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Photo du rédacteurRémi Abad

Le Meilleur de 2023 & Parcours : Raphaël Pech, un certain regard

En quelques années, le photographe franco-cambodgien est devenu l’une des figures majeures d’une scène culturelle riche en talents. En plus d’un parcours hors du commun, l’histoire de Raphaël Pech demeure inextricablement liée à la photographie et à ses pouvoirs parfois insoupçonnés. Rencontre avec un artiste pour qui optimisme et altruisme ne sont pas de vains mots.

Raphaël Pech
Raphaël Pech

Peux-tu nous expliquer comment tu as débuté dans la photographie ?

Ma mère m’a offert mon premier appareil photo lorsque j’avais 12 ans, un Pentax que j’ai depuis conservé. Il s’agissait bien sûr d’un appareil photo argentique, avec ses rouleaux de pellicule 24 ou 36 poses. Il fallait alors faire attention à la manière de prendre ses images, à bien les cadrer, à bien choisir son sujet, contrairement au numérique qui permet de prendre une centaine de photos en quelques secondes. C’était une école remarquable, car il est impossible de tricher avec l’argentique : soit une photo est réussie, soit elle ne l’est pas. C’est irrévocable. Je collectionne depuis les boîtiers et ne peux résister à l’attrait d’une brocante ou d’un vide-grenier !

Que photographiais-tu à l’époque ?

J’ai grandi en banlieue parisienne, bercé par ce que l’on appelle les cultures urbaines, et notamment celle du graffiti. Je pratiquais le graff et avais pris pour habitude de photographier les amis qui partageaient la même passion. Tout cela se situait dans les années 1990. Cette double casquette de graffeur/photographe m’a révélé l’un des grands pouvoirs de la photo, celui de documenter une pratique, une communauté, un art. Cela m’a aussi appris qu’une image pouvait traduire l’aspect positif d’un lieu ou d’une situation. Les photos illustrant la banlieue sont souvent négatives et perpétuent une image de délinquance et de misère. Or, elles peuvent a contrario illustrer le dynamisme culturel, la solidarité entre les habitants et toutes sortes d’autres aspects positifs.

Quel a été le poids de la culture cambodgienne durant ta jeunesse ? As-tu baigné dans une double éducation ?

Oui, j’ai eu cette chance de grandir dans un environnement multiculturel khmer et français. J’avais 9 ans lorsque mon père est décédé et cela m’a alors pendant longtemps coupé de tout rapport avec la culture khmère. Mais quelques années plus tard, ma mère m’a aidé à renouer avec cette part cambodgienne qui était en moi. Cela s’est produit grâce à l’écrit et, justement, à la photographie. Mon père avait laissé des photos de ses parents proches ainsi que deux lettres très importantes rédigées en khmer.

Ma mère a envoyé ces lettres au père Ponchaud qui nous les a traduites, ce qui m’a permis de recueillir quelques informations sur ma famille paternelle. Je venais alors d’avoir 22 ans, je travaillais chez Renault tout en poursuivant mes études universitaires en candidat libre.

Je sentais qu’il était temps de dénouer cette situation et suis donc parti au Cambodge à la quête de mes origines. C’était en 2002.

Cela n’a pas dû être une épreuve facile pour toi

Non, mais heureusement, des amis d’enfance m’ont accompagné. J’étais armé de mes lettres et des précieuses photos de famille, et les montrais un peu à tout le monde à travers tout le Cambodge dans le but que des visages soient reconnus. Cela nous ramène à ce que l’on disait à propos du pouvoir de l’image.

« En ce sens, toute ma vie au Cambodge est liée à la photo, c’est inextricable. »

La photographie correspond pour moi à une quête identitaire, pas seulement par rapport à la recherche de ma famille paternelle. Photographier le Cambodge et les Cambodgiens est devenu une nécessité pour moi. Je veux sincèrement promouvoir le Cambodge au plus grand nombre à travers la photographie.

Quel a été le résultat de tes recherches ?

Nous étions à Kep lorsqu’un Français m’a proposé son aide pour retrouver ma famille khmère. Je lui ai confié mes photos alors que mes amis et moi allions camper sur l’île du lapin. Quelques jours plus tard, il nous rejoignait avec entre ses mains une photo de ma sœur prise dans les années 80 en France.

« Impossible de se tromper là-dessus, il avait retrouvé ma famille. Encore une démonstration du rôle de la photo dans ma vie ! »

Lorsque nous avons, mes amis et moi, débarqué sur la plage de Kep, 150 personnes nous attendaient, quelques heures plus tard je rencontrais ma grand-mère pour la première fois et ils m’ont immédiatement accordé la place qui était autrefois celle de mon père. Lorsque l’on a à peine plus de 20 ans, ça fait l’effet d’une grosse claque… J’ai eu beaucoup de chance, car certaines personnes issues de la diaspora ne parviennent jamais à retrouver leur famille, ou en apprennent le décès après des années de recherches. Pour l’anecdote, j’ai appris que deux de mes oncles étaient photographes. Je les ai depuis rencontrés et tenté d’apprendre de leurs talents. Ce sont des photographes traditionnels, appelés pour les portraits ou les cérémonies.

Après avoir renoué avec ta famille, es-tu par la suite souvent revenu au Cambodge ?

Quasiment tous les ans depuis 2002, avant de m’installer à Phnom Penh en 2017, avec ma femme et mes enfants. J’ai entre-temps vécu six ans en terre amazonienne, en Guyane française, en tant que professeur des écoles. Car je ne suis pas photographe de formation, et mon métier a toujours été celui d’enseignant.

Ce n’est qu’il y a peu de temps, deux ou trois ans tout au plus, que je me suis remis sérieusement à la photo. Mon compte Instagram a été repéré par Thomas Hommeyer, qui m’a proposé d’exposer au milieu d’artistes expérimentés et reconnus comme Steve Porte et Jeff Perigois.

« J’étais sidéré : mes photos intéressaient-elles réellement d’autres personnes que moi ? »

L’expo a été un succès et tout s’est alors très vite enchaîné. J’ai pu rencontrer des personnes formidables, souvent impliquées socialement, avec une conscience forte de l’impact de leurs actes.

Cette période a coïncidé avec la pandémie de Covid. Comment as-tu traversé cette épreuve ?

De manière assez mitigée. Lorsque l’on aime documenter la rue, le fait de voir de grandes artères complètement désertes effraie et fascine tout à la fois. Il y avait cette sorte d’attirance du vide qui offrait des possibilités photographiques véritablement extraordinaires, stimulant l’imaginaire et la créativité.

Cela faisait d’un autre côté resurgir les fantômes du passé, de par les images des rues d’un Phnom Penh privé d’habitants, mais aussi par le retour d’une pauvreté extrême.

Tu t’es alors beaucoup investi pour la protection des plus vulnérables, et ce par le biais de la photographie. Peux-tu nous en dire plus à propos de l’initiative Art4Food ?

L’idée est venue d’une question toute simple : l’art peut-il nourrir des gens ? Puisque certaines personnes sont capables d’acheter un tirage, pourquoi ne pas monter une initiative qui reverserait la somme aux plus démunis ?

Une fois le principe annoncé et le soutien de Local4Local assuré, des artistes amoureux du Cambodge ont commencé à proposer gratuitement leurs œuvres, photos pour la plupart, mais aussi peintures, la somme récoltée par les ventes étant utilisée pour l’achat de nourriture. Les cyclo-pousses, très impactés par la crise, ont été embauchés pour participer à la distribution de nourriture et ont ainsi pu traverser eux aussi cette période difficile.

Grâce à Art4Food, plus de 15 000 dollars ont été récoltés, ce qui représente 7 000 repas, une fois les frais d’impression déduits.

« Cela a démontré qu’une formidable solidarité pouvait s’accomplir, tant de la part de la centaine d’artistes ayant fait don de leurs œuvres que de la part de leurs acquéreurs. C’était une énorme bouffée d’optimisme ! »

L’aventure Art4food n’aurait jamais été possible sans les aides précieuses, d’Hao Taing, Shunshuke Miyatake, Daniel Eang, Miguel Jeronimo, Ken and June Bo, Émilie Languedoc, Coco et bien d’autres. Tous ont travaillé sans relâche pour faire vivre cette parenthèse artistique.


Cet optimisme, tu l’éprouves aussi envers la jeunesse cambodgienne et le devenir du pays. Qu’est-ce qui selon toi justifie un tel espoir ?

J’ai la chance d’être entouré de jeunes photographes créatifs et talentueux et mon optimisme en l’avenir des arts au Cambodge est au beau fixe, en particulier pour ce qui est de la photographie et de la vidéographie.

Mon métier d’enseignant me permet de constater que cette jeune génération a un sens aigu de ses responsabilités, qu’elle est ouverte aux idées extérieures tout en faisant preuve d’un esprit critique. Ils me surprennent tous les jours, dans le bon sens, tout comme me surprend un peuple cambodgien aux ressources inépuisables. En plus, bien sûr, d’une multitude d’autres qualités qui, effectivement, me rendent confiant dans l’avenir du pays.

Penses-tu mettre ton expérience de pédagogue au service de la photographie ?

Oui, car jamais au cours de l’histoire la photographie n’a été aussi présente. Nous sommes tous soumis à un flux continu d'images qui défilent sans fin, le plus souvent sur l’écran d’un smartphone.

« Certaines nous marquent, d’autres sont immédiatement oubliées, mais toutes revêtent un sens ou une signification. C’est pourquoi il est très important d’éduquer les gens, et principalement les jeunes, à la culture de l’image, à son analyse. »

Je réfléchis actuellement à mettre en place des ateliers gratuits qui pourraient jouer ce rôle auprès de la jeunesse cambodgienne, c’est un travail d'intérêt public qu’il ne faut absolument pas négliger. De manière plus générale, la photo est à mon sens amenée à accomplir sa révolution, car elle va traverser une sorte d’uberisation qui en modifiera profondément tant le sens que la pratique. Et cela doit s’accompagner d’une profonde réflexion afin d’en saisir toute la portée.

À l’heure actuelle, comment concilies-tu cette passion photographique avec ta vie de tous les jours ?

Je n’ai pas vraiment le temps de faire beaucoup de photos. Le travail d’enseignant occupe la majeure partie de mon temps, et j'aime passer le plus de moments possibles avec mes enfants. La photo ne vient qu’après. J’ai découvert il y a peu toute la magie du studio, avec le contrôle total de la lumière qu’on peut y exercer. Tout, en photo, est question de lumière, et pouvoir la modeler à sa guise offre des perspectives fascinantes. L’un de mes grands plaisirs est de réaliser des portraits d’apsaras et de costumes traditionnels.

« Je ne me lasserai jamais de la poésie de ces déesses vivantes et d'être le témoin de la fierté qu’éprouve chaque modèle en revêtant ce costume. »

D'un autre côté, je continue mes travaux sur la rue, qui prend de plus en plus de place en tant que sujet à part entière. Mais la plupart des photos que je prends ne sont pas publiées, et ne le seront jamais. Ce sont les images de ma famille et de mes enfants, celles qui resteront à jamais les plus précieuses, celles que je regarderai jusqu’à la fin. Ce sont de ces images-ci dont je suis le plus fier.

Pour retrouver Raphaël Pech sur Instagram :

@cambodia_streetwise

ou


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