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Journée Internationale des Femmes 2021 : Ratana et le privilège de voir le pays évoluer

À l'occasion de la Journée Internationale des Femmes de cette année, Cambodge Mag ouvre ses archives et remet à la une quelques-uns des nombreux portraits, interviews et photos de celles qui nous ont aidé à rendre le magazine vivant et attrayant au fil des années.

Ratana Phurik-Callebaut
Ratana Phurik-Callebaut

Depuis la parution de cette interview, Ratana a quitté Eurocham pour de longues vacances et reprendre ensuite des activités au sein d'un club d'investissement, avec beaucoup de succès, s'il fallait le souligner... Le mot chance est un qualificatif récurrent dans les propos de l'ancienne directrice exécutive de la Chambre de Commerce Européenne EuroCham : La chance d’avoir échappé au génocide alors qu’elle était partie du royaume toute enfant pour des vacances en France, la chance de poursuivre une carrière dans un domaine qui la passionne, la chance d’avoir une double culture, et la chance d’avoir pu redécouvrir le pays de ses racines lors de son retour, il y a 14 ans. Derrière des yeux et un sourire plein d’Asie, se dévoile aussi une femme élégante, déterminée, ambitieuse dans le sens noble du terme, pleine de ferveur et très lucide sur son milieu professionnel. Entretien :

CM : Quelques souvenirs de votre enfance et sur votre famille ?

Je suis née à Phnom Penh, je suis partie juste avant les événements de Phnom Penh, je n’avais que deux ans, j’ai eu un peu de chance, nous étions partis pour des vacances et puis nous avons dû rester à Paris. C’est là où j’ai grandi, où j’ai fait mes études. Mon grand-père faisait partie de cette classe privilégiée, mes parents, malheureusement sont restés ici. Ils avaient des affaires, moi je suis restée là-bas avec mes grands-parents et ma famille proche m’a élevée. Je n’avais aucun souvenir du Cambodge, pour être honnête, et je n’avais aucun désir de retour, à cause de la perte de ma mère, mes grands-parents ne voulaient pas du tout que je revienne ici. En grandissant, j’apprenais ce qui se passait car mon grand-père était l’un des fondateurs du mouvement FNLPK avec des exilés comme lui. J’étais donc au courant mais cela ne m’intéressait pas du tout. Le retour au pays n’a pas été un choix, cela a été un hasard.

CM : Vous avez donc grandi comme une française ?

J’ai grandi en France, je parle et pense probablement comme une française. Mais je me suis toujours sentie quelque part un peu différente. J’étais aussi élevée dans la tradition, dans une culture cambodgienne, bouddhiste. Mon grand-père était très francophile donc je pratiquais peu la langue khmère. J’arrivais à la comprendre mais ne la parlais pas suffisamment bien.

CM : A propos de votre scolarité, de vos études, de votre vie d’étudiante ?

J’ai suivi une scolarité classique. J’ai fait une terminale scientifique, suivi ensuite une formation supérieure, en économie et commerce avant un DEA d’économie industrielle. J’ai continué en doctorat mais après cinq ans, j’ai choisi d’arrêter car l’actualité remettait en cause mes recherches. J’ai fait mes études à Paris 1 Panthéon Sorbonne. Un très bel environnement donc. La vie parisienne était pas mal, je n’ai pas ressenti d’ostracisme. Je vivais dans le quartier asiatique, dans le 13éme. J’étais plutôt heureuse.

CM : Vos premières expériences professionnelles ensuite ?

Ensuite, j’ai rencontré la personne qui est devenue mon mari. Je l’ai suivi en Suisse. Je préparais mon doctorat et il faisait son service militaire civil à l’ONU. J’ai commencé à travailler là-bas dans une banque privée. J’étais gestionnaire de fortune. C’était mon premier travail. Oui, c’était un peu stressant. C’était drôle, c’était impressionnant, c’est un autre milieu. La Suisse est aussi, quelque part, un autre monde. J’ai eu beaucoup de chance. Je n’étais pas toute jeune non plus, j’avais 26 ans, en fin de doctorat. A ce moment, j’ai quand même décidé de passer un diplôme professionnel d’expertise en analyse financière (CFA), prestigieux et très reconnu dans le milieu financier, une grande satisfaction personnelle mais encore un stress supplémentaire…

CM : A propos de votre retour au Cambodge ?

Mon mari a ensuite eu une proposition pour aller au Cambodge monter un projet pour la CNUCED (organisme ONU pour le commerce et le développement). Je n’avais alors aucune envie de revenir, mais cela a été un peu le déclic. Je me suis dit que c’était le moment ou jamais. C’était en 2003. En arrivant, miracle, je me suis senti comme à la maison. C’est comme si je revenais chez moi. Le Cambodge recommençait à s’ouvrir, des gens revenaient progressivement mais c’était tout juste le début. Je n’avais aucune crainte, je ne m’attendais en fait à rien. C’est peut-être cela qui a créé le coup de foudre. J’arrivais aussi dans des conditions vraiment privilégiées. Nous arrivions pour un projet de quatre ans. Nous aurions pu repartir si cela n’avait pas marché. J’avais quitté un travail assez prestigieux et bien payé, je n’avais plus grand-chose à me prouver. Pour moi, c’était une pause intéressante.

CM : Qu’est-ce qui vous a plu en revenant ?

Difficile de définir ce qui m’a le plus plu, je crois que c’était simplement l’ambiance, aussi parce qu’il y avait tout à faire. Les exilés, traumatisés, avaient l’habitude de dépeindre le Cambodge comme un paradis qui était devenu un enfer. Lorsqu’on arrive, effectivement, on sent que tout est à faire, mais il y a tout de même encore cette espèce de douceur de vivre, cette gentillesse des gens. Je suis arrivée avec mon premier enfant qui avait alors trois mois. J’étais là avec mon diplôme d’analyste financier et mon doctorat, évidemment, j’avais envie de faire quelque chose mais ce n’était pas facile. A l’époque il n’y avait pas encore de grande banque, on allait chercher du cash à la banque comme ça quoi…donc je ne cherchais pas vraiment grand-chose, j’ai donc profité de mon fils pendant un an.

CM : Vous avez ensuite intégré la Chambre de Commerce et d’Industrie Franco-Cambodgienne

Puis il y a eu une opportunité, la directrice de la chambre de commerce française, Eléonore Richardson, a rencontré mon mari, lui a fait part de son départ, et lui a demandé si le poste pouvait m’intéresser. C’est comme cela que je me suis retrouvée à la Chambre de Commerce et d’Industrie Franco-Cambodgienne. Directrice d’abord à mi-temps puis à plein temps. C’était intéressant car, dans ce milieu des expatriés, tout le monde avait une histoire. Je ne rencontrais pas de gens ordinaires. Ils avaient tous avec eux l’histoire qui les avait tout simplement amenés au Cambodge, c’était des aventuriers, avec des méthodes parfois un peu surprenantes par rapport à ce que j’avais rencontré au préalable. Ce furent des rencontres très riches. Je suis restée aujourd’hui encore assez proche de quelques-uns de ces gens qui à l’époque étaient des pionniers, à leur façon.

CM : Quels étaient les challenges ?

L’un des premiers challenges à la chambre de commerce était que le Cambodge n’existait à l’époque pour personne. Il fallait remettre le pays sur une carte. Par contre, nous faisions partie du réseau de l’union des chambres de commerce françaises à l’étranger. Cela nous a beaucoup aidés. Nous avons reçu une certaine attention, des conseils, de l’aide, et un peu de financement. Cela a été utile, salvateur même. Nous n’étions que deux, j’étais seule avec Virath qui est toujours avec nous aujourd’hui. Nous avions quelques stagiaires très motivés, souvent venant de famille de khmers de France. Nous avions aussi la chance d’avoir le soutien de Jean-Daniel Gardère qui avait une forte motivation. Ce furent trois très belles années.

CM : Après avoir quitté la chambre de commerce, quelle nouvelle étape ?

Après cela, j’étais un peu fatiguée car c’est très prenant. J’avais envie de faire autre chose, peut-être de revenir un peu à la finance, le Cambodge se sophistiquait un peu, on m’a offert de devenir partenaire dans un ‘’private equity fund’’, grâce à mon diplôme de CFA. J’y suis restée un an. C’était passionnant. Par contre, le pays n’était pas encore prêt pour une structure de ce genre. Le fonds d’investissement était calqué sur les fonds américains, et les entreprises ici commençaient à peine à tenir des comptabilités. C’était compliqué, et puis il y a eu la crise financière. Nos principaux partenaires se sont retirés. J’ai eu de la chance car j’ai eu la meilleure partie qui était la mise en place. Nous voulions lever cent millions de dollars, avec des projets minimum de cinq millions, le pays n’était juste pas encore prêt.

CM : Ensuite, après cette expérience ?

Après cela, j’ai fait une pause pour avoir mon deuxième enfant. Je suis ensuite rentrée chez DFDL comme consultante au niveau régional. Je suis restée cinq ans. Ce furent aussi de très belles années. J’aimais le milieu des investisseurs, des entrepreneurs, la stratégie. Après DFDL, on m’a sollicitée pour prendre la direction d’EuroCham. Je pense que c’est parce que j’avais gardé de très bonnes relations avec les membres de la chambre française. Ils connaissaient mon intérêt pour ce type d’activité professionnelle.

CM : Pas de difficultés à travailler dans des milieux très masculins ?

Ce n’est pas difficile de travailler avec des hommes. J’avais l’expérience du milieu bancaire, c’est un milieu très masculin. Il faut juste ne pas s’offusquer de quelques blagues un peu déplacées parfois, ce n’est pas un gros problème. Les gens ici sont ouverts, cela compense une certaine liberté de langage. Surtout dans le milieu français, les gens sont assez directs, assez honnêtes dans leur approche.

CM : A propos de vos rapports professionnels avec les Cambodgiens ?

Mes premiers contacts avec les cambodgiens furent un peu compliqués, mais ça va…je me sens très cambodgienne dans un sens, mais aussi très française, dans ma mentalité, dans ma façon de m’exprimer, et de voir les choses. J’ai eu la chance de ne pas trop me poser de questions sur mon identité. J’ai aussi rencontré beaucoup de gens comme moi. J’étais pendant un temps assez impliquée dans l’association Anvaya, j’étais vice-présidente de l’association des khmers de l’étranger. J’ai participé au développement de l’association à ses débuts. C’était quelque part comme une famille. Rencontrer autant de gens avec cette double culture comme moi, très attachée aux deux, avec un attachement au pays assez viscéral, cela m’a renforcée dans cette double identité, de façon positive, sans exclure l’une ou l’autre.

CM : Comment se passe votre embauche chez EuroCham ?

J’étais hésitante pour joindre EuroCham, car je savais qu’il y aurait beaucoup de travail, cela demande beaucoup d’implication. Le milieu des chambres de commerce est assez particulier. D’un côté, il y a des membres, qui sont demandeurs, extrêmement dynamiques, qui sont en fait le cœur de la chambre de commerce et, de l’autre côté, il y a une équipe salariée. La perception des deux côtés est parfois un peu compliquée. Il y a beaucoup de parties prenantes. Avec l’Europe, c’est encore plus compliqué. Je me suis dit que cela pourrait être éprouvant, mais c’était un beau challenge. Il y a avait un financement européen, je n’en avais pas à la Chambre de commerce française. Finalement je me suis laissé convaincre, et je pense avoir pris la bonne décision.

CM : Parlez-nous un peu de votre arrivée à EuroCham

La première chose en arrivant à EuroCham a été de recruter. Il y avait tout à faire. Au début nous avions beaucoup de stagiaires et très peu de permanents. Aujourd’hui nous sommes une quinzaine de permanents, parfois un peu plus avec les stagiaires. L’idée d’EuroCham venait de Dominique Catry, qui était président de la CCI à l’époque. Il a fondé EuroCham, il en est devenu président, avant même qu’il y ait ce financement.

EuroCham est une chambre de commerce européenne avec des chapitres nationaux, créée par la chambre de commerce française, BritCham et la chambre allemande. Maintenant nous avons NordCham, et le chapitre italien. C’est une belle diversité, la Chambre de commerce française représente toutefois encore 50% de nos membres. Nous avons la chance d’avoir ce programme de soutien aux PME européennes. Notre vocation est d’améliorer la balance commerciale entre l’Union Européenne et le Cambodge, l’UE est le premier marché à l’export, mais en termes d’investissement, elle ne représente encore que 4 à 5%, c’est encore trop peu.

Nous sommes là aussi pour fournir une aide à l’implantation. Pour une entreprise qui se présente, petite ou grande, nous allons fournir des conseils et des services. Nous proposons toute une série de prestations. Nous avons une équipe de professionnels, de très bons analystes, avec une base de données conséquentes grâce à nos connections. Nous avons aussi un business center pour ceux qui viennent en prospection et ne souhaitent pas s’installer dans l’immédiat.

CM : Quels sont les challenges ?

Le gros challenge est d’attirer des grandes entreprises. Nous aimerions avoir des investissements de la même taille que ceux des japonais. Nous avons quelques gros investissements avec Vinci ou Total, mais il y besoin d’une plus grande diversification. Le Cambodge est un pays adapté à l’entreprenariat. C’est un pays très ouvert, c’est très facile de monter une société, c’est assez facile au niveau des permis de travail.

CM : Parlez-nous du Livre Blanc…

C’est un projet phare qui s’inscrit dans notre politique de dialogue constructif avec le gouvernement. Le Livre blanc est un ensemble de recommandations faites à partir des requêtes du secteur privé. Nous avons dans notre équipe de fins spécialistes du Cambodge, qui ont fait un travail remarquable. Nous sommes là pour engager le dialogue, créer une plate-forme de discussion riche entre le secteur privé et le gouvernement. Cela existait déjà avec les forums entre gouvernement et secteur privé, mais cela était peut-être moins accessible.

Nous avons travaillé dur pour adapter notre approche, pour ne pas être pris pour des donneurs de leçons. Nous avons eu de la chance d’être bien perçus. Nous avons parmi le conseil d’administration des gens qui sont là pour rester, donc, avec une vision à long terme. Ils voient le potentiel, savent que ce n’est pas facile. Nous ne faisons pas de lobbying, nous défendons les intérêts d’un secteur, le gouvernement s’est montré très ouvert et beaucoup de ministères nous ont accueillis très favorablement. Le premier Livre Blanc l’année dernière a été bien perçu et il y a eu un retour très positif, c’est une grande fierté.

CM : Comment se passe la journée de la directrice d’EuroCham ?

Une journée chez EuroCham est une journée très longue, mais c’est passionnant. Il y a beaucoup d’aspects différents dans ma mission : la promotion active du Cambodge à l’étranger, c’est aussi un business club qu’il faut animer. Nous avons choisi de faire beaucoup événements, cela prend du temps. Il reste beaucoup de choses à mettre en place, on ne s’ennuie jamais.

CM : Vos ambitions ?

La principale est de contribuer à changer la perception du Cambodge depuis l’étranger. Le pays a beaucoup changé, il y a eu des progrès mais il n’y a pas encore suffisamment de visibilité sur ce point-là. Cela me plait de pouvoir poser ma pierre, de participer au développement, de voir le pays évoluer reste un grand privilège.

CM : En dehors du travail ?

J’élève mes enfants, et cela prend aussi beaucoup de temps, mais le fait de pouvoir les élever ici est un privilège. Autrement, je fais un peu de sport, j’adore la littérature, quand j’étais plus jeune, j’écrivais, j’ai même passé le concours général de français. Quant à la France, elle ne me manque pas, mes amis me manquent mais j’adore la vie que j’ai ici.

Propos recueillis par Christophe Gargiulo

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