeo. J'étais dans le bataillon 4, qui avait pour commandants Sov et Hon. À cette époque, la guerre contre les forces de Lon Nol s'intensifiait et j'ai été transféré dans la zone militaire sud-ouest, dans le régiment 3, commandé par Meas Mut. Pendant cette période, j'ai participé à des combats contre les forces de Lon Nol un peu partout, dans le but de capturer Phnom Penh avant 1975. À la fin de l'année 1974, j'ai été blessé et soigné dans un hôpital militaire de campagne, je n'ai donc pas participé à la prise de Phnom Penh. »
« Le 17 avril 1975, toutes les ingérences étrangères, les bombardements et les affrontements armés dans la guerre civile qui opposait les Cambodgiens depuis cinq ans ont pris fin. Lorsque le régime khmer rouge est arrivé au pouvoir, le ministère de la Défense nationale a organisé la création de la nouvelle unité 164, dirigée par Mas Mut. »
Cette unité a été créée pour protéger les frontières maritimes du Cambodge.
« J'étais soldat dans l'unité 164. Angkar nous a envoyés en camion à Kampong Som (Sihanoukville). Au début, nous sommes restés au port de Sihanoukville, à Tomnup Rolork, pendant une courte période. Angkar a divisé ces forces en groupes ; mes supérieurs m'ont ordonné de rester à l'unité du port de Nareay, près de l'aéroport de Kang Keng. Plus tard, j'ai appris que les soldats khmers rouges qui gardaient l'île de Poulo Wai avaient capturé un cargo nommé Mayaguez qui naviguait sur une route internationale et le retenaient à l'île de Koh Tang. Cette nuit-là, j'ai entendu à Radio America que si Phnom Penh ne libérait pas le navire, le Cambodge serait bombardé jusqu'à sa destruction. Le lendemain, le navire a été libéré, mais cela n'a pas empêché une attaque des forces américaines. Il y a eu un bombardement à Sihanoukville, à la raffinerie de pétrole et au port de Nareay, près de l'aéroport, où certains avions ont été endommagés. La guerre a duré une journée, de 9 heures du matin à 6 heures du soir, sur l'île de Koh Tang. L'Angkar m'a envoyé à Koh Tang immédiatement après l'incident. J'ai voyagé à bord du navire numéro 920 avec environ 400 soldats, partant du port de Nareay à 7 heures du matin et arrivant à Koh Tang à 15 heures en raison de la lenteur du navire.
Lorsque je suis arrivé à Koh Tang, sur la côte est, j'ai vu du sable blanc magnifique, de nombreux cocotiers et de grands arbres sur la montagne. Puis j'ai vu un hélicoptère qui s'était écrasé sur la côte est, près de la mer, et un autre sur la côte ouest, face à l'île de Koh Pring. J'ai vu des cadavres de soldats américains sur l'île et j'ai appris par des camarades que certains soldats américains avaient survécu après la fin de la guerre, mais je ne sais pas où l'Angkar les a emmenés. J'ai entendu des rumeurs selon lesquelles ils avaient été abattus à Koh Tang. À la fin de l'année 1975, j'ai quitté Koh Tang et suis retourné sur le continent, dans l'unité Smach Deng, pour me remettre de la malaria. En 1976, Angkar a autorisé ma femme et mon enfant à vivre avec moi dans l'unité militaire de Smach Deng, dans le district de Prey Nob. En 1978, certains soldats de l'unité 164 ont été redéployés sur le front oriental en raison de l'intensification de la guerre avec les forces vietnamiennes à la frontière, mais je n'ai pas été envoyé au combat.
En 1979, les forces du Front uni pour le salut national du Cambodge, en coopération avec les troupes volontaires vietnamiennes, ont libéré le Cambodge depuis l'est et ont progressivement secouru la population. Je me suis enfui, séparé de ma femme et de mon enfant, en passant par Sihanoukville via Stung Hav, puis dans la forêt jusqu'à Chi Phat, dans la province de Koh Kong. Là, j'ai retrouvé ma femme et mon enfant, et nous avons continué à fuir dans la forêt avec peu de nourriture, ne mangeant que des fruits et des racines sauvages, jusqu'à ce que nous atteignions la frontière thaïlandaise après plus d'un mois. Au début, nous sommes arrivés au camp de Khao I Dang, où il y avait suffisamment de nourriture. Plus tard, je suis retourné vivre sur le sol cambodgien avec les Khmers rouges près de Phnom Khlaang Baek Veatlean, où la nourriture était insuffisante. Je suis donc reparti en Thaïlande, dans le camp de Thai Rout, où j'ai continué à vivre dans le camp Site 8, puis à O Smach avec le groupe armé Parai, et ensuite avec le groupe de Ta In et Ta Tum.
En 1993, avec l'aide des Nations Unies, j'ai été rapatrié dans ma province natale de Takeo, où j'ai vécu pendant trois ans, mais je n'avais ni terre pour cultiver ni activité commerciale. En 1996, ma famille et moi avons déménagé à Smach Deng, me souvenant que cette région où j'avais vécu pendant l'ère des Khmers rouges disposait de terres abondantes propices à la culture de diverses plantes. En 2022, j'ai déménagé dans le village de Ta Las, commune de Nareay, district de Prey Nob, province de Preah Sihanouk, où je cultive la terre avec ma femme et mes enfants, mais je vis dans des conditions précaires car je vieillis.
Article de Sok Vannak - Centre de documentation du Cambodge - Traduit par Chey Chansineth