Depuis six ans, Lionel Maitrepierre a fait de la chasse aux insectes son cheval de bataille.
À la tête de son entreprise de désinsectisation, cet ancien Aixois revient sur son parcours et résume les défis et les enjeux auxquels il est confronté.
CM : Avant toute chose, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
J’ai un profil assez atypique, comme beaucoup de gens ici, je crois. Je suis à la base banquier, mais après 10 ans et une crise financière, même si la vie était confortable matériellement parlant, j’ai préféré m’échapper vers l’Orient pour réaliser des choses plus concrètes.
Après un court passage par Singapour, je suis arrivé au Cambodge en 2012 où habitaient déjà mes parents et mes frères. J’ai commencé par créer Sombai, une liqueur artisanale vendue dans des bouteilles peintes à la main et visant essentiellement la clientèle touristique.
CM : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous tourner vers le secteur de la désinsectisation ?
Essentiellement par le hasard de rencontres et une fibre écologique déjà présente. Alors que je pestais contre les fumigations qui nous intoxiquent en ville, j’ai par hasard rencontré un expert en traitement de nuisibles qui souhaitait se lancer au Cambodge. Il avait une solution pour un traitement antimoustique qui ne dégageait pas cette fumée toxique. Grâce à Sombai, j’avais déjà un bon carnet d’adresses dans le secteur hôtelier de Siem Reap, ce qui nous a permis de vite déployer nos ailes.
CM : Et vous avez donc fondé Pestlab. En quelle année était-ce, et comment les choses se sont-elles passées au début ?
Cela a donc commencé en avril 2016 avec quelques boutiques-hôtels réputées. Puis, rapidement, nous avons pu proposer nos services à des hôtels plus importants. Au début, la principale difficulté a été d’obtenir des produits de qualité à un prix de transport raisonnable afin de pouvoir appliquer les standards que nous nous étions fixés. Après plusieurs changements concernant la partie technique, j’ai trouvé en la personne de Max le parfait associé, avec lequel nous sommes en accord tant avec l’objectif principal (devenir les meilleurs du Cambodge) qu’avec la direction à suivre pour y parvenir.
Même s’il y a, et s’il y a toujours, des points à améliorer, je pense honnêtement que l’on est pris au sérieux par nos concurrents et homologues avec lesquels nous échangeons fréquemment. Certains nous dépassent de beaucoup en termes d’envergure, de volume de clientèle et d’employés, mais nous nous maintenons dans le haut du classement en ce qui concerne la technique pure. Nous sommes d’ailleurs les seuls à avoir pu obtenir un prix de Responsabilité Sociale de l’Entreprise, qui est venu couronner nos efforts en faveur de l’environnement.
CM : Comment votre entreprise s’est-elle développée depuis sa création ? Votre clientèle ou vos objectifs ont-ils évolué avec le temps ?
Notre activité était au tout début essentiellement concentrée sur Siem Reap, donc sur les hôtels et le secteur touristique en général. L’idée était d’apporter des standards occidentaux, tant en termes de sécurité que d’approches respectueuses de l’environnement, aux établissements haut de gamme de Siem Reap qui en avaient manifestement un grand besoin. Nous avons ensuite commencé à nous étendre vers les provinces voisines.
Cette première expérience en dehors de Siem Reap nous a aussi permis de nous étendre au sud du pays, en nous tournant vers des hôtels cinq étoiles ayant une sensibilité écologique certaine.
Cela nous a encouragés à ouvrir une antenne à Phnom Penh en début d’année 2020, ce qui a été la meilleure décision que nous ayons prise. C’est le développement remarquable de cette antenne phnompenhoise, notamment auprès d’une clientèle cambodgienne haut de gamme, qui nous a permis de nous maintenir pendant toute l’année. Phnom Penh représente aujourd’hui plus d'activités que les antennes de Siem Reap et Kampot réunies, avec majoritairement une clientèle privée constituée tant d’expatriés que de Cambodgiens.
CM : Quelles sont au Cambodge les problématiques liées aux insectes ?
Le Cambodge est un paradis pour les insectes et en compte de très nombreuses espèces. Pour les seuls moustiques, l’Institut Pasteur a recensé 290 espèces , et ce nombre est toujours croissant.
Parmi ceux-ci 43 sont des vecteurs de pathogènes. Nos pièges à moustiques sont optimisés pour marcher à merveille sur les deux principales familles que l’on retrouve en ville, à savoir les Aedes (moustiques tigres) et les Culex.
Mais il faut toujours garder à l’œil les autres espèces qui peuvent être spécifiques à certains endroits particuliers, comme à proximité des marécages ou des zones de végétation dense. Il faut alors être capable d’adapter nos procédés et nos techniques afin d’y faire face.
Un grand nombre de professionnels, y compris les entomologistes de Biogents avec lesquels nous travaillons, se montrent surpris par la quantité de moustiques que nous pouvons attraper ici, notamment en saison sèche. Alors même qu’ils ont de leurs pièges installés dans le monde entier, y compris en zones tropicales des États-Unis ou en Afrique…
Notre tâche est compliquée, car certains insectes sont effectivement nuisibles, quand d’autres doivent être sauvegardés, car essentiels à l’écosystème. Nous avons donc développé des approches bien ciblées et continuons à travailler sur ces questions tant en veille produit qu’en recherche et développement interne.
C’est ainsi que nous produisons nos propres gels contre les cafards et les fourmis, où l’on peut donc à volonté varier l’appétence et la matière active pour éviter les accoutumances et garder ainsi une efficacité à long terme.
CM : Quelles méthodes de lutte mettez-vous en action contre les insectes nuisibles ? Ces solutions passent par l’utilisation de quels types de produits ?
Nous essayons de limiter au maximum l’usage d'insecticides et de produits chimiques. L’insecticide chimique doit être utilisé uniquement en dernier recours. On va donc privilégier les pièges à CO2 contre les moustiques, tout comme l’utilisation d’insecticides naturels ou encore la terre de diatomée.
Nous avons récemment développé une technique de destruction des termitières en utilisant le CO2 d’une autre manière. Cela permet de répondre aux normes strictes de protection de l’environnement telles que l’Eco-Cert.
Nous travaillons actuellement sur les huiles essentielles, ainsi que sur des appâts pour rongeurs qui limitent les risques d’intoxication d’autres espèces, notamment des oiseaux. Nous les utilisons déjà systématiquement dans les parcs naturels et dans les poulaillers, car les oiseaux sont très sensibles aux rodenticides chimiques classiques.
CM : Avez-vous été confrontés à des situations parfois insolites ou inattendues ?
Il y a bien eu certaines rencontres insolites, comme celle avec un serpent recroquevillé dans une de nos boîtes d’appâts à Poipet. Ce qui a donné quelques sueurs froides à San. C’est assez effrayant, surtout quand on ne s’y attend pas…ou bien quand Max, qui cherchait de potentiels sites de reproduction de moustiques, est tombé sur un crocodile dans une grande jarre. Pas de doute, nous sommes bien au « Royaume des Merveilles ».
CM : La désinsectisation est un domaine assez méconnu du grand public. Est-ce un secteur dynamique en termes d’innovations technologiques et de solutions mises en œuvre ?
Il s’agit en effet d’un secteur potentiellement très dynamique, mais nous sommes loin du dynamisme auquel on pourrait s’attendre. Nous dépendons encore trop de l’arrivée sur le marché de produits importés, alors qu’il faudrait pouvoir directement développer des produits au Cambodge, qui soient plus simples à se procurer et qui seraient parfaitement adaptés aux conditions locales.
CM : Avez-vous des conseils à donner, des solutions simples à mettre en place afin d’éviter la prolifération des insectes ? Comment réagir face à, par exemple, un nid de frelons, une colonie de fourmis ou la présence de cafards ?
Le premier conseil, surtout en période de dengue, est de surveiller les récipients d’eau stagnante, particulièrement ceux situés à l’ombre. Il faut absolument tous les vider après chaque pluie. Le second conseil serait qu’il ne faut jamais trop tarder avant d’intervenir. Le plus tôt un problème est pris en charge, le mieux et le moins cher cela sera pour le régler. Les conditions climatiques, la chaleur, l’humidité favorisent une prolifération rapide des nuisibles.
CM : Comment envisagez-vous l’avenir de Pestlab au cours des prochaines années ?
Au cours des mois et années qui viennent, nous pensons nous concentrer de plus en plus sur le développement de produits en interne afin de pouvoir apporter des solutions à la fois plus sûres pour l’environnement et moins onéreuses. D’autant plus qu’avec l’inflation en cours sur l’ensemble des produits, certaines solutions importées vont rapidement devenir inabordables. Nous allons donc continuer de travailler sur le maintien, voire l'amélioration de la qualité des traitements et des produits utilisés, et le reste suivra. Tout naturellement.
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