La ville de Siem Reap, destination phare du tourisme dans le royaume, a connu en 2019 une baisse sensible de sa fréquentation, après deux décennies de croissance quasi ininterrompue. Cette chute ne sera probablement pas sans conséquence pour l’industrie du tourisme, génératrice de nombreux emplois dans la cité des temples. Tandis que l’inquiétude gagne plusieurs professionnels du secteur, les raisons d’une telle baisse s'avèrent plutôt complexes.
2019, année difficile
2019 restera dans les mémoires comme une année particulièrement éprouvante pour le secteur touristique. Les propos recueillis auprès des hôteliers et des restaurateurs, ainsi que les statistiques publiées par le Ministère du Tourisme concordent : la ville de Siem Reap assiste à un reflux de ses visiteurs par rapport aux années précédentes. Si les derniers chiffres disponibles s’interrompent au mois d’octobre 2019, la fin de l’année semble malheureusement confirmer cette tendance à la baisse. Et, cette courbe risque de s’amplifier en raison de l’apparition récente du coronavirus 2019-nCoV.
La Chine, dont les citoyens constituent le premier bataillon de voyageurs se rendant à Siem Reap, accuse une baisse de 18,76 %
Quasiment indissociables d’un séjour à Siem Reap, les visites des temples d’Angkor constituent l’un des principaux baromètres pour établir les statistiques de fréquentation. Sur les 10 premiers mois de 2019, 2 090 023 entrées ont été enregistrées, soit une baisse de 13,69 % par rapport à 2018. Des trois pays qui se placent sur le podium en matière de fréquentation, seuls les États-Unis restent stables. La Chine, dont les citoyens constituent le premier bataillon de voyageurs se rendant à Siem Reap, accuse une baisse de 18,76 %, représentant ainsi près de 200 000 personnes en moins. Le nombre de visiteurs en provenance de Corée du Sud recule de près de 30 %.
Siem Reap en première ligne
La tendance se montre identique, à des degrés divers, en ce qui concerne les autres nationalités. Les ressortissants français n’échappant pas à cette décrue. 76 642 visiteurs hexagonaux ont visité les temples dans la période comprise entre janvier et octobre 2019, soit une baisse de 6,26 %.
Cette baisse de la fréquentation ne semble impacter que l’unique ville de Siem Reap. Dans son dernier rapport, le Ministère du Tourisme comptabilise le nombre d’entrées sur l’ensemble des points d’accès au royaume. Si les mouvements aux postes-frontière terrestres restent stables, les arrivées par voie aérienne enregistrent en revanche cette année une hausse concernant l’aéroport de Phnom Penh (+12,7 %) et, surtout, celui de Sihanoukville, dont la fréquentation témoigne d’un progrès spectaculaire de 308 %. Ce chiffre reste bien loin de celui enregistré par Siem Reap, qui chute de 14,6 % par rapport à l’année précédente.
Autre coup d’arrêt au nombre de visiteurs en provenance de Chine : l’interdiction faite au « tourisme zéro-dollar »
Interrogée sur le sujet, la section locale de la Chambre de Commerce et d’Industrie France Cambodge (CCIFC) confirme les chiffres fournis par l’aéroport de Siem Reap, tout en les modérant : « L’ouverture de nouvelles lignes telles que celles d’Emirates par exemple ont favorisé les arrivées au Cambodge via Phnom Penh au lieu de Siem Reap, avec un transfert ensuite vers Siem Reap soit par la route, soit par voie aérienne ».
Le tourisme chinois en question
Le Cambodge, et Siem Reap en particulier, a vu son image se ternir au cours des deux dernières années. Alors qu’il jouissait d’une opinion très positive à son encontre, le royaume a été l’objet de nombreux reportages prenant pour thème la dégradation de son environnement, une situation politique complexe, ainsi qu’un afflux non maîtrisé de touristes. Le cas de Sihanoukville est en cela révélateur. La presse internationale couvre régulièrement la transformation d’une petite cité balnéaire en un temple du jeu, uniquement destiné aux touristes chinois. Effondrements dramatiques d’immeubles, rues en perpétuels travaux dans lesquelles s’écoulent les eaux usées, population reléguée en périphérie…
Autant d’informations largement diffusées qui auront dissuadé de se rendre sur la côte, retirant ainsi au Cambodge l’un de ses attraits. La décision récente de fermer les casinos pratiquant le jeu en ligne a aussi conduit à un abandon pur et simple de certains projets immobiliers, et au rapatriement de nombreux ressortissants chinois, mettant, sinon un terme, du moins un coup de frein à un tourisme du jeu jusqu’alors en plein essor. Autre coup d’arrêt au nombre de visiteurs en provenance de Chine : l’interdiction faite au « tourisme zéro-dollar », ces packages tout-inclus durant lesquels les visiteurs, entièrement encadrés, ne dépensaient rien sur place.
Problèmes locaux et presse internationale inique
Un autre aspect propre à rebuter les visiteurs concerne la gestion des déchets. Trop souvent jonchée de détritus, la rivière qui traverse Siem Reap est par endroits entièrement recouverte de bouteilles en plastique, de sachets et d’emballages en polystyrène. De nombreuses familles continuent de brûler leurs ordures en pleine rue, dégageant une forte odeur de plastique non seulement désagréable, mais aussi néfaste pour la santé. Les commentaires sur Trip Advisor ainsi que sur les réseaux sociaux mentionnent fréquemment cet aspect négatif qui pèse lourd sur l’image de la ville.
Une surfréquentation des temples a aussi terni le plaisir d’une visite dans un lieu classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO. S’en tenant souvent à un circuit d’une journée, la plupart des touristes admirent les mêmes monuments, provoquant une cohue souvent peu compatible avec la sérénité des temples millénaires. Un site tel que Traveller.com, très consulté en Australie, est allé jusqu’à conseiller d’éviter soigneusement la visite du temple principal d’Angkor Wat.
La situation politique du royaume a aussi fait l’objet d’une très large couverture médiatique, tant auprès de la presse écrite que des chaines TV de grande écoute. « Il y a dans certains cas une exagération manifeste de la réalité que nous vivons », commentent les membres de la CCIFC Siem Reap à propos de l’image donnée du royaume. Pour eux, « Le Cambodge n’est pas une exception à ce type de campagne, la fermeture de plages aux Philippines ou en Thaïlande a eu un écho tout aussi planétaire, mais à la différence d’autres pays, les autorités du Cambodge ne répondent pas par des communications officielles positives ou par un marketing actif de la destination. L’effondrement d’un immeuble à Sihanoukville l’été dernier est à ce titre symptomatique (celui de Kep également) : il a bénéficié d’une large couverture médiatique, mais nous n’avons rien vu dans la presse internationale sur les mesures prises par le gouvernement pour éviter ce type d’accident. »
Contexte international défavorable
D’autres facteurs, internationaux cette fois, rentrent aussi en jeu. Marqués par le Brexit, le mouvement des Gilets jaunes ou encore la guerre économique entre les États-Unis et la Chine, l’actualité et le contexte de 2019 n’auront certes pas incité à une expansion du tourisme mondial. Le Cambodge n’est pas le seul pays asiatique touché par ce reflux. Son voisin thaïlandais traverse actuellement les mêmes difficultés, les taux d’occupation des hôtels s’avérant nettement plus bas que d’habitude. Or, le Cambodge reste encore trop souvent une « destination bonus » qui vient agrémenter un séjour plus long au Vietnam ou en Thaïlande.
« Siem Reap, c’est évidemment les Temples d’Angkor, mais c’est aussi des dizaines d’activités autour...»
Enfin, dans un contexte économique difficile, le prix des visas ainsi que les sommes requises pour accéder aux temples peuvent constituer une barrière dissuasive. Des pays tournés vers le tourisme tels que la Thaïlande ou le Vietnam ont quant à eux misé sur la gratuité des visas.
Des conséquences encore incertaines
Avec ses 60 hôtels, ses innombrables chambres d’hôtes, ses restaurants et ses agences de voyages, Siem Reap est une ville résolument tournée vers le tourisme. L’augmentation jusqu’alors constante des visiteurs et les prévisions basées sur cette croissance ont entraîné un développement pas toujours maîtrisé d’un parc hôtelier qui se révélait en surnombre bien avant la crise. Toujours selon la CCIFC, « La majeure partie de l’activité économique de Siem Reap dépend directement ou indirectement du tourisme, et se trouve donc impactée par cette baisse de la fréquentation. De nombreux commerces, restaurant ou hôtels sont à vendre, et certains ont déjà fermé, y compris des gros établissements. D’autres ont dû baisser leurs prix pour préserver leurs taux d’occupation ». Les métiers liés au secteur, tel que les guides ou encore les vendeurs de souvenirs, en situation déjà précaire, se trouvent de plus en plus menacés.
Lutter pour inverser la tendance
Face à ce constat, secteur privé et gouvernement tentent d’inverser la tendance. Le porte-parole du Ministère du Tourisme a récemment déclaré que plusieurs plans en vue de contrer la baisse de visiteurs avaient été élaborés, et seront bientôt mis en œuvre . « Notre produit touristique est encore limité et, en établissant de nouvelles offres telles que le tourisme communautaire et l’agrotourisme, les vacanciers prolongeront leur séjour », estime M. Sopheak.
Un meilleur aménagement des infrastructures est aussi prévu, de même que l’ouverture de nouvelles lignes aériennes, comme l’atteste le prochain vol direct de la compagnie Qatar Airways reliant Siem Reap et Doha. « Cette nouvelle ligne va renforcer l’attractivité de la destination. Siem Reap, c’est évidemment les Temples d’Angkor, mais c’est aussi des dizaines d’activités autour. Ce que nous souhaitons dans les prochaines semaines c’est de rappeler que les savoir-faire locaux, la culture, mais aussi le tourisme vert, sont autant de raisons de voyager à Siem Reap », rappelle la CCIFC, qui s’est réunie le 17 janvier dernier pour un débat de trois heures consacré à la crise.
De son côté, le secteur privé ne reste pas inactif : communication et promotion de la destination, réductions tarifaires, développement de nouvelles activités, ou campagnes de nettoyage des déchets sont autant de contributions visant à redorer le blason de la ville. Incertitude liée au coronavirus. A ces difficultés s’est ajoutée récemment la menace du virus 2019-nCoV apparu dans la province chinoise du Hubei. S’il est encore trop tôt pour prédire à quel point l’émergence de ce virus pourra influer sur les chiffres du tourisme, il est clair que la nouvelle épidémie touchant le pays fournissant au Cambodge son plus grand nombre de visiteurs aura un impact. Le gouvernement de Pékin a d’ores et déjà suspendu les voyages organisés, tant en Chine qu’à destination d’autres pays. La barre des trois millions de visiteurs chinois envisagée cette année par le Ministère du tourisme semble désormais difficile à atteindre dans ces circonstances. En plein cœur de la haute saison, l’inquiétude gagne aussi les touristes occidentaux. L'une après l'autre, les compagnies aériennes suspendent leurs lignes vers la Chine, qui constitue l'une des principales escales pour les voyageurs européens se rendant au Cambodge. En 2003, le SRAS, également apparu en Chine, avait durement affecté le tourisme asiatique, entraînant une perte de 0,6 % de son taux de croissance dans la région.
Rémi Abad
Kommentare