En 1997, Borin Kor intégrait l’Institut Français du Cambodge pour une mission ponctuelle d’attaché de presse. Vingt-deux ans plus tard, il est toujours là. Responsable du service culturel, ce passionné d’art et de culture, amoureux de la France et de sa langue, est l’un des artisans du rayonnement de l’Institut sur la scène culturelle de Phnom Penh et du Cambodge.
CM : Cela fait 22 ans que vous travaillez pour l’Institut Français du Cambodge, comment s’est opérée la rencontre ?
Un peu par hasard. À cette époque je travaillais comme journaliste et traducteur tout en poursuivant des études en journalisme et en professorat. Je préparais deux licences en même temps. Et j’ai découvert que l’Institut cherchait un attaché de presse capable de parler français et khmer, dans le cadre d’un évènement. J’ai postulé et j’ai été pris. Et à l’issue de la mission, on m’a proposé de revenir, mes diplômes en poche. Je suis revenue. Et je suis toujours là (rires).
CM : Où avez-vous appris le français et pourquoi ?
J’y étais un peu contraint au départ, car avant de faire du journalisme, j’ai poursuivi des études de médecine, que j’ai abandonnées en cours de route, car je peinais à les financer. Et ces études se font en français. Je n’avais donc pas le choix. Il faut dire aussi que cela faisait très plaisir à ma mère. Elle ne m’a rien imposé, mais m’a juste dit qu’elle aimait beaucoup quand mon père parlait cette langue. Si je pouvais, de plus, faire plaisir à maman… Alors que je travaillais déjà à l’Institut, j’ai également eu l’opportunité de passer un an à Avignon pour y décrocher mon Master en Management Culturel.
CM : Vous êtes le responsable du service culturel de l’Institut, en quoi consistent vos missions ?
Avec toute une équipe et en collaboration étroite avec Bernard Millet, l’attaché culturel de l’Institut, nous prenons en charge la planification et l’organisation de l’ensemble des évènements culturels : expositions, festivals, concerts…. Et cela avec une double ambition : favoriser la diffusion de la culture française au Cambodge tout en multipliant, également, les coopérations avec les artistes cambodgiens afin de les faire connaitre. Nous organisons une cinquantaine de grands évènements par an — théâtre, musique, danse, arts plastiques… —, en composant avec un budget qui a tendance à se réduire. Nous aussi, nous devons nous montrer « créatifs ».
CM : Qu’est-ce qui vous passionne dans votre métier ?
Le fait de pouvoir multiplier les rencontres avec des stars françaises comme Zazie, par exemple, qui était assurément enchantée d’être parmi nous lors de sa venue, mais également avec des artistes en devenir, en qui nous croyons. Nous tenons vraiment à faire découvrir des artistes cambodgiens que personne ne connait encore. Et pour une raison simple, certains ne se sont jamais produits en dehors de leur village. L’Institut est un tremplin qui leur permet de gagner en visibilité, voire de lancer leur carrière. Je pense, par exemple, à Sopheap Pich qui est aujourd’hui très connu, y compris à l’international, dans le domaine des arts plastiques. Plus globalement, c’est vraiment un métier où l’on ne s’ennuie pas. Il n’y a pas de routine, tous les jours sont différents et enrichissants. C’est passionnant, tout simplement.
CM : Quel regard posez-vous sur la scène culturelle et artistique de Phnom Penh ?
Il y a eu une belle embellie il y a cinq ans. Les structures dédiées à la danse, au théâtre ou à la musique se multipliaient. Tous les soirs, il y avait un bel évènement à découvrir. Entre parenthèses, cela nous profitait d’ailleurs beaucoup, car on recevait de nombreux appels de personnes intéressées, car elles pensaient que l’Institut Français en était l’organisateur. Une belle reconnaissance même si nous nous empressions de préciser les choses. J’ai le sentiment, aujourd’hui, que la scène culturelle et artistique de la capitale tourne davantage au ralenti. J’imagine que c’était notamment lié à des difficultés de financement tant auprès des acteurs privés que publics. J’espère que c’est le creux de la vague et que, comme dans un cycle, cela va repartir.
CM : Après 25 ans, la passion et l’envie sont donc toujours intactes ?
Toujours. Je me sens bien ici, je me sens chez moi. Cela tient à mon métier, mais également à une ambiance et à toute une équipe. Lorsque nous organisons un évènement, tout le monde s’implique, c’est très motivant et excitant.
CM : Vous avez obtenu la nationalité française il y a quelques années. Comment et pourquoi avoir fait ce choix ?
Cela fait 6 ou 7 ans maintenant. En fait, je l’ai obtenue dans le cadre d’un décret qui imposait de respecter trois critères : travailler depuis plus de 10 ans, pour la France, dans les domaines de l’économie ou de la culture, être diplômé de l’enseignement supérieur, en France, enfin assumer un poste de direction. Je répondais à ces trois critères. Donc j’ai fait une demande de nationalité et je l’ai eue. Mes motivations étaient à la fois personnelles et professionnelles. Sur le plan professionnel, cela me facilite notamment la vie quand je voyage ou accompagne des artistes en France ou en Europe.
CM : Et sur le plan personnel ?
Il faut savoir que quand j’étais petit, ma peau était plus claire que celle du reste de la famille. Ma famille et mes amis me surnommaient le « Barang ». Devenir Français est donc un clin d’œil sympa. J’ai également évoqué ma maman précédemment. Aînée de la famille, elle n’a pas pu étudier, mais elle a travaillé pour que son frère et sa sœur puissent le faire, notamment en France. Ils sont décédés durant la guerre. Ma mère est très fière de moi, car, pour elle, je suis le dépositaire d’un « héritage ». Lorsque j’étudiais en France, nous nous sommes cotisés pour qu’elle puisse me rejoindre, pour qu’elle puisse voir, de ses yeux, ce que son frère et sa sœur ont pu découvrir, grâce à elle. Au registre des fiertés, j’ai également eu l’honneur d’être fait Chevalier des Arts et des Lettres, il y a deux ans. Quand je mets le pied en France, j’ai vraiment le sentiment d’être chez moi. C’est un sentiment très fort.
Propos recueillis par Fabrice Barbian
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