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Chronique Anikachun : Antoine Meinnel, abandonner les clichés sur l’architecture tropicale

Anikachun est un terme khmer qui désigne les Cambodgiens de l’étranger. Cette rubrique est le fruit d’une collaboration avec l’association Anvaya et a pour but de mettre les projecteurs sur le capital économique et d’innovation de cette diaspora cambodgienne qui a fait le choix d’entreprendre dans son pays d’origine. Elle se veut aussi une fenêtre sur le Cambodge contemporain, à contre-pieds de l’image encore pesante liée aux décennies de guerre civile.

Architecture au Cambodge

Au Cambodge, l’architecture est une affaire sérieuse. On pourrait même parler d’identité nationale : le symbole le plus connu du pays, celui qui incarne son génie culturel et qui a été choisi pour figurer sur son drapeau, est la silhouette dessinée des tours du temple d’Angkor. Les réalisations architecturales de l’empire Khmer, du Muang Sing en Thaïlande à quelques kilomètres de la frontière birmane au Wat Phou du sud laotien, témoignent de la grandeur d’une civilisation qui fût à son apogée la première puissance du sud-est asiatique. Aujourd’hui encore, à l’heure du développement et de la modernité, elles sont l’un de ses principaux atouts, attirant chaque année plusieurs millions de visiteurs représentant une manne économique d’une importance capitale.

Antoine Meinnel, 31 ans, à la tête du cabinet Bloom Architecture

Antoine Meinnel, 31 ans, à la tête du cabinet Bloom Architecture


Point de départ

Les temples d’Angkor et l’architecture khmère ancienne, c’est aussi le point de départ de la vie cambodgienne d’Antoine Meinnel, 31 ans, à la tête du cabinet Bloom Architecture. Ayant grandi en France et « à la française, » avec très peu de liens au pays, à sa diaspora, ou à sa culture, il se rend au Cambodge pour la première fois en 2011. Sans se douter qu’il y viendra s’y installer seulement quelques années plus tard. « L’objectif était clair pour moi : voir Angkor. Le reste, ça ne me passionne pas. » Jeune diplômé, il travaille dans des cabinets prestigieux et prend assez vite des responsabilités importantes sur des projets considérables comme Lyon Confluence.

De nouveaux liens

Alors que sa carrière architecturale avance en Europe, la famille d’Antoine Meinnel commence peu à peu à tisser de nouveaux liens avec le Cambodge. Ses parents achètent une maison à Kampot, sur la promenade. C’est une très belle maison ancienne, classée au registre des monuments historiques, mais en l’état plus habitable, faute d’avoir été laissée trop longtemps à l’abandon.

Rénover sans détruire

Quand la famille s’entretient avec les autorités locales pour voir ce qu’il est possible de faire en matière de rénovation, la recommandation des spécialistes est claire : tout détruire, et reconstruire la façade à l’identique. Pour Meinnel, que son expertise amène rapidement dans la discussion, cela n’a aucun sens. « Je cherchais un nouveau challenge. » Le défi de rénover la maison sans la détruire est techniquement réalisable, mais très complexe. Difficile d’y faire face sans la présence quotidienne, ou presque, d’un expert. Meinnel s’engage…« Au départ, je voulais faire le projet sur trois mois. » Il faudra finalement un an avant que le chantier ne démarre – trouver les bonnes personnes et les bons matériaux ne s’improvise pas.

Cette année-là est un tournant. « À cette époque, je me rendais beaucoup à Phnom Penh et je rencontre beaucoup de gens, des clients potentiels qui me disent : on a besoin de quelqu’un comme toi sur place, qui a les méthodes de travail d’un international mais qui peut vraiment passer du temps sur le terrain plutôt que de faire deux jours avant de reprendre l’avion. » Le diagnostic est clair : un vrai besoin existe.

Fin 2015, il se lance, avec dès le départ une grande diversité de projets, qui va de l’individuel au projet urbain. Et ça fonctionne : « J’avais dans tous les cas l’intention de monter mon agence un jour, mais ailleurs, je ne l’aurais pas fait aussi tôt .(…) Et on grandit beaucoup plus vite que ce que j’avais imaginé ! »

Contexte cambodgien

La proposition de valeur de son cabinet, c’est une méthode bien particulière : « on allie la pensée des cabinets avec le contexte cambodgien. » Et on n’hésite pas à remettre en question les apriori du client, pour mieux le servir. « Les clients veulent souvent s’inspirer de ce qui se faisait avant, de l’esthétique d’avant. Ils nous demandent une ‘architecture khmère.’ Mais ce n’est pas la bonne manière de poser la question.

Il faut travailler au cas par cas, voir ce qui peut marcher dans un contexte donné : ça n’a pas forcément de sens de copier et de travailler uniquement sur le visuel. » Il n’y a pas là un rejet de l’identité architecturale khmère classique, au contraire – Meinnel insiste sur le travail considérable réalisé par son agence sur les ”heritage buildings”, la nécessité de préserver les bâtiments qui ont une histoire, et d’inciter les client à conserver plutôt qu’à détruire. Le travail de l’architecte est à la croisée de l’urbanisme et du design : « on réfléchit à l’espace public : comment faire de l’espace public, comment recréer un tissu urbain ? Quel type d’espace public veut-on pour le Cambodge ? »

Identité architecturale

Au cœur de cette réflexion, il y a un vrai cheminement intellectuel autour de la notion d’identité architecturale. « Comment définit-on l’architecture khmère ? Comment définit-on une identité architecturale ? » Pour Meinnel, il est essentiel de penser l’architecture à partir de son contexte, défini au sens large : « Climats, usagers, matériaux, compétences et expertises locales, capacité des entreprises de construction (…) » Au fond, Meinnel trouve le fondement de la notion d’identité architecturale dans la manière dont l’architecte choisit d’apporter une réponse au défi posé par les conditions dans lesquelles il doit bâtir un site donné. L’identité naît naturellement du contexte plutôt que de venir s’y imposer. C’est « du modernisme tropical. »

Abandonner les clichés

« On ne construit pas de la même façon à Siem Reap, Phnom Penh, Kampot, ou Sihanoukville. Ce ne sont pas les mêmes critères, et pas les mêmes opportunités » explique Meinnel. « Il faut partir du réel, des conditions qu’il y a sur le site, » répète-t-il. Et ces conditions vont influencer tous les paramètres architecturaux, du projet artistique aux technologies (aération, thermodynamique, etc,.) choisies pour rendre le lieu habitable.

« Partir du réel, ça veut dire évidemment qu’il faut bien connaître le terrain, et abandonner les clichés qu’on peut avoir sur l’architecture tropicale, comme de penser que la ventilation naturelle est toujours préférable à l’air conditionné. Et en plus, il y a des changements marquants : le soleil par exemple peut être au Nord six mois de l’année, l’orientation de la pluie, qui ne tombe pas exactement de la même manière qu’en Europe. »

Et dans les années à venir, comment voit-il les choses ? Peut-on imaginer que Bloom Architecture s’étende à l’international ? « Nous avons déjà eu des demandes dans la région, » réponds Antoine Meinnel, « mais nous ne les acceptons pas, parce que nous estimons que nous ne pourrions pas y être aussi pertinents qu’au Cambodge. » Et il y a déjà de quoi faire ici pour remplir un volumineux carnet de commandes.

– Texte et photographie par Hugo Roussel

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