Nate Thayer était un journaliste indépendant américain dont le travail portait essentiellement sur le crime organisé international, le trafic de stupéfiants, les droits de l’homme et les zones de conflit militaire. Thayer est surtout connu pour avoir interviewé Pol Pot, en sa qualité de correspondant au Cambodge pour la Far Eastern Economic Review. Thayer a aussi écrit pour la revue Jane’s Defence Weekly, Soldier of Fortune, l’Associated Press et pour plus de 40 autres publications, dont The Cambodia Daily et The Phnom Penh Post.
Au début
Thayer est né en 1960 dans le Massachusetts et a étudié à l’université du Massachusetts à Boston. Thayer a commencé sa carrière en Asie du Sud-Est, à la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge, participant à un projet de recherche universitaire dans le cadre duquel il aura interviewé 50 Chams ayant survécu aux atrocités des Khmers rouges dans le camp de réfugiés de Nong Samet en 1984. Il est ensuite retourné dans le Massachusetts, où il a brièvement travaillé en tant que directeur des transports pour le Bureau des affaires des handicapés de l’État.
Il travaillera ensuite pour le magazine Soldier of Fortune, où il publiera des reportages sur la guérilla en Birmanie, et en 1989, commencera à travailler pour l’Associated Press depuis la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge. En octobre 1989, Thayer a failli être tué lorsqu’une mine antichar a explosé sous un camion dans lequel il se trouvait. En 1991, il s’installe au Cambodge où il commence à écrire pour la Far Eastern Economic Review.
En août 1992, Thayer se rend dans la province du Mondolkiri et rend visite aux derniers guérilleros montagnards du FULRO qui sont restés fidèles à leurs anciens commandants américains. Thayer informe alors le groupe que le président des FULRO, Y Bham Enuol, a été exécuté par les Khmers rouges dix-sept ans auparavant. Les troupes du FULRO rendront leurs armes en octobre 1992 ; beaucoup d’entre eux obtiendront l’asile aux États-Unis.
En avril 1994, Thayer participe au projet de recherche sur le kouprey cambodgien, une enquête de terrain de deux semaines sur un corridor vaste de 150 km, pour tenter de trouver le mythique bovin cambodgien.
Thayer écrira plus tard : « Après avoir constitué une équipe de pisteurs experts de la jungle, de scientifiques, de troupes de sécurité, de cornacs d’éléphants et l’un des groupes de journalistes armés les plus hétéroclites et les plus ridicules de l’histoire récente, nous avons marché sans le savoir dans les jungles contrôlées par les Khmers rouges le long de l’ancienne piste Hô Chi Minh ».
Début juillet 1994, Thayer est sollicité pour négocier la libération du prince Norodom Chakrapong et son passage en toute sécurité à l’aéroport, après que le prince eut été accusé par le Premier ministre Norodom Ranariddh de fomenter un coup d’État.
Thayer est ensuite expulsé du pays par le prince Ranariddh, mais il y retourne quand même.
Au début de 1997, il est à nouveau expulsé du Cambodge.
Interview avec Pol Pot
En juillet 1997, Thayer et David McKaige, cameraman d’Asiaworks Television, se rendent sur le site de la retraite des Khmers rouges d’Anlong Veng, au Cambodge, où Pol Pot est jugé pour trahison, Thayer racontera :
« Pol Pot n’a rien dit. Ils m’ont fait comprendre, et je les ai crus, que je devais l’interviewer après le procès. Pol Pot a littéralement dû être transporté, car il était incapable de marcher - et je n’ai pas pu lui parler. J’ai essayé… il n’a répondu à aucune question, et il n’a pas parlé pendant le procès ».
« Chaque once de son être luttait pour maintenir un dernier vestige de dignité », ajoutera le journaliste.
Thayer pensait que le procès avait été mis en scène par les Khmers rouges pour lui et McKaige. En octobre 1997, Thayer retourne à Anlong Veng et devient ainsi le deuxième journaliste occidental (après Elizabeth Becker en 1978) à se voir accorder une interview avec l’ancien dictateur et, avec McKaige, a certainement été le dernier étranger à le voir vivant.
Durant cet entretien, Pol Pot aurait dit à Thayer :
« Tout d’abord, je veux que tu saches que je suis venu pour rejoindre la révolution, pas pour tuer le peuple cambodgien. Regarde-moi maintenant. Penses-tu que je suis une personne violente ? Non. Donc, en ce qui concerne ma conscience et ma mission, il n’y avait aucun problème. Cela doit être clarifié… Mon expérience était la même que celle de mon mouvement. Nous étions nouveaux et inexpérimentés et des événements se succédaient auxquels nous devions faire face. Ce faisant, nous avons commis des erreurs. Je l’admets maintenant. Quiconque souhaite me blâmer ou m’attaquer est en droit de le faire. Je regrette de ne pas avoir eu assez d’expérience pour contrôler totalement le mouvement. D’un autre côté, avec notre lutte constante, il fallait le faire avec d’autres dans le monde communiste pour empêcher le Kampuchéa de devenir vietnamien ».
Thayer et la mort du monstre
Thayer s’est à nouveau rendu à Anlong Veng le 16 avril 1998, un jour seulement après la mort de Pol Pot. Après avoir photographié le cadavre, il a brièvement interrogé Ta Mok et la seconde épouse de Pol Pot, Muon, qui lui aurait confié : « Ce que je voudrais que le monde sache, c’est qu’il était un homme bon, un patriote, un bon père ». On a ensuite demandé à Thayer de transporter le corps de Pol Pot dans son pick-up jusqu’au site où il a ensuite été incinéré.
Pour Thayer, Pol Pot se serait suicidé en buvant du poison parce qu’il pensait que les Khmers rouges avaient l’intention de le « livrer aux Américains ».
Entretien avec Kang Kek Iew
En avril 1999, Thayer, aux côtés du photojournaliste Nic Dunlop, s’entretiendra avec Kang Kek Iew (Camarade Duch) pour la Far Eastern Economic Review après que Dunlop eut retrouvé Duch à Samlaut et soupçonné fortement qu’il était en réalité l’ancien directeur de la tristement célèbre prison de sécurité S-21.
Dunlop voulait que Duch fournisse des indices qui révéleraient son identité, et Thayer a commencé à sonder la version de Duch selon laquelle il était Hang Pin, un travailleur humanitaire et un chrétien. Duch a été démasqué et s’est rendu aux autorités de Phnom Penh après la publication de cette interview.
Dunlop et Thayer ont été les premiers finalistes du prix SAIS-Novartis d’excellence en journalisme international de 1999, décerné par la Paul H. Nitze School of Advanced International Studies, pour avoir « exposé l’histoire interne de la machine à tuer des Khmers rouges ».
Après le Cambodge
Nate Thayer a également couvert des conflits en Albanie, Indonésie, Mongolie et aux Philippines. En 2003, il a réalisera un reportage sur la guerre en Irak dans une série de cinq articles pour le magazine Slate. Il a également couvert les émeutes des chemises rouges de Bangkok en 2010. En 2011, il a travaillé pour le Centre pour l’intégrité publique du Consortium international des journalistes d’investigation en écrivant une enquête de trois mois sur la Corée du Nord en tant « qu’État voyou financé par des activités criminelles ».
Le travail de Thayer lui a valu le prix Francis Frost Wood de 1998 pour le courage dans le journalisme, décerné par l’université Hofstra à Hempstead, New York, à un journaliste « jugé comme étant le meilleur exemple de courage physique ou moral dans l’exercice de son métier ». Il a été le premier lauréat du prix ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation) du Center for Public Integrity pour l’excellence de ses reportages d’investigation internationaux en novembre 1998.
Selon le jury, « Thayer a éclairé une page de l’histoire qui aurait été perdue s’il n’avait pas passé des années dans la jungle cambodgienne, dans une quête vraiment extraordinaire de vérité sur les Khmers rouges et leur chef meurtrier ».
Depuis 1999, le département de journalisme et d’études des médias de masse de l’école de communication de l’université Hofstra accorde la bourse Nate Thayer à un étudiant qualifié ayant la meilleure idée d’histoire étrangère. Les lauréats sont sélectionnés sur la base de leurs résultats scolaires ou de leur potentiel, ainsi que de leurs besoins économiques.
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