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Archive & Société : Les huttes d'amour des minorités du Ratanakiri, une tradition qui s’efface

La construction de huttes pour les adolescentes de la minorité Kreung, afin qu’elles puissent avoir des relations sexuelles avant le mariage, est depuis longtemps ancrée dans la culture de cette minorité. Mais, il semble que cette coutume appartienne quasiment au passé.

Les femmes du village de Tang Kamal vont chercher de l'eau au puits. Photo Charlotte Pert
Les femmes du village de Tang Kamal vont chercher de l'eau au puits. Photo Charlotte Pert

Un vendredi soir de saison sèche, le coucher du soleil approche et dans le village de Tang Kamal, les femmes se rassemblent près du puits pour se baigner et recueillir de l’eau. Se rafraîchissant après une longue journée de travail aux champs, elles essaient d’éviter de trébucher sur les cochons, les chiens et les poulets qui s’agitent à leurs pieds.

Lorsque le soleil se couchera, beaucoup de ces femmes dormiront avec leurs familles dans leurs maisons.

Mais certaines des adolescentes feront exception. La tradition de la minorité Kreung, répartie dans 27 villages du district d’Ochum dans la province du Ratanakiri, est de construire des huttes privées pour les filles lorsqu’elles atteignent la puberté. L’idée de ces huttes, ou « maisons de filles » est que les jeunes femmes aient l’espace et la possibilité d’inviter des garçons, d’apprendre à les connaître et d’avoir des relations sexuelles si elles le souhaitent.

Yang Na a 16 ans, et ses parents lui ont construit une maison de fille quand elle avait 13 ans. Elle dort seule, et si un garçon lui rend visite, c’est elle qui décide si elle veut le laisser entrer ou non. Parfois, ils restent toute la nuit à discuter. C’est à elle de décider, dit-elle, et elle a le sentiment d’avoir le contrôle :

« J’ai le pouvoir de coucher avec un garçon si je veux, mais si je ne l’aime pas, je dis toujours non, et il s’en va ».

La communauté Kreung valorise les rapports sexuels avant le mariage, dit-elle, car c’est un moyen de prouver aux parents qu’un garçon et une fille s’aiment. Elle ajoute : « Si nous avons des rapports sexuels et que nous sommes sûrs de nous aimer, et que nos parents le sont aussi, alors nous pouvons nous marier ».

Chez les Kroeung de Tang Kamal

Tang Kamal se trouve à sept kilomètres au nord de la capitale provinciale de Banlung et abrite 100 familles Kreung. Leur survie dépend de l’exploitation de terres situées à plus de 10 km à pied, à travers une forêt dense, et de la culture de noix de cajou qu’ils vendent ensuite sur les marchés. Le dispensaire le plus proche se trouve dans un autre village, à trois kilomètres de là et un grand nombre de Kreung préféreraient pratiquer la médecine traditionnelle.

Yang Na dit que ses parents lui ont construit cette maison quand elle avait 13 ans. Charlotte Pert
Yang Na dit que ses parents lui ont construit cette maison quand elle avait 13 ans. Charlotte Pert

Mais Tang Kamal se distingue particulièrement des autres villages Kreung. C’est l’un des seuls qui construit encore des huttes pour ses adolescentes. Cette coutume est en train de disparaître à mesure que la minorité est exposée à la modernisation et à la culture khmère.

Les familles peuvent également se permettre de construire des maisons plus grandes, et les parents choisissent de plus en plus souvent de créer une pièce à l’intérieur de la maison pour leurs filles plutôt que de leur construire une nouvelle hutte.

Selon l’ONG CARE Cambodia, les Kreung sont désormais en mesure de construire des maisons plus grandes et plus solides grâce au développement économique et à l’amélioration des moyens de subsistance :

« Leurs maisons traditionnelles sont beaucoup plus petites, mais elles doivent aussi être reconstruites chaque année parce qu’elles sont en bambou et qu’elles sont endommagées pendant la saison des pluies. Construire une maison plus grande, en bois, est beaucoup plus pratique. »

Village de Laork

Selon Roeun, de la communauté du village de Laork, où vivent au moins 150 familles Kreung, les parents avaient l’habitude de construire des huttes pour les adolescents, garçons et filles, mais il y a environ deux ans, ils les ont démontées pour leur donner une pièce à l’intérieur de la maison :

« Avant, cette communauté pratiquait cette vieille coutume, les parents construisaient des maisons pour les filles et pour les garçons. Mais, il y avait trop de problèmes, comme la fille qui tombait enceinte sans mari, ou les garçons qui se battaient pour les filles. »

Les parents autorisent toujours leurs filles à avoir des relations sexuelles avant le mariage, mais, si une fille dort sous le même toit, ils peuvent avoir plus de contrôle : « Parfois, les parents s’inquiétaient que la fille couche avec trop de garçons, mais maintenant ils peuvent s’assurer que cela ne se produise pas. »

Naoung Tien, également originaire de Laork, explique que la coutume a disparu dans son village après le régime de Pol Pot. Elle n’était qu’une enfant lorsque les Khmers rouges ont pris le pouvoir et se souvient avoir été envoyée travailler ailleurs dans le Ratanakiri. À son retour, dit-elle, les maisons de filles appartenaient au passé : « Il y avait des huttes en 1975, mais je me souviens qu’à mon retour, il n’y en avait plus ».

Avec son mari, elle a construit des pièces séparées dans sa maison pour ses filles :

« Il n’y a rien de mal à ce que les filles couchent avec des garçons s’ils s’aiment, et si les parents se rencontrent et approuvent ».
Suri, également issue de l’ethnie Kreung, a quitté son village natal pour celui de Kraes afin de se marier. Photo Charlotte Pert
Suri, également issue de l’ethnie Kreung, a quitté son village natal pour celui de Kraes afin de se marier. Photo Charlotte Pert

Il existe des différences subtiles dans les coutumes de chaque communauté Kreung. Le village de Kala, par exemple, se trouve à 20 km de Banlung. Comme dans les autres villages, les seuls sons sont les cris des poulets, les rires des enfants et les aboiements occasionnels d’un chien.

Kala, la fin des huttes

Ici, il y a des maisons de filles et aussi de garçons, la différence notable étant que ces dernières sont construites sur des pilotis plus hauts. Mais elles ne sont plus utilisées à des fins traditionnelles.

Ravee raconte qu’elle et son mari ont construit une hutte pour leur fille, qui s’est mariée avant d’avoir l’occasion de l’utiliser. Perchée sur le bord de cette même structure, Ravee se déplace entre l’intérieur de la hutte, où elle s’occupe d’un poêle bouillonnant, et l’extérieur. Depuis le mariage de leur fille, elle et son mari utilisent la hutte pour stocker leurs casseroles et leurs poêles. En dessous, trois cochons endormis se prélassent à l’ombre.

Ravee confie que les habitants de Kala construisent aussi des maisons plus grandes, certaines même en briques. Il n’y a plus besoin d’un bâtiment séparé, mais comme dans le village de Laork, les filles dormiront dans une pièce séparée dans la maison familiale.

« Pour notre communauté, il est normal d’avoir des relations sexuelles avant de se marier, mais maintenant les parents de la fille peuvent apprendre à connaître le garçon parce qu’il peut rester avec eux pendant quelques jours. Ils peuvent s’enquérir du passé du garçon, demander au village s’il vient d’une bonne famille ou s’il est un paresseux. Il est toujours important que le garçon travaille dur ».

Le viol n’est pas accepté au sein de la communauté de Ravee, dit-elle, malgré la vulnérabilité accrue d’une femme seule dans une maison. Il n’y a pas de statistiques, mais, poursuit Ravee :

« Notre tradition veut que si un garçon a des relations sexuelles avec une fille par la force, il reçoit une amende du chef du village, qui retire le bétail à ses parents. Les garçons ont généralement très peur de cela, alors ils n’ont pas de relations sexuelles avec une fille sans son accord. »

Elle ajoute :

« C’est la fille qui décide si elle va coucher ou non avec le garçon, et plus tard elle décidera si elle va l’épouser ou non. C’est elle qui contrôle la situation. »

Le village de Kraes, situé à environ 10 km plus loin de Banlung, s’est également débarrassé de cette tradition.

Pas de tradition à Kaes

Tuot, 12 ans, confie que ses parents ont déjà décidé de ne pas lui construire une hutte, car ils ont une maison en dur.

Un jeune couple a mis la touche finale à ce qui ressemblait beaucoup à une maison de fille - mais ils expliquent qu’ils l’ont construite pour stocker des denrées. Suri, 18 ans, marié depuis peu et originaire d’un autre village de Kreung, a déménagé ici pour son mari et dit que même dans son village, cette pratique était en train de disparaître.

La tradition des maisons de filles fait partie de la culture Kreung depuis longtemps. Photo Charlotte Pert
La tradition des maisons de filles fait partie de la culture Kreung depuis longtemps. Photo Charlotte Pert

Aum Seaynng, qui préfère être appelé Jammy, est responsable des ventes dans une société de trekking qui organise des séjours chez l’habitant avec des groupes minoritaires autochtones. Il a de nombreuses années d’expérience du trekking dans la région, mais la dernière fois qu’il est venu à Kraes, il a été surpris de voir à quel point les choses avaient changé :

« Ici même, il y avait des maisons de filles, et maintenant il n’y en a plus - je suis surpris que les gens aient abandonné cette tradition. »

« Maintenant, ils sont plus riches, ils peuvent s’offrir une maison plus grande, et ils ont des chambres à l’intérieur de la maison - pas comme avant où tout le monde dormait ensemble. »

Les villages Kreung étaient autrefois coupés du reste de la société, ce qui leur permettait de préserver leurs traditions. Mais aujourd’hui, ils ont accès à la culture khmère grâce à la télévision et à la radio. Selon Jammy, ils savent que selon cette culture, il n’est pas bon d’avoir des relations sexuelles avant le mariage. Ils fréquentent également les écoles cambodgiennes, où les enseignants les éduquent dans ce sens. »

Emily Wight & Vandy Muong avec notre partenaire The Phnom Penh Post

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