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Histoire & Livre : Distinguer la réalité et la fiction dans « Saramani danseuse khmère »

Un regard intime sur la vie dans les coulisses du Palais royal au début du 20e siècle, Saramani : Danseuse Khmère a été examiné de près à plusieurs reprises par les historiens.

Un groupe de danseuses, dont Saramani (à l'extrême gauche), du Ballet royal en 1908. Fourni/archives de la famille Meyer
Un groupe de danseuses, dont Saramani (à l'extrême gauche), du Ballet royal en 1908. Fourni/archives de la famille Meyer

En février 1904, après 43 ans sur le trône, le premier roi du Cambodge, Norodom, célébrait son 70e anniversaire — et, contre toute attente, son dernier — au Palais royal. Pour marquer cette occasion spéciale, une immense scène avait été érigée à l’extérieur, offrant au public une occasion rare d’assister à un spectacle du Ballet royal.

Ce n’était que la deuxième fois qu’une servante et danseuse royale de 13 ans, Saramani, se produisait devant une foule nombreuse, mais elle n’était pas nerveuse. Lorsque la musique a commencé, elle a été la première à émerger, dansant avec une élégance et une grâce qui démentaient sa réputation de turbulente têtue au palais.

Mais malgré le talent évident de Saramani, pendant ses quatre années au service de la famille royale, elle s’était montrée prompte à provoquer des bagarres, à enfreindre les règles et à mécontenter ses supérieurs. Ces traits de caractère et son refus de flatter les familiers du palais, comme elle le dira plus tard, lui ont valu de ne pas être retenue pour devenir la première danseuse du ballet.

Elle quitte le palais et, peu après, épouse un Français.

C’est du moins ce que raconte le livre « Saramani : Danseuse Khmère », un roman publié en 1919 par Roland Meyer, un fonctionnaire français travaillant pour le protectorat cambodgien.

Dans le livre, Saramani déclare à son mari, quatre ans après leur mariage : « Je me suis rendu compte clairement… que mon rêve de devenir un jour une danseuse célèbre s’était envolé pour de bon ».

La couverture de la première édition de Saramani : Danseuse Khmère. Fourni/DatAsia
La couverture de la première édition de Saramani : Danseuse Khmère. Fourni/DatAsia

« Pendant les deux dernières années de ma vie au Palais royal, je n’ai connu que des déceptions ».

Pendant près d’un siècle depuis sa publication, le roman a été considéré comme une représentation historiquement exacte, bien que fictive, de cette période de l’histoire cambodgienne, et un aperçu unique des intrigues de palais de l’époque.

Cependant, de plus en plus d’éléments — notamment un acte de naissance et des photographies — indiquent que le roman de Meyer est peut-être plus ancré dans la réalité qu’on ne le pensait.

Le livre fournit un compte rendu vivant des relations de la danseuse avec une foule de personnages historiques. Il aurait été difficile pour Meyer, malgré sa maîtrise de la langue khmère et sa connaissance du pays, de concocter de tels détails.

Mais certaines questions sur le livre préoccupent encore les historiens : notamment quelle était la relation de l’auteur avec Saramani ? Si elle était réelle, comment a-t-il pu être au courant de moments aussi intimes de sa vie ?

Et puis, plus délicate encore, la question de l’identité du mari français de la danseuse, identifié seulement comme « Komlah », ou célibataire — ainsi que celle de Saramani elle-même.

Sur la piste de Saramani

En 2005, lorsque Kent Davis, éditeur, rédacteur, auteur et traducteur pour DatAsia Press, pénètre pour la première fois dans Angkor Wat, il est émerveillé par les sculptures des devatas dansantes, ou apsara, qui semblent l’appeler à explorer les mystères et la « gloire de l’Empire khmer ».

Il ne tarde pas à rencontrer Saramani. « Mon véritable rôle est celui d’un archéologue littéraire », disait Davis.

« Comme l’indique la description de mon poste, je recherche des textes obscurs, perdus et oubliés sur l’Asie du Sud-Est et je les restaure dans de nouvelles éditions augmentées en anglais et en français. »

Davis a traduit le livre en anglais, une « entreprise énorme ». L'ouvrage a fait l’objet de nombreux articles et essais de Davis.

Dans un article de 2010, intitulé « Roland Meyer, Saramani and a Cambodian Love Affair », il se demande s’il s’agit d’un personnage de fiction ou d’une personne réelle, et si les événements relatés dans le livre sont basés sur « la réalité ou l’imagination ».

Meyer était bien placé pour écrire avec autorité sur le palais et le Cambodge. Né à Moscou en 1889, il s'était installé à Paris à l’âge de 19 ans et engagé dans le service colonial indochinois. Il avait été l’assistant du gouverneur général de Saigon avant de partir pour le Cambodge en 1908.

Son travail l’obligeait à effectuer de fréquents allers-retours au palais, et son dernier poste fut celui de directeur de l’École des beaux-arts, avant d’être transféré au Laos en 1919, l’année même de la parution de son livre. Sa vie ultérieure, y compris sa mort, reste inconnue, laissant peu d’indices sur l’inspiration de son œuvre.

Descendance

En 2013, Davis reçut un courriel de Jean Courtois, un Français officier de l’armée de l’air à la retraite. Jean disait à Davis qu’il était le petit-fils de Meyer et de épouse cambodgienne — une ancienne danseuse du Ballet royal nommée Saramani.

Courtois, aujourd’hui âgé de 71 ans et vivant à Nantes dans l’ouest de la France, déclarait en 2017 qu’il était le fils de Marcelle « Evelyne » Meyer, la plus jeune des quatre enfants du couple, et de Louis Courtois, un administrateur français en Indochine. Sur l’acte de naissance de sa mère, qu’il avait fourni, les noms de ses parents étaient écrits : Roland et Saramani.

« Je ne sais pas grand-chose de mes grands-parents, mais je me souviens avoir vu ma grand-mère en tant que nonne bouddhiste à Wat Piphort Reangsey », disait-il, en faisant référence à une pagode située devant la maison de la famille Courtois, sur ce qui est aujourd’hui la rue 80 à Phnom Penh.

Selon le certificat, Saramani est née en 1893. Elle et Meyer ont divorcé en 1955.
L’acte de naissance de Marcelle Meyer, la mère de Jean Courtois. Fourni/Famille Meyer

Selon le certificat, Saramani est née en 1893. Elle et Meyer ont divorcé en 1955. En 1954, après que ses parents eurent également divorcé, Jean Courtois est venu vivre en France avec son père, Louis, tandis que sa mère a choisi de rester au Cambodge, près de Saramani. Les lettres de sa mère après son départ montrent certaines des difficultés de la vie alors que la guerre s’étendait sur le pays.

« Dans ses lettres, ma mère écrivait qu’elle voulait vivre au Cambodge, près de sa mère, même si la vie n’y était pas confortable à cause de la guerre, etc. », disait-il, précisant :

« J’ai perdu le contact avec elle en 1975, lorsque les Khmers rouges ont pris le pouvoir ».

Plus tard dans sa vie, Courtois a lu le livre de son grand-père et est devenu curieux de connaître sa famille franco-cambodgienne. Depuis sa retraite en 2009, son épouse et lui on effectué des recherches sur Meyer, mais n’ont pas réussi à trouver des informations sur sa vie après son service au Laos.

« Je suis fier d’appartenir à cette famille, d’être le petit-fils d’une grande personne, qui a contribué à l’histoire du Cambodge », affirme-t-il, ajoutant :

« Je suis fier d’avoir du sang cambodgien dans les veines. »

Davis a beaucoup spéculé sur la raison pour laquelle Meyer avait été transféré du Cambodge, estimant qu’il s’agissait d’une réaction au livre. La description de scandales et de comportements embarrassants a peut-être été trop pour le palais et pour l’administration française.

« Ses descriptions peu flatteuses ont immédiatement provoqué un tollé », déclarait M. Davis. « Je vois maintenant cela comme un WikiLeaks du début du 20e siècle. »

Saramani et Roland Meyer avec leurs trois filles en 1918. Fourni/archives Meyer
Saramani et Roland Meyer avec leurs trois filles en 1918. Fourni/archives Meyer

Un document culturel

Davis ne fut pas le seul chercheur à rechercher l’identité de Saramani. Le Dr Chen Chanratana, historien cambodgien et fondateur de la Fondation du patrimoine khmer, a découvert le roman lors de ses recherches sur les artistes du Ballet royal qui sont ensuite devenus des maîtres à l’Université royale des beaux-arts. Comme M. Davis, il a été étonné par le niveau de détail de Meyer.

« De nombreux événements mentionnés dans le livre sont des faits réels, avec des dates, des lieux et des procédures précises », disait-il.

« Avec la preuve que Saramani est une personne réelle, et que Komlah représente Roland Meyer, cela renforce fortement la fiabilité et l’importance du livre en tant que récit historique. »

Selon Chanratana, le livre fournit une riche description de la vie dans le Cambodge colonial, notamment celle des agriculteurs, des pêcheurs, des danseurs royaux, des serviteurs et de la famille royale, qui corroborent tous ses découvertes passées. Il fournit également une illustration des funérailles du roi Norodom et du couronnement du roi Sisowath.

Certaines traditions explorées à travers le personnage de Saramani donnent également un aperçu de la culture khmère, notamment le culte des Neak Ta, ou esprits sacrés, et des cérémonies comme le Chol Mlobb, un rite qui n’est plus pratiqué et dans lequel une jeune femme restait enfermée dans une pièce pendant des mois pour être éduquée à devenir une femme convenable.

Réponses inconnues

Sin Samadeukcho, 77 ans, ancienne danseuse et servante au Palais royal, où sa mère était maître de danse, dit se souvenir — et connaître personnellement — de nombreux événements et personnes relatés dans le livre.

« J’entendais le nom de Saramani de la bouche de ma mère quand j’étais enfant », dit-elle.

« Mais tout ce dont je me souviens, c’est qu’elle était danseuse et servante au palais royal ».

Il est également peu probable que l’on découvre d'autres informations sur la vie ultérieure et la mort de Saramani et de Meyer. Dans le livre, dont une partie est romancée, Saramani meurt jeune des suites d’une maladie, alors que dans la réalité, elle a vécu après la Seconde Guerre mondiale.

Malgré le manque d’informations, M. Davis estime que Saramani avait ouvert toutes les portes pour permettre à Meyer d’enregistrer cette période de l’histoire :

« Tout au long de sa vie, Roland était un homme dont le travail consistait à enregistrer des détails. Grâce à Saramani, à sa famille, à ses voisins et à ses amis, il entendait chaque jour des nouvelles de la vie dans le Royaume directement des Cambodgiens eux-mêmes. »

Beaucoup d'éléments entourant le livre restent un mystère, y compris l'authenticité de certains des détails les moins glorieux et il est peu probable que des scandales, s'il y a eu, soient déterrés.

Rinith Taing avec notre partenaire The Phnom Penh Post

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