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Archive & Histoire : Songthoul Fernandez, un combat pour la sauvegarde de son patronyme

Le Cambodgien Songthoul Fernandez est surtout connu aujourd’hui à travers Kennary Tours, fondation spécialisée dans le tourisme solidaire et formant des guides chargés de faire découvrir le royaume du Cambodge aux visiteurs.

Debout à droite, Songthoul Fernandez et son épouse. Assis à droite, Sosthène Fernandez et son épouse
Debout à droite, Songthoul Fernandez et son épouse. Assis à droite, Sosthène Fernandez et son épouse

Songthoul est surtout le fils de son père, Sosthène Fernandez, ancien Commandant en Chef des Forces armées de la République khmère de 1973 à 1975. Sosthène Fernandez fut aussi ancien Secrétaire d’État à la Sécurité nationale de 1968 jusqu’à la destitution du prince Norodom Sihanouk, le 18 mars 1970.

En décembre 1974 Songthoul Fernandez a été envoyé en France pour continuer ses études. Sa famille l’a rejoint en mars 1975 avant que les Khmers rouges n’entrent dans la ville un mois plus tard.

Durant ces années d’exil, l’ancien dignitaire Sosthène Fernandez, écrira un manuscrit : » Mémoires d’une Guerre Oubliée » relatant une période encore très largement méconnue de l’histoire du Cambodge. À sa mort, son fils décide alors de faire éditer et publier ce récit afin que le nom Fernandez ne tombe pas dans l’oubli.

CM : Monsieur Fernandez, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

Oui, je m’appelle Songthoul Fernandez, je fais partie de la quatrième génération des Fernandez née au pays. Mon arrière-grand-père s’appelait Angel Fernandez. Il est arrivé au Cambodge en provenance des Philippines en 1864. Mon grand-père, Samson Fernandez, fut deux fois ministre au temps du Prince Sihanouk en 1953. Mon père Sosthène Fernandez fut à deux reprises secrétaire d’État chargé de la Sécurité nationale. Il avait entrepris une carrière militaire, préparé Saint-Cyr, l’École d’État-Major en 1953 et l’École Supérieure de Guerre de 1958 à 1960. Suite à la destitution du Prince Sihanouk, il a été enrôlé dans la guerre. Et, à force de victoires, en 1973, il s’est vu promu au poste de Commandement en Chef des Forces armées de la République khmère.

Cependant en 1975 suite au retrait américain, après avoir consulté toute la classe politique, le Maréchal Lon Nol a décidé d’abandonner la guerre afin de négocier avec les Khmers rouges. Mon père fut le dernier informé de sa décision, il l’avait convoqué pour lui demander son avis.

« Mon père ne voulait pas négocier, mais, à l’époque, c’était la solution politique qui primait sur la position militaire »

Et donc, en mars 1975, le Maréchal Lon Nol demanda à Papa de quitter le pays. J’ai sur moi la note de l’entretien datant du 13 mars 1975 avec le Maréchal Lon Nol, note dans laquelle mon père « demandait » une permission pour pouvoir partir, parce qu’il ne voulait pas négocier.

Et, à l’époque il y avait un décret autorisant le Chef des Armées à quitter avec solde le pays pendant trois mois. Donc, ce que je viens de vous dire là n’est pas connu du public. Beaucoup de gens pensaient qu’il s’était sauvé du pays, que l’armée ne pouvait plus résister, etc. Mais les documents montrent qu’à l’époque, c’était la solution politique qui primait sur le militaire. Il fallait donc évincer le Chef des Armées pour préparer un environnement « propice » à une soi-disant négociation afin de former un gouvernement de coalition.

Donc, que ça soit du côté des Khmers rouges ou de la classe politique, tout le monde souhaitait le départ du Chef des Armées. Ce qui fut fait. Le 17 avril 1975, lorsque les troupes de Pol Pot sont arrivées aux portes de Phnom Penh, tout le monde levait le drapeau blanc et acclamait le retour du Prince Sihanouk, en espérant la paix. Mais, la négociation n’a pas eu lieu et le drame a commencé dès les premières heures de l’arrivée des Khmers rouges.

CM : Ce manuscrit que vous avez apporté à Richard Werly fut publié récemment, quelles furent les circonstances de cette rencontre avec ce journaliste et pourquoi avez-vous décidé de lui confier le témoignage de votre père ?

Notre famille était coincée en France et Papa n’avait pas de ressources pour nourrir ses dix enfants. Parce que nous étions une famille nombreuse, il a tout de suite commencé à travailler. À l’époque, ses amis de promotion qui géraient des entreprises l’ont embauché comme chef de personnel, un poste souvent confié à des militaires supérieurs. C’est ainsi que Papa a commencé tout de suite dans cette société qui s’appelait Mecaform, pour nourrir ses enfants.

« Face à la chute du Cambodge, mon père ne pouvait ne pas penser à son pays. Il a donc commencé à écrire ses mémoires »

Ce travail lui a pris beaucoup de temps. En 2002, à la fin de sa vie, il m’a confié ses mémoires pour que je puisse les éditer. Quand on parle de l’histoire contemporaine du pays, il faut parler du personnage central, le feu Prince Sihanouk, une personne sacralisée. J’ai dû attendre longtemps, car on ne pouvait pas toucher à la personnalité du roi bien qu’il s’agisse des témoignages d’une personnalité qui a vécu l’histoire. Ce qu’il a écrit ne sont que des faits et rien que des faits. Malgré cela, j’ai dû attendre, et j’ai confié ce manuscrit à ce journaliste suisse, Richard Werly, qui était à la recherche de ce manuscrit. Celui-ci a été édité en Thaïlande avec pour titre » Mémoires d’une Guerre oubliée » en 2005.

Ce livre est un son de cloche qui, je pense, peut être utile à la recherche de la vérité, à l’histoire pour la prospérité, au bien-être et à l’avenir du pays. En effet, il y a beaucoup d’inconnues sur la personnalité de Sosthène Fernandez, sur la destitution de Sihanouk par exemple. Le 18 mars 1970, Papa était secrétaire d’État, chargé de la Sécurité nationale. Il a dû affronter le tribunal militaire. Devant ce tribunal, il pouvait voir ses amis militaires de promotion, alors il a sorti son pistolet, l’a posé violemment sur la table en disant : 

« Moi je ne me laisserais pas juger, parce que je n’ai pas trahi le Chef de l’État, je n’ai rien fait de mal. Si vous osez me juger, je me tire une balle dans la tête tout de suite »

Lon Nol, qui le connaissait bien, lui aurait dit : « Sosthène, ne fais pas de bêtise » c’est ainsi que dès le mois de mars, plutôt que de l’emprisonner, on l’envoya sur le champ de bataille avec cette armée de bric et de broc contre les forces Viêt-Cong et Nord-Vietnamiennes qui occupaient déjà plusieurs provinces cambodgiennes. C’est avec cette armée, privée du soutien américain, qu’il réussit à stopper l’avancée des Viêt-Cong à Saang, à une vingtaine de kilomètres de Phnom Penh. Il s’est ainsi vu promu en 1973 au poste de Commandant en Chef des Armées de la République khmère.

CM : Dans ce livre, Sosthène Fernandez fait-il mention des raisons qui ont poussé Lon-Nol et Sirik-Matak à attaquer les positions Viêt-Cong, situées à la frontière cambodgienne alors que l’armée vietnamienne est considérée comme l’une des meilleures armées du monde ?

Pendant ses fonctions de Secrétaire d’État, à partir de 1968 à 1970, il s’était fixé un objectif de la sécurité nationale, c’est-à-dire recenser toutes les troupes Viêt-Cong et Nord-Vietnamiennes stationnées dans le pays. Il avait mis plus de deux ans à identifier avec précision toutes ces unités dont le nombre s’élevait à 60 000 soldats à travers la piste Hô Chi Minh située dans le territoire khmer. Il avait soumis un rapport au Chef de l’État à l’époque, mais ce travail touchait à la politique du pays. Le Cambodge s’était déclaré neutre, et le chef d’État-Major de l’époque, Nhiek Tioulong, avait demandé à Papa de détruire ce rapport. Militaire discipliné qu’il était, il a accepté. Mais, il me disait :

« Mon fils, moi je suis un militaire de carrière, je pense militaire en premier lieu, et politique après »

Il disait également :  « Lorsqu’on a une maison, il faut bâtir une clôture. Le Cambodge non seulement ne construit pas de clôture, mais laisse les étrangers s’installer dans le pays. Le jour où il y aura un danger, ce sera moi Sosthène Fernandez qui ira sur le front, parce que je suis militaire ». Après la destitution du Prince Sihanouk, il a fallu faire face à cette agression caractérisée des Viêt-Cong et Nord-Vietnamiens. Et, Papa s’est engagé à défendre son pays jusqu’à la fin de la République khmère.

CM : Très vite, le régime républicain rencontre de graves difficultés, son armée est mal entraînée, elle manque cruellement de fonds depuis la fin de l’aide américaine. Cette situation s’est aggravée avec les problèmes intérieurs que connaît le pays à l’époque, et en particulier la corruption. Comment-peut-on expliquer une telle débâcle de la part des élites politiques khmères ? Quel regard votre père a-t-il porté sur cela ?

Les réponses se trouvent dans le livre de mon père. Ce que je peux vous dire, c’est que le régime de la République khmère a connu beaucoup de difficultés d’ordre politique et militaire pour des raisons de structure. L’armée ne dépendait pas du pouvoir politique, mais directement du Commandant Suprême Lon Nol. Lors de la destitution du Prince Sihanouk, la guerre était déjà là, il fallait mobiliser la population.

En France lorsqu’il y a une mobilisation en cas de problème grave, ce sont les maires qui font appel à des citoyens, cela relève de la politique. Dans notre constitution, il n’était pas prévu que le pouvoir politique s’engage dans la mobilisation, cette tâche incombait aux militaires.

« Et souvent, les fils de riches s’échappaient et les personnes lambda étaient enrôlées comme « soldats de vingt-quatre heures ». Voilà le premier problème »

Vous parlez de corruption, lorsqu’on parle de bataille dans l’armée, il y a forcément des morts et les chefs d’unités touchaient des soldes. Mais comment se déroulait la distribution des salaires ? Le budget de l’armée était géré non pas par le chef d’État-Major, mais par le ministère de la Défense nationale. Le rôle de l’État-Major était donc de reformer des bataillons et des unités complètes en fonction des pertes. Discrètement, pour des raisons de sécurité, Papa a dissout 200 bataillons sans en référer au gouvernement ni au Président de la République. Il s’agissait de sa mission, de former des effectifs suffisants sans éveiller les soupçons.

Quand on parle de corruption de l’armée, Papa a été accusé injustement. Il suffit de voir la réalité. Lorsqu’il a quitté le pays et s’est retrouvé en France, il a dû trouver un emploi. Notre famille était hébergée chez un ami. S’il était corrompu, cela aurait été beaucoup plus facile et je n’aurai pas autant galéré. Mais, quand les gens veulent rester aveugles… ce n’est pas la peine de se justifier. La réalité de la vie est suffisante pour répondre à ces questions.

CM : Vous-même dans cette guerre, vous êtes adolescent, pouvez vous raconter votre quotidien ? Comment avez-vous vécu cette transition vers l’âge adulte dans un pays en guerre ?

Durant les années de guerre, j’avais 16-17 ans. J’étais comme les gens de mon âge, insouciant. Nous vivions ceci comme quelque chose de normal. Nous habitions dans la capitale, comme des gens normaux. Et, mon père disait que la stratégie militaire était de défendre d’abord les grandes villes afin de permettre à la population de vivre normalement. Cela a demandé beaucoup de mobilisation des troupes. Et, l’armée n’ayant pas les capacités de défendre tout le territoire, les campagnes étaient mal défendues.

CM : Il s’agissait d’une stratégie délibérée d’abandonner les campagnes ?

Non, pas exactement, la République khmère avait aussi pris la décision de consolider ses positions, une fois que ses forces étaient bien entraînées. Certaines le furent en Indonésie, en Thaïlande, et au Sud-Vietnam. Elles purent ainsi commencer à entreprendre des offensives comme Chenla I et Chenla II. Papa avait vu les erreurs tactiques de l’opération Chenla II. C’est suite à la débâcle de Chenla II qu’il a été appelé en renfort. La prise du Mont Baset a permis de sauver Phnom Penh. Grâce à cette importante victoire, il s’est vu promu au poste de commandant en Chef des Armées.

CM : Votre père n’avait-il pas participé à l’élaboration de cette opération ?

Non, le Chef de l’État-Major de l’armée était le Général Sak Sutsakhan et l’opération fut montée par le Commandant suprême, Lon Nol. Mon père était commandant de la seconde région militaire qui était à Kompong Speu. Les Américains, devant cette débâcle, décidèrent de proposer un autre Commandant en chef. Ils ont proposé le nom de mon père. Du Mont Baset, vous pouviez voir tous les mouvements de la capitale vers la route nationale. Et, comme l’opération Chenla II consistait à envoyer des convois militaires sur la route nationale, les troupes nord-vietnamiennes ont pu attaquer sur le flanc et mettre l’opération en déroute.

''Mémoires d’une Guerre Oubliée'' relate une période encore très largement méconnue de l’histoire du Cambodge
« Mémoires d’une Guerre Oubliée » relate une période encore très largement méconnue de l’histoire du Cambodge

CM : Sur la fin de la guerre, vous avez mentionné le fait que le Général Sosthène Fernandez était contre l’arrêt des combats, quel était son plan pour résister aux attaques ?

Suite au retrait des Américains (Le Congrès avait voté la fin du soutien économique à la République khmère en 1974), toutes les classes politiques étaient d’accord pour arrêter la guerre et négocier avec les Khmers rouges. Et, le Prince Sihanouk prévoyait de former un gouvernement de coalition.

« Selon les dires de feu Papa, les gens disaient que de toute façon les Khmers rouges étaient des Khmers, pourquoi ne pas discuter avec eux ? »

Le Maréchal Lon Nol a convoqué mon père en dernier lieu, en lui demandant son opinion.

Mon père était contre la négociation avec les Khmers rouges. Dans son État-Major il y avait un plan de retrait de la population de Phnom Penh pour continuer une guerre de maquis. Pour défendre cette stratégie, il suffisait de mobiliser le peuple afin de poursuivre la lutte comme la Palestine face à la grande puissance israélienne. Mais cette solution ne fut pas prise en considération par le Maréchal Lon Nol. Et, j’ai sur moi les documents qui confirment cette réalité.

Il a cependant décidé de ne pas contester cette décision, et c’est ainsi que sa famille a pu partir saine et sauve. Mais, nos proches furent décimés. Si je n’étais pas revenu au Cambodge, il n’y aurait plus de Fernandez dans le pays, voilà mon histoire.

Propos recueillis par Hugo Bolorinos

NDLR : Pour des raisons de clarté, l’interview a légèrement été raccourcie.

Merci pour votre envoi !

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