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Cambodge & Thaïlande : La guerre sournoise de l'information dans le Conflit Frontalier

Alors que les anciens différends territoriaux entre la Thaïlande et le Cambodge, cristallisés autour du temple sacré de Preah Vihear, persistent, un nouveau champ de bataille a émergé avec une intensité croissante : celui de la communication et de la désinformation.

Des journalistes locaux et étrangers visitent le village de Prey Chan, où des soldats thaïlandais ont installé des barbelés
Des journalistes locaux et étrangers visitent le village de Prey Chan, où des soldats thaïlandais ont installé des barbelés. AKP

La stratégie de communication agressive déployée par certains acteurs thaïlandais, combinée à une réactivité inflammatoire aux incidents frontaliers, alimente les tensions et complique la recherche de solutions pacifiques, face à une réponse cambodgienne de plus en plus structurée.

La voix de Bangkok

La communication officielle thaïlandaise concernant les incidents frontaliers est souvent marquée par une rapidité et une fermeté qui frisent l'escalade verbale. Dès le moindre incident rapporté – qu'il s'agisse d'une patrouille perçue comme intrusive, d'un échange de tirs sporadique (comme celui survenu fin décembre 2024 près de Preah Vihear), ou de travaux de construction –, des déclarations fortes émanent rapidement du haut commandement militaire, du ministère des Affaires étrangères ou de figures politiques nationalistes.

L'utilisation de termes comme "violation", "agression", "empiètement délibéré" ou "provocation" est fréquente, souvent avant qu'une enquête approfondie ne puisse établir les faits objectifs ou le contexte exact (par exemple, si l'incident s'est produit dans une zone contestée ou clairement sous souveraineté cambodgienne selon les cartes reconnues).

Le récit met systématiquement l'accent sur la défense de "l'intégrité territoriale" thaïlandaise, présentant les actions cambodgiennes comme des agressions non provoquées. Cette posture victimaire vise à mobiliser l'opinion publique nationale et à légitimer une réponse militaire ferme.

Certains médias thaïlandais, particulièrement ceux à tendance nationaliste (comme Thai Rath ou certaines chaînes télévisées), reprennent et amplifient instantanément ces déclarations officielles, parfois sans recul critique, ajoutant des commentaires éditoriaux incendiaires et des images sélectionnées pour leur impact émotionnel. Cette boucle médiatique crée un sentiment d'urgence et de menace.

Arsenal de la désinformation et techniques documentées

Au-delà de la rhétorique officielle agressive, des acteurs moins identifiés (groupes nationalistes, comptes anonymes en ligne) déploient des techniques sophistiquées de désinformation visant à discréditer le Cambodge et à façonner le récit à l'international :

Des photos et vidéos anciennes, hors contexte, ou manipulées (changement de géolocalisation, ajout de légendes trompeuses) sont massivement partagées pour "prouver" des empiètements ou des constructions militaires cambodgiennes illégales. Des images de conflits passés sont parfois recyclées comme étant récentes.

La création et la diffusion de cartes falsifiées redessinant les frontières au profit de la Thaïlande, ou niant la validité de l'arrêt de la Cour Internationale de Justice de 1962 attribuant Preah Vihear au Cambodge, sont des tactiques récurrentes. Ces cartes circulent largement sur les réseaux sociaux et certains forums.

Des réseaux de faux comptes (sockpuppets) et de bots sont utilisés pour amplifier massivement les messages pro-thaïlandais, les hashtags accusateurs (#ThaiLandProtect, #StopCambodiaInvasion), et inonder les espaces de discussion en ligne, créant une illusion de consensus et d'indignation massive.

Ces comptes attaquent aussi systématiquement les sources et personnalités cambodgiennes.

La construction de récits élaborés présentant les communautés thaïlandaises frontalières comme vivant sous la menace constante et injuste des forces cambodgiennes, occultant souvent les dynamiques locales complexes et les perceptions similaires du côté cambodgien.

Phnom Penh, stratégie de communication

Face à cette offensive informationnelle, le Cambodge a progressivement affiné sa stratégie de communication, combinant réponses officielles, actions en ligne et recours aux mécanismes internationaux :

Calme officiel et réfutations ciblées

Le gouvernement et le ministère de la Défense privilégient généralement un ton plus mesuré dans leurs déclarations officielles, appelant au calme et à la vérification des faits. Cependant, les réfutations des affirmations thaïlandaises sont rapides et documentées, souvent accompagnées de photos, vidéos et cartes officielles (celles annexées à l'arrêt de 1962 de la CIJ ou produites par la Commission mixte frontalière).

Des figures pro-gouvernementales très actives sur les réseaux sociaux, comme le conseiller d'État Phay Siphan, et des médias en ligne dynamiques (Fresh News, Cambodia News, Bayon TV) jouent un rôle crucial.

Ils démontent systématiquement les fausses informations, publient des preuves visuelles contradictoires, et mobilisent le public cambodgien avec des hashtags comme #ProtectCambodiaBorder ou #FakeNewsThai. Le ministère de l'Information a renforcé sa cellule de veille et de réponse aux fausses nouvelles.

Recours à la Communauté Internationale

Phnom Penh n'hésite pas à rappeler l'historique juridique du différend (arrêt de 1962) et menace régulièrement, ou engage, des poursuites contre des médias ou individus thaïlandais pour diffamation ou propagation de fausses nouvelles, comme le rapporte fréquemment l'Agence Kampuchea Presse. Le pays cherche aussi à internationaliser le débat en sollicitant des soutiens diplomatiques.

Le discours officiel cambodgien met également en avant les efforts de développement dans les zones frontalières (routes, écoles, postes médicaux) et réaffirme constamment son engagement en faveur de la résolution pacifique via les mécanismes bilatéraux (Commission frontalière conjointe) et l'ASEAN.

Cartographier la désinformation

L'intervention de Michael B. Alfaro, apparemment analyste de la désinformation, a apporté un éclairage qui n'est pas négligeable. En mission d'observation (?) dans la région frontalière, Alfaro a documenté les flux de désinformation et leurs impacts. Selon des sources proches de ses travaux, ses analyses préliminaires confirment l'existence de campagnes coordonnées visant à exacerber les tensions.

Les Réseaux sociaux

Les plateformes sociales, notamment Facebook et X (Twitter), sont devenues l'épicentre de cette guerre de l'information. Chaque incident, réel ou perçu, déclenche immédiatement des vagues de publications antagonistes :

Les communautés en ligne se radicalisent, les échanges se transforment en invectives nationalistes, rendant tout dialogue constructif presque impossible dans cet espace.

Les fausses informations et contenus manipulés conçus pour provoquer une réaction émotionnelle se propagent beaucoup plus vite et plus largement que les corrections et les nuances.

Des utilisateurs des deux côtés font face à des campagnes de harcèlement et d'intimidation en ligne, visant à les faire taire.

Un conflit amplifié par le numérique

Le conflit frontalier entre la Thaïlande et le Cambodge reste profondément enraciné dans l'histoire et des revendications territoriales non résolues.

Cependant, l'ère numérique a ajouté une dimension dangereuse : une communication officielle thaïlandaise souvent prompte à l'escalade verbale, couplée à des campagnes sophistiquées de désinformation, attise les braises de la méfiance et de la colère.

Face à cela, le Cambodge déploie une stratégie de plus en plus organisée de contre-discours et de défense fondée sur le droit, tout en bénéficiant de soutiens diplomatiques discrets comme celui de la France.

Alors que les tensions continuent de monter en ligne, transformant les réseaux sociaux en champs de bataille numériques, la voie vers une résolution pacifique du conflit réel semble plus que jamais tributaire de la capacité des deux parties, et de la communauté internationale, à désamorcer cette dangereuse guerre de l'information qui menace la stabilité régionale. La paix aux frontières passe désormais aussi par la lutte contre la désinformation qui l'empoisonne.

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