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Archive & Magazine : Awen Delaval et Samatoa, la fibre solidaire

C’est dans une vaste maison, qui sert tout à la fois de boutique, d’atelier et de salon de thé, qu’Awen Delaval nous reçoit. À quelques kilomètres au sud de Siem Reap, la vue depuis la terrasse est à couper le souffle : imposante, la masse du Phnom Krom le dispute à la délicatesse des plants de lotus qui s’étalent en contrebas.

Awen Delaval
Awen Delaval

« C’est le Cambodge qu’on aime », déclare avec un grand sourire le fondateur de Samatoa, dont la parole est entrecoupée par le chant des coqs et la stridulation des grillons. Juste en face, de l’autre cote de la route, émergent les toits de chaume des bungalows de la « Lotus Farm », endroit idéal pour se détendre tout en se familiarisant avec cette plante sacrée qui n’a pas fini de livrer tous ses secrets.

« C’est cette campagne cambodgienne qui m’a immédiatement séduit dès que j’ai découvert le pays. Pas seulement ça, bien sûr, mais aussi le dynamisme dont le pays faisait preuve au sortir de près de 30 années de guerre, alors que tout était à reconstruire »

Toujours aller de l’avant

Aujourd’hui, les secousses provoquées par la crise sanitaire mondiale obligeront, d’une autre manière, à reconstruire des pans entiers de l’économie cambodgienne. Samatoa, dont la Lotus Farm et sa boutique attenante accueillaient autrefois plusieurs dizaines de visiteurs par jour, doit elle aussi faire face à la situation. Mais il en faudrait plus pour déstabiliser Awen, qui fait preuve d’un bel optimisme pour l’avenir. « Nous en profitons pour réfléchir à de nouveaux concepts, ou en perfectionner d’autres. Et puis, nous avons découvert de nouvelles propriétés liées à la fibre de lotus, des propriétés vraiment étonnantes qui devraient multiplier les usages de cette incroyable plante ».

S’il est aujourd’hui l’incontestable pionnier du textile en fibre de lotus, rien ne prédestinait cet ancien ingénieur télécoms à s’illustrer dans le domaine. Pourtant, après quelques années passées dans des entreprises telles que 9 Télécoms et Ericsson, le besoin s’est vite fait ressentir de se focaliser sur des valeurs qui lui ont toujours été chères. « Je suis né dans une communauté hippie, d’un père ingénieur et d’une mère médecin, spécialisée dans le social. Très tôt, on m’a appris ce que signifiaient les concepts de solidarité, d’éthique, de commerce équitable, toutes ces valeurs que j’ai essayé de ne jamais perdre de vue ».

Un festival et des ventes record

C’est en 2004 qu’Awen s’est installé dans le royaume, non sans y avoir au préalable effectué plusieurs séjours. C’est en effet deux ans plus tôt qu’il découvre le pays en participant à la mission d’une ONG. Il y revient quelques mois plus tard, et en profite pour ramener en France tout un panel représentatif de l’artisanat khmer.

« Non pas pour faire du business, mais plutôt pour tester le marché français. Est-ce que ce genre de marchandises pourrait plaire ? »

De retour dans sa Bretagne natale, il profite du célèbre Festival Interceltique de Lorient pour y tenir un stand. L’ingénieur télécoms se mue en VRP de l’artisanat cambodgien, avec succès : « Alors que le festival s’étalait sur 10 jours, l’intégralité du stock s’est vendue en à peine 3 jours ! Foulards en soie, marionnettes en cuir, kramas, bijoux… Ce festival a constitué une étude de marché inespérée, et m’a encouragé à retourner au Cambodge. Pas pour y faire de l’import-export, mais pour y mettre en place un atelier de couture. C’est comme ça que Samatoa est né ».

De paille, de bois et de briques

Pour Awen Delaval, l’ascension de la marque s’apparente à l’histoire des Trois petits cochons : « Nous avons commencé dans une cahute en paille, pour finir dans une boutique de briques et de béton, en passant par la maison en bois. Nous avons ouvert en 2004, sur Taphul Street, après avoir prospecté dans la campagne alentour afin de trouver les indispensables métiers à tisser.

« Dès le début, nous avons mis en pratique les fondamentaux d’une entreprise éthique et équitable. Avec une équipe de 5 couturières, nous avons lancé la production de kramas, de tuniques et de pantalons »

Dès le début, je savais qu’il fallait, pour perdurer, innover sans cesse et trouver de nouveaux concepts. C’est toujours ce qui fait notre force, 16 ans plus tard ». La première innovation fut la mise au point d’un pantalon en soie, qui ne demande alors pas de moins de 6 mois d’expérimentations à la petite équipe. Les commandes s’enchaînent, un nouveau local est acquis et la collection s’agrandit. « Nous nous développions à l’export, tandis que de son côté, la communauté internationale nous soutenait sur place en achetant nos produits ou en nous commandant des vêtements sur-mesure. Tout est allé en fait assez vite. En 2006, un agent du Guide du Routard a consacré une page à notre société, en insistant sur la qualité des produits réalisés. Cela nous a tiré vers le haut, en attirant une clientèle exigeante qui nous a définitivement orientés vers le marché du luxe ».

Une grande première au Cambodge

2013 marque un tournant pour la marque, qui expérimente alors le tissage de plusieurs fibres. « Nous avons essayé d’employer des fibres d’ananas, de noix de coco, de bananier, de joncs… et de lotus ». C’est alors que se produit le miracle de la plante sacrée, omniprésente dans les cultures asiatiques. « Rien n’est plus doux au toucher, et un lotus d’une incroyable qualité pousse naturellement un peu partout au Cambodge. Nous avons ouvert un grand atelier sur le lac de Kamping Puoy, non loin de Battambang, et je peux vous assurer que c’est là-bas que poussent les plus beaux lotus du monde. C’est aussi un endroit particulièrement touché par la pauvreté, où l’extrême misère côtoie ces pépites d’or que sont les lotus ».

Défi

L’installation de cet atelier, ainsi que l’élaboration des premiers tissus constituent un immense défi à relever : si le tissage de qualité fait partie des traditions séculaires de l’artisanat khmer, manipuler la fibre de lotus est une pratique inédite dans le royaume. « Seule la Birmanie s’y était déjà employée, mais nous sentions qu’il était possible de faire encore mieux. Hormis l’aspect purement technique du tissage, il a d’abord fallu convaincre les tisserandes de travailler sur ce matériau inédit. Et vaincre les réticences n’a pas toujours été facile ! » Mais le résultat en valait assurément la peine : avec ses qualités absorbantes et son infroissabilité, le lotus se prête particulièrement bien à la confection.

Reprendre possession de son bien

Le projet, unique en son genre, commence à intéresser journalistes et designers du monde entier, d’abord curieux, puis séduits tant par la qualité des produits que par les procédés sociaux et environnementaux mis en œuvre. L’initiative a d’ailleurs été saluée non seulement par les plus hautes instances cambodgiennes, mais aussi par l’UNESCO et les autorités françaises. Une photo d’Awen Delaval, debout aux côtés du président François Hollande portant une écharpe Samatoa, trône en bonne place dans la boutique. Cet afflux de notoriété a pourtant bien failli être fatal à la marque, dans un effet pervers qu’Awen n’aurait pu imaginer.

« Nous avons eu la chance, en 2014, de recevoir une délégation de grands entrepreneurs qui, durant une semaine entière, a examiné notre business-model et nous a prodigué toutes sortes de conseils. Des conseils qui ont certes été très précieux et que nous avons mis en pratique, mais qui, avec le recul, se sont avérés trop éloignés de la philosophie qui nous tenait à cœur »

« Notre budget a explosé, nous avons mené plusieurs campagnes de promotion et avons cessé la vente au détail pour nous focaliser sur le “Business to business”, c’est-à-dire la vente directe aux entreprises ».

Awen Delaval
Awen Delaval

En acceptant ces changements, Awen avoue s’être senti dépossédé du projet qu’il avait fondé une décennie plus tôt, et ne reconnaît plus les valeurs qui étaient siennes. En 2019, l’entrepreneur décide de revenir à des bases plus saines, en ouvrant sa Lotus Farm et en ravivant le contact avec les particuliers.

« Une boutique de détail, des ateliers pratiques pour toute la famille, les bungalows et le salon de thé, ont été autant de manières d’évoluer vers des perspectives plus sereines et moins élitistes. Mais tout cela ne nous a pas fait oublier la recherche et l’innovation, bien au contraire ! »

Haute technologie naturelle

Alors que la Ferme aux lotus attire de plus en plus de monde, la crise sanitaire mondiale et les restrictions aux frontières entraînent la fermeture provisoire de l’établissement. Pourtant, les ateliers, eux, restent bel et bien en activité, et pour cause :

« Dès le début de la crise, nous avons orienté la majeure partie de notre production vers la confection de masques en tissu. Lavables et réutilisables plus de cent fois, ces masques, qui contiennent chacun plus de 200 000 microfibres, sont réalisés comme l’ensemble des autres produits Samatoa, c’est-à-dire d’une manière 100 % naturelle »

« Lors de leur mise au point, nous avons eu une incroyable surprise : nous savions déjà que la fibre de lotus, de par ses propriétés, ferait un excellent filtre, mais nous avons appris depuis, grâce aux tests d’un laboratoire sud-coréen, que cette matière contenait aussi d’importantes propriétés antiseptiques. Quand je vous disais que cette plante n’avait pas fini de nous surprendre ! » Avec de telles capacités, le masque de Samatoa offre une barrière naturelle aux virus, y compris le tant redouté Covid-19. Mieux : la révélation de cette propriété antibactérienne permet de sauvegarder l’emploi des 150 salariés de la marque, qui se sont depuis attelés à la réalisation d’une gamme de vêtements sur le point d’être mise en vente. « En rajoutant le principe antimicrobien aux propriétés respirantes et absorbantes (donc anti transpirantes) de la fibre de lotus ainsi que sa résistance au froissement, tout un panel de nouveaux produits a pu être imaginé : des serviettes et des sacs de sport, des taies d’oreiller, des sous-vêtements, des accessoires pour bébés… Nous sommes tous très fiers de ces créations ! »

Laboratoire d’alchimie

Les masques, ainsi que la nouvelle gamme de vêtements et d’accessoires, ne sont pas les seules innovations de la marque, qui finalise la mise au point d’un cuir végétal conçu à partir des déchets de tiges.

« Tout, vraiment tout, sert dans cette plante, fleurs, feuilles, graines, tiges, et même ce que nous utilisons peut être travaillé une seconde fois. Cela fait maintenant 2 ans que nous expérimentons sur ce cuir végétal, et les premiers échantillons probants ont été obtenus le mois dernier »

« Différentes versions ont été envoyées aux grands couturiers, et les premiers avis sont extrêmement favorables. Avec cette matière, nous allons pouvoir fabriquer des sacs à main, des chaussures, des semelles… Car le lotus a aussi des propriétés anti-odeurs ! ». Intarissable sur une matière qu’il apprivoise depuis tant d’années, Awen Delaval est tout aussi passionné par son activité qu’il ne l’était à ses débuts, en 2004. La fibre de lotus, seule microfibre naturelle au monde, sera-t-elle la matière du futur ?

« Nous sommes loin de tout connaître à son sujet, comme le prouvent les dernières analyses. Et puis, peu à peu, les mentalités évoluent : les consommateurs se montrent de plus en plus sensibles à l’aspect environnemental, ainsi qu’à l’impact des produits qu’ils achètent. Cet impact peut basiquement se traduire de deux manières différentes, positive ou négative. La question ne se pose pas pour ce qui est du lotus : son impact est totalement positif ». Nul doute que cette plante sacrée, qui ne manque décidément pas d’atouts, n’en a pas fini de faire parler d’elle.

Texte et photographies par Rémi Abad

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