Les Apsara Grannies de Phnom Penh : Quand la grâce du grand âge illumine le Musée National
- La Rédaction
- il y a 12 heures
- 5 min de lecture
Au Musée National de Phnom Penh, une célébration rare et émouvante se déploie : « Apsara Grannies », une exposition où la beauté, la dignité et la résilience de huit femmes âgées deviennent un hymne vibrant au troisième âge cambodgien.

Portant fièrement les costumes iconiques des danseuses apsaras – ces êtres célestes qui incarnent la grâce et la splendeur de l’identité khmère – nos « grannies » écrivent une nouvelle page de l’histoire muséale du Cambodge, guidées par la créativité intergénérationnelle du Cambodian Children’s Fund (CCF) et l’engagement passionné de partenaires dévoués. Ce samedi 18 octobre, sous les fresques rouges du musée, le public a partagé un moment avec ces héroïnes du quotidien pour écouter leurs histoires et découvrir des œuvres exceptionnelles réalisées aux côtés des élèves du CCF. Plongée dans les coulisses d’une initiative inspirante qui redonne force, sens et visibilité à l’âge d’or cambodgien.
Quand l’âge devient art : l’esprit de l’exposition
L’exposition « Apsara Grannies » n’est pas une simple galerie de portraits : elle propose une fresque vivante, où l’art devient vecteur de reconnaissance pour celles qui, trop souvent, s’effacent du récit collectif. Chacune des huit aînées retenues rayonne devant l’objectif, vêtue de soie or, de diadèmes traditionnels et de tissus chamarrés . La sensibilité des photographes engagés du collectif FeelTheWarmth.org transparaît dans chaque cliché : rides et mains calleuses témoignent d’une vie entière, les sourires brillent d’une joie partagée.
À leurs côtés, les œuvres des jeunes artistes du CCF (Cambodian Children’s Fund) dialoguent avec tendresse et admiration. Ces compositions originales – dessins, aquarelles, collages – traduisent la gratitude des jeunes générations envers les figures maternelles et grands-maternelles du Cambodge. « C’est une façon de redonner leur juste place aux anciennes, de leur offrir enfin un espace où elles sont non seulement regardées, mais célébrées », confie un membre de CCF .
Des mamies apasara, symboles de la dignité retrouvée
Les « Apsara Grannies » incarnent des destins cabossés : mères d’orphelins, victimes de la guerre ou de l’exil, ouvrières, paysannes. Mais sur chaque portrait, seules la fierté, la noblesse et une beauté intacte dominent la composition.
Cette démarche résonne profondément dans un pays où la vénération des aînés relève du pilier culturel, mais où la pauvreté continue de condamner de nombreuses femmes âgées à l’oubli, voire à la précarité. Selon le ministère cambodgien des Affaires sociales, une large proportion de la population âgée vit encore sous le seuil de pauvreté . L’exposition ambitionne ainsi de renverser le discours victimisant : « Nous insistons, à travers ce projet, sur la force des femmes et sur la transmission intergénérationnelle », explique Sopheap, coordinatrice pour TDB Projects .

Un projet collaboratif et une fête populaire
L’un des aspects uniques de cette exposition est l’implication active d’équipes pluridisciplinaires : photographes et artistes du collectif FeelTheWarmth.org, pédagogues du CCF, volontaires de TDB Projects, ainsi que le personnel bienveillant du Musée National (5)(6). Ensemble, ils bâtissent des ponts entre générations, entre mondes rural et urbain, entre l’art traditionnel et l’engagement social.
Le calendrier de cette aventure communautaire s'inscrit dans le tissu vivant de Phnom Penh : le vernissage public a eu lieu samedi 18 octobre, de 14h à 16h, en présence non seulement des artistes, mais également des étudiants-artistes du CCF. L’occasion rare, pour le public, d’entendre directement les récits, de comprendre les motivations derrière chaque portrait – et de découvrir, au détour d’une salle, l’irrésistible vitalité de ces grand-mères d’exception.
Impact, héritage et transmission : paroles de grands-mères et témoignages d’élèves
Rencontrer les « Apsara Grannies », c’est plonger dans 80 ans de mémoire vive. Pour beaucoup, le costume traditionnel n’avait plus été porté depuis leur jeunesse. « Je me croyais oubliée, effacée… Quand je me suis vue costumée en apsara, mon cœur est redevenu jeune », confie Mae Srey, 76 ans, l’une des modèles de l’exposition . Les portraits sont accompagnés de courts textes biographiques, rédigés main dans la main avec les élèves du CCF, pour retracer leur parcours de vie, souvent semé d’épreuves : guerres, travail forcé, exil à Phnom Penh, solitude.
Pour les jeunes artistes, le processus créatif s’est mué en expérience initiatique. « J’ai redécouvert l’histoire de mon pays à travers les yeux de ces grand-mères, témoigne Chenda, lycéenne de 17 ans. C’est un immense honneur d’avoir pu travailler à leurs côtés et de contribuer à redonner fierté à toute notre communauté » .
La force des liens intergénérationnels et des valeurs cambodgiennes
L’exposition fait écho à des recherches anthropologiques menées sur le rôle central du respect envers les aînés en Asie du Sud-Est. Les rituels de gratitude, les notions bouddhistes de karma et de mérite, mais aussi le rôle crucial des femmes âgées dans la transmission du patrimoine immatériel (conte, danse, religion, médecine) y trouvent une traduction éclatante .
En associant des femmes âgées à la figure éternelle de l’apsara – motif iconique des fresques d’Angkor – l’équipe curatoriale rappelle que la beauté ne s’éteint ni avec la jeunesse ni la pauvreté : elle se nourrit de l’histoire, de la dignité, et du lien à l’autre.
Merci aux bâtisseurs de mémoire : partenaires et mécènes du projet
Aucun projet de cette ampleur n’aurait pu naître sans la complicité de plusieurs institutions : tout d’abord FeelTheWarmth.org, collectif d’artistes humanistes qui développe, depuis 2016, des actions en faveur de la dignité des personnes âgées à travers le monde .
Le CCF (Cambodian Children’s Fund), fondé par Scott Neeson en 2004, s’est imposé comme fer de lance de l’éducation et de la solidarité intergénérationnelle au Cambodge : leur initiative « Granny Program » aide aujourd’hui plus de 200 aînés défavorisés à Phnom Penh et ses environs .
Le Musée National de Phnom Penh a reproduit, pour l’occasion, ses meilleures traditions d’accueil, soulignant son rôle comme foyer de dialogue entre passé et avenir, patrimoine et société moderne . Enfin, l’organisation TDB Projects a assuré la logistique, la scénographie et une partie du financement .
Un hommage spécial est aussi rendu à la générosité de bénévoles locaux et de mécènes privés, qui ont soutenu la production des costumes et la logistique des déplacements. « Sans ce souffle collectif, rien n’eût été possible », conclut la direction du musée .

Un message universel, une invitation : l’exposition jusqu’au 8 novembre
S’il fallait tirer de ce projet un unique message, ce serait le suivant : la dignité humaine ne connaît ni frontière d’âge, ni limite de beauté. Les « Apsara Grannies » rappellent à toutes et tous que chaque ride, chaque geste transmis, participe à la construction d’un avenir plus inclusif et plus solidaire.
L’exposition est ouverte jusqu’au 8 novembre au Musée National de Phnom Penh. L’accès est libre pendant les horaires d’ouverture classiques ; des visites guidées en langue khmère et anglaise sont disponibles sur simple demande auprès de l’accueil.
Au-delà des œuvres, la véritable richesse du projet se niche dans les rencontres, les échanges spontanés entre générations, et le regard lumineux de ces femmes devenues égéries du patrimoine vivant cambodgien.