« Le peintre doit tendre à l’universalité », affirmait Léonard de Vinci. Avec ses techniques multidisciplinaires et son approche visionnaire, Em Riem tend vers ce principe. On ne le présente plus ; virtuose aux mille et une facettes dont l’incroyable talent n’égale que son humilité, il présente son dernier travail au Sofitel Phokeethra de Phnom Penh.
À propos
Em Riem a vécu dans la campagne cambodgienne jusqu’à l’age de quinze ans, travaillant dans les rizières et chassant les grenouilles durant la nuit. L'enfance de Riem a été très difficile. Il fut témoin de violence, de faim et de mort pendant la période khmère rouge, mais trouva quelque réconfort en peignant des personnages, des animaux, des arbres et tout ce qui permettait à son jeune esprit de se distraire. Jeune homme profondément marqué par la période khmère rouge avec sa famille, l’ancien petit homme des paddy devenu artiste renommé a choisi plus tard d’exprimer ses émotions, souvent très intenses, à travers l’art sous toutes ses formes, tissage, mode, peinture abstraite ou réaliste, traitant de sujets parfois hétéroclites, mais marqués par un souvenir profond et un attachement indéfectible à sa terre natale et à son histoire. Entretien :
CM : Vous présentez votre dernière exposition intitulée Kambuja Exhibition. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
J’ai commencé à travailler sur ces toiles en 2018. J’ai choisi comme matériel de base le sac de riz pour créer les supports ; on peut tout utiliser pour faire de l’art. Je souhaitais développer un style très minimaliste avec des personnages en deux dimensions, inspirés des peintures traditionnelles khmères qui ornent l’intérieur des pagodes et du palais royal. Le thème principal tourne autour de l’histoire de Bouddha. J’ai choisi de le représenter sur une période définie ; de sa naissance jusqu’à l’âge de quitter son environnement natal.
D’après les écrits et à l’origine, Bouddha vivait dans le palais royal. Il ne s’aventurait pas à l’extérieur. Lorsqu’il est sorti se promener pour la première fois, il a observé des maux auxquels il n’avait jamais été confronté. À ce moment-là, il ne voulait plus vivre derrière des murs, mais dans la jungle, à la recherche du meilleur pour lui comme pour les autres. Avant de s’élever et de devenir le saint connu de tous, Bouddha était simplement un homme.
La couronne représente le développement de l’être humain, plus elle est grande et ornée, plus le personnage est adulte, assagi. J’ai poursuivi la même démarche avec les portraits d’Apsara qui arborent une couronne tout aussi fournie. Les costumes et vêtements sont, quant à eux, inspirés par les bas-reliefs d'Angkor.
CM : Les animaux sont omniprésents dans vos œuvres, quelle en est la signification ?
Dans ce récit, on observe beaucoup de magie, ce que l’on peut interpréter comme de la mythologie : le chien devient le chat qui se transforme ensuite en dragon ; on parle alors de réincarnation. Je souhaitais représenter les habitants du palais avec des animaux, car ils ont une importance dans la religion bouddhiste. J’ai voulu peindre les oiseaux messagers qui transmettent les nouvelles à travers le royaume. Ici par exemple, cette dame vit un drame après avoir lu un message qui lui a été délivré. Je cherchais à exprimer la tragédie, le chagrin à travers un portrait simple.
J’ai aussi choisi le chat, car j’aime particulièrement leur iris. Il en émane une certaine complexité en termes d’alliage des couleurs. Étant dans le design, je suis particulièrement sensible à la manipulation de la gamme chromatique.
« De plus, avec cette série, nous regardons les toiles, mais celles-ci nous observent à travers leurs yeux, il y a une part de mystère »
Sur la grande toile à l’entrée du Sofitel on a le roi, père de Bouddha, en compagnie d’une tortue. Chez les bouddhistes, le chélonien correspond à l’un des nombreux avatars du dieu Vishnuu. Il apparaît sous cette forme lorsque le chaos menace le royaume, pour permettre aux guerriers de batailler sans la gêne occasionnée par les pluies diluviennes. Parmi les innombrables gravures murales présentes sur les fresques d’Angkor Wat, on retrouve l'aide apportée par ce dieu lors des différents conflits survenus dans le royaume à cette époque là.
« L’art est présent partout, dans la forêt, dans les maisons. Lorsque l’on est artiste, on le perçoit dans tous les domaines »
CM : Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Je m’inspire du style khmer, des photos coloniales, et aussi beaucoup de l’histoire du Cambodge, avec le génocide des Khmers rouges et les victimes qu’il a laissées derrière lui. Tout comme ceux qui en parlent beaucoup dans les livres, j’ai grandi à cette période. Au moyen de cet autre exutoire qu’est la peinture, je veux partager cette tragédie avec laquelle je vis, dors et pense. Tout ce qui est abstrait est finalement beaucoup inspiré du Cambodge.
CM : On ne compte plus vos expositions. En tant qu’artiste, comment travaillez-vous ?
J’ai exposé ici, mais aussi en France, en Italie, à Washington, à Singapour et sans oublier Hong Kong pour le « Asian art competition » qui sélectionne 15 artistes à exposer ; l’événement a lieu tous les 3 ans. Quand je crée, je ne pense pas au lieu où mes œuvres pourront être consultées, j’expose partout. Habituellement, beaucoup d’événements se passent dans ma galerie. Aujourd’hui, le Sofitel m’invite pour cette exposition ; une aubaine, car il y a de l’espace pour exposer de grandes toiles et contrairement à ma galerie, les visiteurs ont la possibilité de venir 24 h sur 24.
CM : Comment voyez-vous l’art contemporain au Cambodge ?
À Phnom Penh il n’y a pas ou très peu de collectionneurs. Pourtant, la qualité créatrice est en voie d’expansion et avec un collectif soudé et plus d’espaces d’expositions, il y aurait une possibilité d’attirer beaucoup plus de chasseurs d’art dans le royaume. Pour ma part, j’intègre différents styles dans chacun de mes travaux : le paysage, les Khmers rouges, l’abstrait, le figuratif, l’histoire…
« J’essaie de changer de style, car je refuse de rester sur mes acquis, je suis constamment en exploration d’autres sujets ou supports »
Je varie mes productions pour montrer l’évolution de l’art cambodgien. Il m’arrive de traiter des idées déjà évoquées, mais sous un angle différent.
CM : Un dernier mot ? Quels conseils donneriez-vous à un jeune artiste qui souhaite se lancer ?
Travailler beaucoup et faire des recherches. Les matériaux n’ont pas d’importance ; pas la peine d’avoir de grandes toiles pour commencer.
« Certaines personnes disent qu’ils n’ont pas d’argent pour acheter les matériaux, les toiles, alors qu’en fait, on peut tout créer par soi-même avec de la récupération »
Par exemple, pour 2000 riels on peut acheter des sacs de riz à l’usine de Battambang et faire ces toiles. Il faut investir beaucoup de son temps dans divers projets pour progresser, il n’y a pas de secret. Produire beaucoup et après réfléchir, tout explorer.
Propos recueillis par Michael Grao
L’exposition est visible jusqu’en février 2021
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