Cambodge & Diplomatie : Au-revoir au diplomate Jacques Pellet, du premier amour à la dernière affectation
- La Rédaction

- 14 juil.
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Le diplomate Jacques Pellet, Ambassadeur de France au Cambodge depuis 2021, vivra son dernier 14 juillet officiel ce lundi lors de la célébration de la Fête nationale. Son départ marque non seulement la fin d'un parcours personnel, mais aussi la clôture d'un chapitre des relations complexes et souvent passionnées entre la France et le Cambodge.

Du premier amour à la dernière affectation
Le lien qui unit Jacques Pellet au Cambodge est plus que professionnel, il est profondément personnel. Selon ses propres termes, le Cambodge était à la fois sa « première et dernière affectation », une symétrie rare dans la vie itinérante d'un diplomate.
Sa carrière a débuté au milieu des années 1990 au Quai d'Orsay, où il a travaillé au bureau du Cambodge pendant la période d'espoir qui a suivi les accords de paix de Paris. Ces années ont été marquées par la volonté de reconstruction, et Jacques Pellet, alors jeune diplomate, a été emporté par l'optimisme et l'urgence du rapprochement franco-cambodgien.
Ses premières missions à Phnom Penh lui ont laissé une impression durable. « Un diplomate n'oublie jamais son premier amour », a-t-il un jour confié dans une interview, se remémorant la fierté qu'il avait ressentie en accompagnant le roi Sihanouk lors d'une visite d'État à Paris en 1996.
Le diplomate érudit : un sinologue dans le Mékong
La curiosité intellectuelle et la passion de M. Pellet pour l'Asie se sont forgées dans les amphithéâtres de l'Institut d'études politiques de Grenoble, puis dans les salles de classe de Genève et de Pékin, où il s'est plongé dans la langue et la culture chinoises. Cette rigueur académique et cette expertise régionale allaient devenir les marques distinctives de son style diplomatique : réfléchi, analytique et toujours attentif aux nuances de l'histoire et de la culture locales.
Avant sa nomination à Phnom Penh, Jacques Pellet a été envoyé personnel du président du Comité international de la Croix-Rouge pour la Chine et chef de la délégation régionale du CICR pour l'Asie de l'Est. Des fonctions qui lui ont permis d'approfondir sa compréhension des complexités et difficultés humanitaires de la région.
Arrivée à Phnom Penh : un mandat pour le renouveau
Lorsque Jacques Pellet est arrivé au Cambodge fin 2021, le monde était encore sous le choc de la pandémie et le Cambodge cherchait sa voie entre reprise, transition politique et incertitude économique. La mission de M. Pellet était claire : renouveler et approfondir le partenariat franco-cambodgien, en honorant le poids de l'histoire tout en traçant la voie pour l'avenir.
Il succédait à Eva Nguyen Binh, une diplomate d'exception et une force dynamique dans les relations franco-cambodgiennes, et s'est rapidement attelé à jeter des passerelles, non seulement entre les deux gouvernements, mais aussi entre les entreprises, la sociétés civile et la culture.
La communauté française : la stabilité dans le changement
L'une des premières priorités de M. Pellet a été la communauté française au Cambodge, un groupe diversifié et dynamique qui compte entre 5 et 7 000 personnes, y compris les résidents enregistrés et non enregistrés. Sous sa direction, l'ambassade est devenue un centre de soutien consulaire, d'échanges culturels et de dialogue, en particulier pendant la période d'incertitude liée à la crise du COVID-19.
L'approche de M. Pellet se voulait pragmatique mais empathique. Il était conscient des défis particuliers auxquels sont confrontés les expatriés, les entrepreneurs et les ONG, et a travaillé sans relâche pour faire entendre leur voix à Phnom Penh.

Relations bilatérales
Les années Pellet resteront dans les mémoires comme une nouvelle mais discrète dynamisation des relations franco-cambodgiennes. Si les journaux ont surtout mis l'accent sur les visites officielles et les accords commerciaux, la véritable histoire s'est déroulée dans le cadre d'une expansion constante de la coopération dans des secteurs clés :
Sécurité et défense nationale : la France et le Cambodge ont approfondi leur collaboration en matière de sécurité, notamment par des programmes de formation et des initiatives conjointes de lutte contre les menaces transnationales.
Énergie et infrastructures : l'expertise française a joué un rôle essentiel dans la promotion du développement durable au Cambodge, qu'il s'agisse de projets d'accès à l'eau potable ou de partenariats dans le domaine des énergies renouvelables.
Culture et éducation : l'Institut français et d'autres institutions culturelles ont prospéré, promouvant la langue française, les arts et les échanges universitaires. M. Pellet a constamment défendu la cause de la francophonie, qu'il considère comme un vecteur essentiel pour l'avenir.
Santé publique : Dans le contexte de la pandémie, la France a apporté un soutien vital au secteur de la santé cambodgien, notamment sous forme de dons de vaccins, de subventions aux associations... et d'assistance technique.
La vision de M. Pellet était d'aller « au-delà des relations historiques » et de rechercher de nouvelles voies de coopération fondées sur le respect mutuel et des aspirations communes.
L'importance du Français
Jacques Pellet a constamment exprimé une vision très positive et engagée sur la langue française et la francophonie. Il soulignait à plusieurs reprises que la francophonie se portait bien avec 320 millions de francophones dans le monde, faisant du français la cinquième langue la plus parlée et la deuxième langue étrangère la plus apprise.
Pour M. Pellet, le français est un vecteur essentiel de la relation franco-cambodgienne, enracinée dans l'histoire, notamment grâce au rôle fondateur du roi Norodom Sihanouk dans l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).
Il a, durant son séjour, constamment insisté sur l'importance de continuer à promouvoir l'enseignement du français au Cambodge, notamment auprès des jeunes générations, soulignant que le français était à la fois une langue mémorielle (accès aux archives historiques) et une langue d'avenir ouvrant des opportunités de carrière, comme en témoigne la forte présence de francophones au sein du gouvernement cambodgien actuel.
L’ambassadeur a, à maintes reprises, évoqué aussi le projet du Cambodge d’accueillir le 20e Sommet de la Francophonie en 2026, un événement majeur qui renforcera la visibilité du pays dans la sphère francophone et asiatique. Il mettait en avant le français comme langue de la diversité culturelle, de la coopération, de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme, valeurs que la francophonie défend dans un monde souvent marqué par les conflits.
Enfin, Jacques Pellet soulignait le rôle du français dans divers domaines de coopération franco-cambodgienne, notamment dans le patrimoine, l’enseignement supérieur, le développement durable, la défense, et la participation des Casques bleus cambodgiens francophones dans des missions internationales, insistant sur le soutien continu de la France à la francophonie éducative au Cambodge, par exemple via des fonds dédiés permettant à des enseignants de se former en France.
« Je rappelle que le français est un formidable vecteur pour le débat intellectuel et la recherche scientifique, mais aussi pour la création d’emplois. Et je crois que c’est un sujet qui intéresse beaucoup le Cambodge. »,disait-il en 2024 lors de la célébration de la Journée Internationale de la Francophonie, ajoutant :
« Nous avons aussi multiplié notre soutien à la francophonie éducative au Cambodge, notamment par le biais d’un fonds dédié qui a permis à beaucoup d’enseignants de bénéficier de stages en France. Je crois aussi qu’il est important de promouvoir l’enseignement du français pour les jeunes générations… Le français est en fait une langue mémorielle. Celui qui s’intéresse à l’histoire de ce pays, doit à un moment donné passer par la langue française, parce que beaucoup de ses archives sont en français, que ce soit pour le patrimoine, mais pour beaucoup d’autres choses.»
« C’est une langue mémorielle importante, mais c’est bien sûr aussi une langue d’avenir pour la jeunesse, car je crois que parler français doit permettre aussi l’accès à des carrières.»
Les droits de l'homme
Ce fut une récurrence dans ses discours, Jacques Pellet considère les droits de l'homme comme un élément universel et fondamental de la diplomatie contemporaine. Selon lui, l'établissement de normes internationales en matière de droits de l'homme sert l'objectif essentiel de protéger les individus dans le monde entier, reflétant ainsi l'engagement à défendre ces principes par la voie diplomatique.
L'approche diplomatique de M. Pellet reconnaît que le travail en faveur des droits de l'homme est complexe et intersectoriel, et qu'il nécessite une attention et une coopération soutenues dans divers domaines, notamment la santé, le développement et le maintien de la paix.
Dans ses déclarations publiques, M. Pellet a condamné les violations des droits de l'homme et du droit international, telles que l'agression militaire de la Russie en Ukraine, qu'il a qualifiée de crime de guerre et de crime contre l'humanité. Pour le diplomate, les droits de l'homme sont indissociables de la paix et de la sécurité, et la diplomatie doit lutter fermement contre les violations tout en soutenant la légitime défense en vertu de la Charte des Nations unies.
Le point de vue de M. Pellet s'inscrit dans une vision plus large selon laquelle la diplomatie des droits de l'homme opère aujourd'hui dans un contexte international polarisé, où des paradigmes concurrents, tels que la démocratie et le développement, remettent en question le consensus. Malgré cela, il considère la diplomatie comme un outil essentiel pour forger des alliances, établir un consensus et mobiliser les institutions multilatérales afin de promouvoir le respect des normes relatives aux droits de l'homme.
« Si la diplomatie doit composer avec la realpolitik et les intérêts nationaux, elle reste essentielle pour faire progresser les droits de l'homme par la négociation, la défense des droits et la coopération.»
Jacques Pellet considère donc les droits de l'homme comme un pilier essentiel de la diplomatie moderne, indispensable à la paix et à la sécurité, qui nécessite un engagement diplomatique fondé sur des principes mais pragmatique.
Le point de vue cambodgien
Le départ de M. Pellet n'est pas passé inaperçu auprès des officiels cambodgiens. Lors de ses visites d'adieu, le Premier ministre Hun Manet et le président du Sénat Hun Sen ont exprimé leur profonde gratitude pour ses « efforts dévoués en faveur du renforcement et de l'élargissement des relations et de la coopération entre le Cambodge et la France ». Ils ont salué son engagement en faveur du dialogue, sa compréhension des réalités cambodgiennes et sa capacité à naviguer entre l'équilibre délicat de l'histoire et du progrès.

Hun Manet a notamment souligné le rôle joué par M. Pellet dans la facilitation de la participation du Cambodge à la troisième Conférence des Nations unies sur les océans à Nice, en France, symbole de l'engagement commun des deux pays en faveur des questions environnementales mondiales.
La société civile et la voie à suivre
Le mandat de M. Pellet n'a pas été sans difficultés. Il a parlé avec franchise des difficultés rencontrées par la société civile cambodgienne, de l'importance d'un dialogue constructif et de la nécessité de rester vigilant dans la défense des droits de l'homme et des valeurs démocratiques.
Conscient que la diplomatie consiste autant à écouter qu'à parler, il a exhorté les deux parties à « ne jamais tenir leurs relations pour acquises ».
Il a également réfléchi à la nature évolutive de la présence française au Cambodge. Ne se définissant plus uniquement par des liens historiques, cette relation englobe désormais un mélange dynamique d'échanges commerciaux, culturels, éducatifs et humains, même s'il avançait fréquemment que plus d'entreprises françaises devraient investir au Cambodge en raison de sa position stratégique au sein de l'ASEAN.
« Le Cambodge restera toujours dans mon cœur »
Jacques Pellet a exprimé sa sincère gratitude au peuple et au gouvernement cambodgiens pour leur soutien et leur amitié.
« Le Cambodge restera toujours dans mon cœur », a-t-il déclaré, soulignant que le Royaume l'avait marqué en tant que diplomate et en tant qu'être humain.
Il laisse derrière lui un héritage fait de diplomatie discrète, de rigueur intellectuelle et d'affection sincère pour le pays. Pour beaucoup à Phnom Penh, son départ rappelle la nature éphémère des missions diplomatiques, mais aussi les liens durables qui peuvent se construire.
L'héritage : construire l'avenir
Alors que le Cambodge et la France se tournent vers l'avenir, l'héritage de M. Pellet offre une feuille de route fondée sur le respect, le dialogue et un engagement commun en faveur du progrès. Les défis à relever sont réels : tensions géopolitiques, incertitudes économiques et besoin permanent de réconciliation avec le passé. Mais les bases posées pendant le mandat de M. Pellet sont solides et il est à souhaiter que l'esprit de coopération qu'il a cultivé perdurera.
Le pouvoir discret de la diplomatie
Dans le grand schéma des affaires internationales, le départ d'un ambassadeur peut sembler un événement mineur. Mais dans les couloirs discrets des ambassades et les rues animées de Phnom Penh, ces moments ont leur importance. Ils nous rappellent que la diplomatie ne se résume pas à des traités et à des protocoles, mais qu'elle concerne avant tout les personnes, le travail patient et persévérant qui consiste à instaurer la confiance, la compréhension et l'espoir.
Jacques Pellet quitte le Cambodge avec la satisfaction tranquille du devoir accompli et la certitude d'avoir contribué, à sa manière, à écrire un nouveau chapitre de l'histoire de deux nations liées à jamais par l'histoire, la mémoire et la promesse d'un avenir commun.







Et au niveau économique bilatéral ?