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Photo du rédacteurRémi Abad

Le Meilleur de 2022 & Angkor : les jardiniers de l’extrême

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Sous un milieu particulièrement propice à son épanouissement, une flore luxuriante se niche dans les moindres recoins des temples d’Angkor. Non sans danger pour ces fragiles édifices, qui requièrent une attention constante.

Veiller quotidiennement à ce que les 200 temples du parc archéologique ne soient submergés par la végétation : telle est la tâche qui incombe à Ngin Thy et sa brigade de jardiniers.
Veiller quotidiennement à ce que les 200 temples du parc archéologique ne soient submergés par la végétation : telle est la tâche qui incombe à Ngin Thy et sa brigade de jardiniers.

Veiller quotidiennement à ce que les 200 temples du parc archéologique ne soient submergés par la végétation : telle est la tâche qui incombe à Ngin Thy et sa brigade de jardiniers.

Perchés sur le mur de l’enceinte nord d’Angkor Vat, une dizaine d’ouvriers mène une guerre sans merci aux jeunes pousses, herbes folles et autres arbrisseaux qui trouvent inexorablement refuge entre les pierres ancestrales.

« Ce genre d’endroit où les visiteurs ne viennent quasiment jamais, précise leur responsable en désignant d’un geste la muraille qui se situe derrière lui, n’est entretenu que 2 fois par mois. Mais les parties les plus fréquentées du temple doivent faire l’objet d’interventions quotidiennes. »

En charge de l’équipe de débroussaillage, Ngin Thy supervise depuis 9 ans une brigade de 35 jardiniers pas tout à fait comme les autres.

Jardinage acrobatique

Un rapide coup d’œil permet de s’apercevoir qu’en l’espace de quelques minutes, l’équipe a progressé de plusieurs mètres dans sa tâche de nettoyage, et ce malgré un parcours jalonné de nids de guêpes. Devant eux, le sommet de la muraille est envahi par une végétation luxuriante, qui croît en toute quiétude sous le climat tropical.

« Et encore nous ne sommes qu’en saison sèche ! La pousse est accélérée en période de pluies et double notre charge de travail. »

Aujourd’hui n’est pourtant pas une journée particulièrement difficile, du moins en comparaison avec certaines interventions beaucoup plus impressionnantes. Les tours d’Angkor Vat, du Bayon ou de Pre Rup font régulièrement l’objet d’un débroussaillage pour le moins spectaculaire. Assujettis à une simple corde, montant sur une échelle ou, dans les cas extrêmes, se hissant sur la paroi à mains nues, ces ouvriers qui tiennent autant de l’acrobate que du jardinier veillent à la préservation des 200 temples qui font la fierté du Cambodge et de ses habitants.

Quatre décennies dans les temples

Ngin Thy est l’un des membres les plus anciens de cette troupe d’élite placée directement sous la responsabilité d’APSARA, l’autorité en charge de la gestion du parc archéologique. Il est fier de veiller sur une équipe sans laquelle les temples seraient vite recouverts par la végétation. Tels ces ficus géants dont les racines se jouent des blocs du grès le plus massif, comme l’on peut le voir encore dans le temple de Ta Prohm.

« J’ai débuté ma carrière en 1982, en travaillant pour la Conservation d’Angkor. L’année suivante, j’ai intégré la première équipe chargée du débroussaillage des temples, sous l’égide des Nations Unies. C’était pour moi une sorte de consécration : je rêvais de suivre les pas de mon père, qui travaillait à Angkor, dont il restaurait les sculptures sur pierre. Pourtant, lorsque j’ai commencé mon nouvel emploi, je ne connaissais que très peu les temples, qui baignaient encore dans une profonde insécurité. La guerre civile n’était pas terminée, et ce n’est que bien des années plus tard que le terrain a été totalement débarrassé des mines qui jonchaient le sol. Quant à la végétation qui recouvrait le site, je vous laisse imaginer l’ampleur de sa densité ! »


Une concentration de chaque instant

Désormais, Ngin Thy ne monte plus au sommet des murailles, et encore moins des tours du sanctuaire central d’Angkor Vat, qui culminent à 65 mètres de hauteur. Restant à terre ou se positionnant sur une tour voisine, ce vétéran fait part de son indispensable expérience aux ouvriers grimpeurs en les guidant dans leur ascension.

« C’est de cette manière que nous fonctionnons, par le partage de nos connaissances. Il y a toujours des jardiniers chevronnés qui encadrent les plus jeunes, en leur indiquant où trouver les prises pour s’agripper et les dangers propres à chaque endroit. Prenons l’exemple des tours d’Angkor Vat : sur l’équipe de 8 personnes nécessaires à leur entretien, 7 sont des grimpeurs expérimentés. Après plusieurs années de pratique, un bon ouvrier connaît par cœur le moindre recoin des temples, c’est une véritable cartographie qui s’établit dans son esprit. »

Pas question pour autant de profiter de la proximité des centaines de devatas qui ornent le temple : Ngin Thy confesse n’avoir jamais relâché un seul instant son attention. Même pour admirer la beauté de sculptures que bien peu d’autres personnes ont le privilège de contempler sous cet angle. « La moindre faute, le moindre mauvais geste, le plus petit manque de concentration peut coûter très cher. Il est donc exclu de penser à autre chose qu’à la tâche que l’on s’est assignée. »

Cooptation, collégialité et esprit d’équipe

Peu de candidats sont tentés d’exercer une profession si singulière, au point qu’il s’avère parfois délicat de trouver de nouvelles recrues. Un système de cooptation a cours, les nouveaux membres faisant souvent partie des connaissances ou même de la famille des ouvriers.

Après une brève période d’essai, l’équipe se réunit pour décider si la nouvelle recrue possède toutes les aptitudes nécessaires. « C’est l’esprit de corps qui prédomine au sein de cette équipe très soudée. Cela nous permet de tirer une certaine fierté de notre métier. »

De grès et de force

Immanquablement se pose la question de la sécurité et des risques encourus lors de certaines interventions. L’installation longue et fastidieuse d’un échafaudage, qui devrait être démonté après chaque intervention, ne se montre guère envisageable. Tout comme l’utilisation d’herbicides, que la superficie des lieux et les dommages potentiellement causés sur les pierres et la nature rendent impossible.

Dès lors, seuls l’intervention humaine et l’usage de simples outils de jardinage s’avèrent efficaces. « Lorsque les ouvriers sont au sommet des tours, nous pouvons voir l’inquiétude percer dans le regard des touristes. Il est vrai que le métier est dangereux. Grimper tout en haut d’un édifice de grès s’avère pourtant relativement simple en comparaison des temples de briques. Ces dernières risquent de se détacher, et sont extrêmement glissantes lorsqu’elles sont humides.

Les temples du Mebon Oriental et de Pre Rup font partie des plus délicats à entretenir. Mais le fonctionnement de notre équipe, les règles que nous avons mises en place et une attention constante nous ont permis d’éviter tout accident depuis la création de la brigade, en 1995. »

Canaliser la nature

Avant chaque intervention périlleuse, le groupe a coutume de se rassembler pour échanger quelques mots. L’un des membres de l’équipe qui, pour quelque raison que ce soit, ne se sentirait pas en forme sera alors immédiatement remplacé.

Cette intransigeance sur la sécurité constitue un point d’honneur pour Ngin Thy, qui, lorsqu’on lui demande quels sont les souvenirs marquants de sa longue carrière, répond sans hésiter : « Les plus beaux souvenirs sont constitués de tous les moments où le travail est terminé, les temples bien nettoyés et le personnel rentré chez lui sain et sauf. »

En quittant Angkor Vat et en traversant le parvis récemment aménagé, le visiteur peut apercevoir des dizaines d’arbrisseaux plantés lors du sommet Asie-Europe pour la jeunesse, qui s’est tenu en novembre 2021. Cette vision, après avoir assisté à une lutte sans relâche contre l’envahissement de la végétation, illustre tout le paradoxe d’une nature qui, pour ces édifices millénaires, s’avère tout autant salvatrice que destructrice selon qu’elle soit ou non canalisée. Le parc archéologique d’Angkor, avec ses 400 km², en est la plus probante des démonstrations.

Je tiens à adresser mes plus sincères remerciements à l’autorité APSARA, représentée par Phirun, pour avoir rendu possible cette rencontre avec Mr Ngin Thy et son équipe.



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