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Les Voix Oubliées du Cambodge : Mémoire autochtone, survie et quête d’unité nationale

Au Cambodge, le mot « mémoire » n’appartient pas qu’aux livres d’histoire ou aux archives de Phnom Penh. Il se loge aussi dans la forêt dense, au cœur des montagnes et dans le murmure des langues que l’on n’entend plus guère dans les villes.

« Bien que les tribus montagnardes aient une culture distincte, elles partagent le destin du pays en tant que citoyens cambodgiens. Le conflit frontalier renforce l'importance de la solidarité : s'unir malgré les différences, protéger la souveraineté et garantir la paix afin que les communautés isolées comme Andaung Kraloeng puissent continuer à vivre, cultiver et préserver leurs traditions sans craindre d'être déplacées ou de tout perdre », a déclaré le chef du village d'Andoung Kraloeng.
« Bien que les tribus montagnardes aient une culture distincte, elles partagent le destin du pays en tant que citoyens cambodgiens. Le conflit frontalier renforce l'importance de la solidarité : s'unir malgré les différences, protéger la souveraineté et garantir la paix afin que les communautés isolées comme Andaung Kraloeng puissent continuer à vivre, cultiver et préserver leurs traditions sans craindre d'être déplacées ou de tout perdre », a déclaré le chef du village d'Andoung Kraloeng.

Les peuples autochtones – Bunong, Kuy, Jarai, Tampuan et bien d’autres – portent en eux une vérité fondamentale : celle d’avoir survécu aux ruptures de l’histoire, aux violences politiques et aux injonctions modernes qui menacent, jour après jour, de diluer leurs cultures dans le flot national.

C’est ce fragile équilibre que le Centre de Documentation du Cambodge (DC-Cam) a choisi d’explorer dans un projet consacré aux voix autochtones. Héritier d’un travail d’archives colossal sur le régime khmer rouge, DC-Cam a élargi son champ pour redonner place à ceux que l’on entend rarement : les communautés forestières et montagnardes, longtemps marginalisées dans l’édifice national. Leur parole n’est pas seulement un témoignage de souffrance, mais un appel à l’unité, à la reconnaissance et au respect d’identités plurielles au sein d’une nation trop souvent racontée de manière uniforme.

La survie comme fil conducteur

Dans les témoignages recueillis, une expression revient sans cesse : « survivre ». La mémoire autochtone est avant tout celle de la survie – aux guerres, aux déplacements forcés, aux persécutions et au mépris. Sous les Khmers rouges, plusieurs villages ont été dispersés, leurs rites interdits, leurs forêts confisquées. Les savoirs transmis par les aînés – chants, médecines, cosmogonies – se sont amoindris dans le silence ou dans la peur.

Mais la survie ne relève pas uniquement du passé. Aujourd’hui, elle s’exprime dans la lutte pour la terre, la dignité et la reconnaissance culturelle. Les projets d’exploitation forestière, minières ou agricoles redessinent la carte du pays, menaçant la biodiversité mais aussi les fondements mêmes de ces communautés qui considèrent la forêt comme une entité vivante et sacrée.

Dans les témoignages recueillis, une expression revient sans cesse : « survivre ». La mémoire autochtone est avant tout celle de la survie – aux guerres, aux déplacements forcés, aux persécutions et au mépris
Dans les témoignages recueillis, une expression revient sans cesse : « survivre ». La mémoire autochtone est avant tout celle de la survie – aux guerres, aux déplacements forcés, aux persécutions et au mépris

Développement ou disparition ?

Le mot « développement », prononcé à Phnom Penh comme un horizon de prospérité, est perçu autrement à Mondolkiri ou Ratanakiri. Pour les peuples autochtones, il rime parfois avec expropriation, acculturation et perte d’autonomie. Là où des entreprises voient des hectares exploitables, les villageois voient la continuité des générations, les cimetières familiaux, l’esprit des ancêtres.

Cependant, réduire cette opposition à un simple conflit entre tradition et modernité serait une erreur. Nombreux sont les jeunes autochtones qui revendiquent une double appartenance : être pleinement citoyens khmers, tout en défendant avec fierté leur(s) identité(s) héritées. Internet, l’éducation et l’ouverture au monde leur offrent désormais de nouvelles armes pour préserver leurs cultures autrement que par la simple résistance silencieuse.

La mémoire comme ciment national

Le travail de DC-Cam pose une question cruciale : peut-on construire une unité nationale en laissant sur le côté ceux dont la voix a été oubliée ? L’histoire récente du Cambodge a montré combien l’exclusion peut nourrir la fracture et la violence. À l’inverse, la reconnaissance des mémoires plurielles peut devenir un ciment capable de renforcer l’unité.

Les récits des aînés bunong ou kuy ne sont pas seulement des anecdotes locales, ils ouvrent une fenêtre sur une conception élargie de l’identité cambodgienne. Une identité qui n’est pas monolithique, mais riche de ses diversités. Dans ce processus, donner la parole ne signifie pas figer ces cultures dans un passé folklorique, mais reconnaître qu’elles font partie du présent et du futur du pays.

Reconnaître les peuples autochtones, ce n’est pas opposer « eux » et « nous » ; c’est élargir la définition du « nous »
Reconnaître les peuples autochtones, ce n’est pas opposer « eux » et « nous » ; c’est élargir la définition du « nous »

Une leçon pour l’économie nationale

Ces voix résonnent aussi dans le champ économique. Le développement touristique, par exemple, ne saurait ignorer l’apport des communautés autochtones. Leurs savoirs écologiques, leurs récits mythologiques et leurs pratiques durables sont des atouts pour un Cambodge qui cherche à conjuguer croissance et préservation.

De même, dans l’agriculture ou l’artisanat, les communautés locales possèdent des modèles de production qui pourraient inspirer des alternatives à l’exploitation intensive.

Les marginaliser, c’est se priver de cette richesse. Les intégrer pleinement, c’est élargir la base économique du pays tout en valorisant un patrimoine immatériel unique en Asie du Sud-Est.

Vers une unité pluraliste

À travers ce projet, DC-Cam rappelle que la survie n’est pas seulement physique mais aussi culturelle. Elle exige une reconnaissance, une écoute et, surtout, une place dans le grand récit national. Reconnaître les peuples autochtones, ce n’est pas opposer « eux » et « nous » ; c’est élargir la définition du « nous ».

Le Cambodge du XXIᵉ siècle se trouve ainsi face à un choix : bâtir son unité sur l’oubli ou sur la pluralité. En laissant s’élever les voix des communautés autochtones, il n’invente pas un Cambodge nouveau ; il redécouvre ce qui a toujours existé, tapi dans l’ombre : une mosaïque culturelle dont la vitalité peut devenir la plus sûre garantie d’unité et de paix.

SO FARINA,

Directrice adjointe principale

Centre de documentation du Cambodge

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Henry Stickmin
27 août
Noté 5 étoiles sur 5.

henry stickmin is a stickman character renowned for his daring crimes and escapes, as well as his strange narratives that are always entertaining no matter what happens. Henry Stickmin is a collection of anarchic adventure games that have won the hearts of gamers all over the world.

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