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Cambodge & Culture : Angkor Meanchey, chronique d’une disparition annoncée

La démolition du bâtiment Angkor Meanchey a été déclenchée après que le ministère de l’Aménagement urbain eut déclaré la structure instable, imposant aux derniers résidents un délai court pour évacuer. Malgré les compensations proposées par les autorités, certaines familles ont refusé de partir, estimant que l’indemnisation ne transmettait ni dignité ni reconnaissance à leur histoire commune avec le lieu. Le processus, entamé le 13 octobre 2025, durera 45 jours.​

Angkor Meanchey
Angkor Meanchey

Un ancien hôtel au cœur de la ville

Situé à l’angle de Monivong et Kampuchea Krom Boulevards, l’Angkor Meanchey était initialement conçu comme hôtel de standing. Depuis le colonialisme, il a abrité jusqu’à 65 familles et a constitué un trait d’union entre plusieurs générations.

L’architecture, typique de l’époque, combinait des influences françaises et des détails artistiques locaux, mélangeant art déco et motifs khmers. Mais, faute d’entretien et de protections juridiques efficaces, le bâtiment a connu une dégradation accélérée, relevant désormais de la sécurité publique plutôt que du patrimoine à préserver.​​

L’aspect social : mémoire et traumatisme collectif

Ce lieu fut bien plus qu’un simple abri : pour ses habitants, il incarnait le cœur du tissu social du quartier. Les anciennes familles y célébraient mariages, fêtes religieuses ou commémorations; les souvenirs proliféraient entre ses murs. L’évacuation forcée et la destruction de l’édifice mettent en lumière la précarité existentielle de ces habitants : perte de réseaux, rupture des solidarités locales et absence de consultation en matière d’urbanisme.

Plusieurs résidents ont exprimé leur détresse face à la dissolution brutale de leur univers quotidien, alors que la promesse de logements alternatifs n’a pas compensé la perte de repères géographiques, affectifs et culturels.​

Quelques réactions des habitants d'Angkor Meanchey ont été recueillies autour de la démolition du bâtiment, témoignant d'un profond sentiment de perte et d'injustice sociale. Un résident âgé de 68 ans qui a vécu de longues années dans l'immeuble, exprime une grande tristesse :

« Je ne ressens que de la douleur car cet endroit nous a offert un toit pendant tant d'années ». Il évoque avec émotion les souvenirs familiaux ancrés dans ces murs, notamment l'éducation de ses enfants et les grandes fêtes familiales.​

D'autres familles, contraintes d'évacuer, dénoncent le manque de compensation jugée insuffisante et la rapidité imposée pour quitter un lieu qui incarnait pour beaucoup un foyer irremplaçable. Quatre familles ont résisté jusqu'à la toute fin, refusant les offres de relogement, estimant que celles-ci ne respectaient pas la valeur symbolique et sociale du bâtiment. Le sentiment général est celui d'une rupture brutale des liens communautaires et d'une précarité nouvelle, avec des peuples souvent peu consultés sur leur avenir logement.​

Au-delà de la détresse individuelle, ces témoignages soulignent la vulnérabilité des populations face à des dynamiques urbaines accélérées, où croissance immobilière rime rarement avec préservation des patrimoines humains et culturels. Les habitants appellent à une meilleure politique d'accompagnement et à une prise en compte plus juste de leur histoire et de leur attachement au lieu.​

Enfin, des voix comme celle de So Phina, directrice d'une association culturelle locale, insistent sur la nécessité de repenser la préservation de ces bâtiments non seulement comme des objets patrimoniaux, mais comme des espaces vivants susceptibles d’être réinventés pour servir à la fois la mémoire collective et le développement économique par le tourisme culturel.​

Symbolique et enjeux patrimoniaux

Angkor Meanchey symbolise à la fois la modernité et la mémoire urbaine de Phnom Penh. Il témoigne des cycles historiques — colonisation, guerre, reconstruction — et de l’évolution sociale de la capitale cambodgienne.

Pour des acteurs associatifs et des urbanistes, ce bâtiment aurait pu devenir un espace communautaire, un laboratoire vivant de la mémoire et de l’innovation sociale, voire un modèle pour la préservation patrimoniale en Asie du Sud-Est. La disparition d’Angkor Meanchey consacre le triomphe de la spéculation immobilière sur la conservation, soulignant l’urgence de légiférer et d’investir dans les instruments de sauvegarde du patrimoine.​

Les photographes, journalistes et militants locaux, comme So Phina, se désolent du manque de reconnaissance pour des lieux chargés d’histoire. Ils proposent de réinventer ces espaces comme vitrines touristiques ou incubateurs d’initiatives citoyennes. Mais sans vision stratégique et partenariats public-privé efficaces, le Cambodge risque de se délester de son identité architecturale au profit d’une skyline déshumanisée. Les derniers gestes des habitants d’Angkor Meanchey, leurs adieux aux murs, s’apparentent à un deuil collectif, où chaque pierre démontée retire un fragment de leur histoire.​

Le drame qui se joue autour de la démolition de l’Angkor Meanchey ne se limite pas à la disparition physique d’une bâtisse. Il interroge la société sur la valeur à accorder à ses racines, à ses liens communautaires et à son rapport responsable au patrimoine. Là où devait naître un nouveau chapitre de Phnom Penh, c’est un livre entier de mémoires qui s’est refermé.

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