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Livre & Histoire : Du Panka au Ventilateur…anecdotes et souvenirs d’un colonial

Tout cela, c’est la saison des pluies, la joie, la gaieté, l’or qui tombe dans les rizières, la pèche inattendue, l’hydrothérapie gratuite à portée de main, le chant des grenouilles et des crapauds buffles, le soir, et le tac-tac des margouillats qui s’appellent sur les plafonds...

« Les premiers orages se font attendre des semaines, l’atmosphère est saturée d’électricité, le ciel pèse aux épaules comme une chape de plomb ! On se débat dans une étuve avec une impression d’angoisse et d’étouffement ! Le moindre geste devient une pénible fatigue, le moindre effort est une souffrance et vous laisse sans forces, flasques et mous comme ces vieilles poupées d’étoffe dont le son s’en enfuit par une déchirure ! Mais quel délice lorsque le ciel s’entrouvre et déverse ses cataractes ! quel inoubliable spectacle que ces orages tropicaux aux invraisemblables éclairs, aux déflagrations immenses, comme si dans une guerre de planètes les mondes se battaient à grands coups de volcans !

« — Cela vous amuse, ces trombes d’eau, ces inondations qui, en 10 minutes, transforment une voile en un lac ? vous trouverez délicieux, après l’orage, cet épais brouillard qui s’élève de partout, cette évaporation intense qui vous plonge dans de véritables nuages aux senteurs de terre pourrie ?…

— Mon Dieu oui, j’aime ces odeurs fortes qui sont comme l’âme sauvage des forêts ; j’aime les pluies diluviennes et lorsque, en quelques minutes la terre s’est gavée goulûment de ces tonnes d’eau, lorsque le soleil a aspiré la brume, j’aime ces verdures toutes luisantes et comme remises à neuf, repeintes et vernies par un entrepreneur de génie !

— Et vous aimez sans doute ces invasions d’insectes qu’amènent les orages, ces nuées d’éphémères qui sortent des vieux troncs et viennent tournoyer auprès de vos lampes, pour se noyer dans votre verre ou votre potage ?

— Non pas, mais j’admire alors l’adresse de nos margouillats gris qui tout au long des murs ou courant au plafond par on ne sait quel miracle d’équilibre, se livrent dans les ronds de lumière à des chasses passionnantes. Je suis avec le plus grand intérêt leurs travaux d’approche, leur marche rampante, souple, silencieuse, leur beau regard brillant qui semble hypnotiser l’insecte souvent plus gros que le chasseur. Je prends un réel plaisir à guetter le moment où, d’une brusque détente, le petit lézard familier saisit sa proie, et l’espace de quelques secondes se bat avec elle de tout l’ardeur de ses muscles crispés.

— Vous admirez ces sales bêtes quoi parfois tombent du plafond avec un floc sur le plancher ou sur la table et se sauvent à toute allure ?

— Je les admire, certes, et je les aime. Dans la solitude du soir, je trouve très gais leurs appels et leurs réponses, qui semblent des claquements de langue..tac..tac..tac.. J’en ai même apprivoisé quelques-uns de ces jolis lézards, non sans peine il est vrai, jusqu’à leur faire prendre dans la main des miettes de biscuits. » [..]

– Vous allez me dire que vous aimez aussi les crapauds, les serpents et les scorpions ?

– Je vous abandonne les deux derniers [..] Mais je demande grâce pour le crapaud. Il n’est pas beau, certes ; mais le soir, lorsque, étendu sur une chaise longue, sous une véranda, je vois quelques crapauds, je vois quelques crapauds sauter les marches du jardin pour venir dans la lumière, je me garderais bien de les chasser, et je les laisse, en vieux camarade, sautiller lourdement et me regarder de leurs yeux ronds et un peu bêtes, en faisant éternellement manœuvrer la peau de leur cou. Et parmi les crapauds, j’aime le crapaud-buffle, ce minuscule batracien qui meugle si puissamment. Le crapaud-buffle et les grenouilles sont pour moi indissociablement associés aux soirées de la saison des pluies. Leurs meuglements en plusieurs tons, qui se répondent de fossé à fossé, coupés par le glapissement clair des grenouilles est la chanson même de l’époque pluvieuse. Cela forme des chœurs dans la nuit, chœurs un peu monotones peut être, mais qui bercent et qui endorment, et qui s’associent aux souffles frais qui vous caressent après l’averse.

– Vous n’êtes qu’un poète !

– Que non pas, mais je suis en somme un enfant du pays. Vers 6 ou 7 ans, il m’est arrivé, ainsi que le font les enfants, de pousser des cris de joie, des hurlements de sauvage dès le 1er orage et comme mes camarades jaunes au crâne rasé et au ventre en pointe, de me mettre tout nu dans le jardin et de danser sous les chaudes ondées de véritables danses du scalp, quitte à récolter une sérieuse remontrance ou un bon accès de fièvre. […]

Il faut la saison des pluies pour prendre sur le vif certaines scènes inattendues. En pleine ville, après un orage ayant éclaté à marée haute, j’ai vu, sur un boulevard transformé en lac, des jeunes s’acharner à la poursuite d’énormes poissons, des ça lap, remontés miraculeusement sur la route par la voie des égouts inondés. Ce n’était plus une pêche, mais une chasse à courre dans de grands cris et de grands rires..

D’autres gamins, un autre jour, prenaient leurs ébats sous la pluie diluvienne. Au ras de la rue, la gouttière d’une maison avait éclaté sous la pression de l’eau, créant comme une source jaillissante. Une gamine de 10 ans, accroupie, son jeune corps bronzé tout luisant de pluie, se lavait le derrière sans vergogne et riait de toutes ses dents, heureuse d’avoir découvert le principe de la douche ascendante !

Tout cela, c’est la saison des pluies, la joie, la gaieté, l’or qui tombe dans les rizières, la pèche inattendue, l’hydrothérapie gratuite à portée de main, le chant des grenouilles et des crapauds buffles, le soir, et le tac-tac des margouillats qui s’appellent sur les plafonds.


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