top of page
Ancre 1
Photo du rédacteurRémi Abad

EFEO : Restitutions d’œuvres et expositions, le patrimoine cambodgien au cœur de l’actualité

Célébrant cette année les 30 ans de son retour à Siem Reap, l’EFEO bénéficie d’une riche actualité déjà abordée au cours d’un précédent article. Après avoir gravi les pentes du mont Kulen en compagnie de Chloé Chollet et être parti en quête d’anciennes mines de cuivre avec Brice Vincent, c’est au tour de Sophie Biard de nous livrer quelques réflexions. Nous abordons avec elle les restitutions d’œuvres, l’importance des archives et le rayonnement de l’art khmer à travers le monde.

Une indéfectible passion pour les arts asiatiques, des connaissances aiguisées et une curiosité à toute épreuve : tels sont quelques-uns des traits caractérisant Sophie Biard. Il suffit de suivre sa frêle silhouette déambulant dans les temples et d’échanger quelques paroles avec elle pour être instantanément saisi par l’enthousiasme qui l’anime. Depuis son adolescence et la découverte des collections du musée Guimet et du British Museum, Sophie demeure subjuguée par la richesse et la subtilité de l’iconographie des arts asiatiques. Travaillant en coopération avec l’EFEO pour ses recherches et autour de plusieurs projets, son expertise et sa position lui offrent un regard original sur cette institution, avec laquelle elle collabore depuis la rédaction de sa thèse consacrée à l’histoire des statues de la Conservation d’Angkor de 1908 à nos jours.

Cette expertise dans le domaine des collections statuaires, affûtée par une longue fréquentation du musée national de Phnom Penh ainsi que de la Conservation d’Angkor, fait de Sophie l’interlocutrice idéale pour aborder le thème délicat du pillage et des restitutions d’œuvres.

Quelques-unes des pièces récemment restituées aux autorités cambodgiennes
Quelques-unes des pièces récemment restituées aux autorités cambodgiennes

2021 et 2022, années fastes pour les restitutions d’œuvres

Les années 2021 et 2022 auront marqué une étape importante pour les arts anciens du Cambodge. Le 8 août dernier a été annoncée la restitution de 30 précieux artefacts, suivant de près l’arrivée au Cambodge de 35 autres pièces provenant elles aussi de collections détenues dans l'illégalité. Des dizaines de statues de dieux, dont le chef-d’œuvre représentant Shiva et Skanda, rejoignent ainsi leur contrée d'origine où elles pourront être exposées. Le processus de restitution s'est accéléré sensiblement suite à plusieurs événements : l’inculpation de la collectionneuse Nancy Wiener, la diffusion des Pandora Papers, l’inculpation puis le décès de Douglas Latchford, qui était à la tête d’un gigantesque réseau de vente d’œuvres khmères. La collaboration entre les États-Unis et le Cambodge, par le biais du travail mené par le ministère de la Culture du Cambodge, le bureau du procureur du district sud de New-York et plusieurs cabinets d’avocats permet enfin le retour d’objets qui avaient été arrachés au Royaume de manière brutale.

Des tonnes de vestiges dérobés

« Lorsqu’il est devenu évident que la guerre civile allait ravager le Royaume, des mesures de sauvegarde exceptionnelles ont été mises en place conformément à la Convention de La Haye, explique Sophie Biard. Dès la fin des années 1960 des rapports alertent sur le pillage d’œuvres constatés dans les sites archéologiques. Les sculptures restées dans les temples de la région d’Angkor sont rapatriées dans les dépôts de la Conservation. Le Comité national pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (COPROBIC) et la Conservation d’Angkor organisent des évacuations d’œuvres depuis Siem Reap et les musées de province vers le musée national de Phnom Penh, sous la supervision de l’UNESCO.

Les archives et la photothèque de l’EFEO sont alors dupliquées et mises en lieu sûr, rapatriées elles aussi à Phnom Penh. Cela n’a malheureusement pas suffi à empêcher les destructions et les pillages, mais c’est surtout après la guerre civile que ceux-ci ont pris toute leur ampleur.

Relativement tôt après la fin du régime des Khmer rouges, les principaux sites d’Angkor ont été sécurisés, raconte la chercheuse. Mais ce n’était absolument pas le cas dans les temples plus isolés qui ont, eux, été l’objet de pillages menés par des réseaux criminels très bien organisés. De gigantesques ensembles de statues, comme à Koh Ker, ont été dérobés, ou encore des pans entiers de bas-reliefs. On pense notamment aux 5 mètres du mur sud de Banteay Chhmar, un important temple érigé entre le XIIe et XIIIe siècle. D’une grande richesse artistique et situé non loin de la frontière thaïlandaise, cet édifice avait toutes les chances d’attirer l'attention des pilleurs. Des dizaines de tonnes d'œuvres ont franchi clandestinement la frontière, et seuls quelques chargements ont pu être interceptés, notamment le fabuleux bas-relief de Lokesvara de Banteay Chhmar. Ce fragment de mur historié a d’ailleurs été rendu à son emplacement originel à la fin du mois de juillet dernier. Mais le reste dort encore dans des collections privées ou dans des musées. »

Publication de 1993 recensant des objets pillés dans les temples
Publication de 1993 recensant des objets pillés dans les temples

Liste rouge et attaque de la Conservation

« Le mouvement des restitutions a été amorcé à la fin des années 1990. En 1997 le Metropolitan Museum of Arts rend, par exemple, la tête de Shiva provenant du Phnom Krom. À l’image d’autres pays victimes de pillages ou de spoliations, le Cambodge a initié de nombreuses procédures, souvent longues à aboutir. Les difficultés consistent à démanteler les réseaux de pillage et de recel et à prouver qu’un objet a été acquis illégalement. Ce travail est difficile lorsque les œuvres n’étaient pas auparavant connues, et donc pas référencées. Mais certains artefacts étaient heureusement déjà documentés et ont ainsi pu faire l’objet d’une demande de restitution, mais il faut procéder, pour qu’ils le soient, à une enquête minutieuse.

L’édition d’un livre, publié en 1993 par l’EFEO et l’ICOM et titré « Pillage à Angkor : cent objets disparus » a été d’une grande utilité pour signaler certains artefacts, apparus par la suite dans des musées ou sur le marché de l’art.

Ce travail est basé sur la reprise des inventaires de la Conservation d’Angkor, notamment le catalogue des œuvres établi dans les années 1960, constitué de 4990 fiches. Lors de la parution de ce livre, la région de Siem Reap n’était pas encore pacifiée : la Conservation, pourtant gardée, a elle aussi été l’objet d’attaques à main armée, dont une au lance-roquette avec prise d’otages et assassinat en 1993. Il n’est donc pas étonnant, après tout cela, que des objets khmers se retrouvent un peu partout aux quatre coins du monde. »

La Conservation d’Angkor, avec ces milliers d’objets et de statues, n’a pas échappé aux convoitises
La Conservation d’Angkor, avec ces milliers d’objets et de statues, n’a pas échappé aux convoitises

Guerre contre le trafic d’art : le rôle des archives

Des règles plus strictes, l’appareil légal mis en place par l’UNESCO et le gouvernement du Cambodge, une surveillance généralisée et globalisée, de meilleurs moyens de communication et un changement des mentalités ont permis de mettre un frein au trafic et de faciliter les restitutions.

À leur retour au Cambodge, les œuvres saisies dans les réseaux de trafic d’art font l’objet d’un examen attentif de la part des conservateurs du musée national et de son atelier de restauration pour leur identification.

Spécialisée, justement, dans l’histoire des collections, Sophie Biard étudie les archives de la Conservation d’Angkor et leur mise en valeur :

« Récemment, quatre ateliers spécialement consacrés au travail sur les archives ont été organisés par l’EFEO. Ces ateliers avaient principalement pour but le partage des connaissances et l’utilisation des archives entre spécialistes du patrimoine, permettant ainsi une meilleure connaissance et une plus grande maîtrise de ces précieuses sources. »

Précisons qu’une grande partie des archives de l’EFEO relatives à la Conservation d’Angkor sont consultables en accès libre sur le site banyan.efeo.fr .

Concernant le référencement des collections provinciales, le département des musées du ministère de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge effectue en ce moment un grand travail de mise en ligne, subventionné par l’ambassade des États-Unis, qui constituera un outil de recherche précieux. » Sophie a par ailleurs participé cette année à la mise en place d’une grande exposition consacrée à l’art angkorien, organisée par MuseumsPartner et le California Science Center de Los Angeles.

Les expositions d’art khmer

Il y a deux ans de cela, Sophie Biard s’est jointe à Damian Evans, responsable du projet

ERC —EFEO Archaeoscape, afin de sélectionner un ensemble de 120 objets représentatifs de l’art khmer. Ce florilège a ensuite rejoint la Californie pour l’exposition intitulée « Angkor : the Lost Empire of Cambodia “, inaugurée en février 2022. ‘Le choix des œuvres, issues des collections du musée national et de la Conservation d’Angkor, a été effectué afin d’être le plus représentatif de la diversité des sculptures et des dépôts de fouilles trouvés dans les temples d’Angkor et de sa région.

Des œuvres contemporaines, dont des costumes de danse, ont aussi été prêtées par le Prince Tesso Sisowath. Organisée en six sections thématiques, l’exposition présente au visiteur les différentes spécialités de la recherche et les technologies appliquées à la compréhension du site d’Angkor et de la culture angkorienne, de l’épigraphie au Lidar.

L’organisation d’un tel projet en période de Covid a été un défi dont la réussite tient autant à l’implication de ses organisateurs et collaborateurs qu’au soutien du ministère de la Culture du Cambodge.

L’exposition se rendra prochainement à sa seconde destination, le musée d’histoire naturelle de l’Utah à Salt Lake City.

L’exposition de Los Angeles présente un florilège de 120 objets, dont une partie a été sélectionnée par Sophie Biard. Crédit photo Jamie Pham
L’exposition de Los Angeles présente un florilège de 120 objets, dont une partie a été sélectionnée par Sophie Biard. Crédit photo Jamie Pham

Rayonnement du patrimoine cambodgien à travers le monde

De novembre 2021 à janvier 2022 a également eu lieu aux États-Unis l’exposition ‘Revealing Krishna: Journey to Cambodia’s Sacred Moutain’ au Cleveland Museum of Arts.

‘Il s’agit de la première exposition monographique dévolue au site du Phnom Da, qui a livré parmi les plus splendides chefs-d’œuvre des collections du musée national du Cambodge, du Cleveland Museum of Arts et du musée Guimet, proposant au public américain de visualiser le site grâce aux nouvelles technologies. L’histoire des expositions internationales fait aussi partie de l’histoire des collections. Les premières expositions, organisées à la fin des années 1960, marquaient l’affirmation de la souveraineté du Cambodge indépendant sur le rayonnement de son patrimoine à travers le monde. Ces événements permettent de sensibiliser le public étranger à l’importance de cet héritage culturel et de sa valeur nationale, et de renforcer les liens entre le Cambodge et d’autres pays, participant ainsi à la lutte contre le trafic illicite.’

Comments

Rated 0 out of 5 stars.
No ratings yet

Add a rating
bottom of page